Méditerranée et migrants

Le Pape François interpelle l’Union européenne

Le Pape François a clos les rencontres sur la « Méditerranée du futur », devant 60.000 personnes regroupées au stade Vélodrome, où s’agitaient de nombreux drapeaux corses, et tout autant de milliers de personnes pour l’accompagner au cours de deux journées de visite jusqu’au long du Prado, célèbre artère de la ville de Marseille.

 

Marseille, ville cosmopolite, « porte sur la Méditerranée », un point d’orgue d’un long périple de 10 années sur tout le pourtour méditerranéen où, depuis 2013 et son escale surprise à Lampedusa, révolté par les souffrances des migrants, le Pape en a fait une cause majeure de son pontificat. De l’Egypte à la Grèce, d’Israël à la Palestine, de Chypre à la Jordanie, en passant par l’Italie et Marseille, il a été marteler son message interpellant les nations. Berceau de civilisations, carrefour des identités et des échanges, la Méditerranée est un concentré des problèmes du monde, environnementaux, économiques, sociaux, politiques. Aussi, François est particulièrement attentif aux travaux de l’Union européenne sur le futur de la Méditerranée, et notamment le vote en faveur d’une macro-région Méditerranée.

Pour le Pape, « la Méditerranée connaît depuis bien longtemps ce mélange de cultures et de civilisations que le monde dans sa globalité expérimente de plus en plus. Dans la mesure où les sociétés européennes sont marquées par un plus grand pluralisme culturel, les années à venir verront l’Église s’engager plus encore pour répondre au grand défi du dialogue. Celui-ci doit devenir la grammaire de la convivialité humaine où il s’agit de comprendre l’autre et de vivre ensemble sans être effrayé par la différence. Car, qu’est-ce que le dialogue en général et le dialogue interreligieux en particulier, sinon une nouvelle manière de considérer l’autre ? Non plus un objet abstrait de mission mais un sujet auquel je m’adresse, un frère que je recherche, et qui se trouve au-delà de mes frontières culturelles et religieuses. »

 

Au-delà de son rôle spirituel et d’appel à la fraternité des peuples, François porte un message politique très fort qu’il est seul d’ailleurs à porter aussi haut, de manière aussi insistante. Un message courageux qui bouscule les préétablis, au moment où l’Europe verrouille ses frontières, et où ce vaste espace de plus de 4 millions de kilomètres carrés, qui compte 450 millions d’habitants et 28 pays, panique de voir qu’à Lampedusa quelques 10.000 migrants frappent à sa porte… « Il y a un cri de douleur qui résonne plus que tout autre, et qui transforme la mare nostrum en mare mortuum, la Méditerranée, berceau de la civilisation en tombeau de la dignité. C’est le cri étouffé des frères et sœurs migrants. Pour enraciner la paix, commençons par écouter les pauvres. Le changement de rythme consiste à les traiter comme des frères et non comme des problèmes gênants ; il consiste à les accueillir et non à les cacher ; à les intégrer et non à les expulser ; à leur donner de la dignité ».

Plus de 26.000 personnes ont péri en mer ces 10 dernières années, pour celles qui ont pu être recensées… Le monde doit appréhender différemment l’immigration, non comme une peur, mais comme un devoir d’accueil face aux guerres, à la misère, aux défis climatiques. Et peut être même une chance au niveau économique. C’est à l’échelle européenne et mondiale que l’on doit mettre en place une politique de répartition équitable et d’accompagnement de ces réfugiés, tout en agissant pour améliorer la situation dans leurs pays.

 

Voilà ce à quoi nous appelle le Pape François. 100.000 migrants arrivés chaque année en Europe, soit pas même 3600 personnes en moyenne par pays si l’accueil devait être réparti en Europe. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan. « Ne nous habituons pas à considérer les naufrages comme des faits divers et les morts en mer comme des numéros » a dit encore le Pape François, qui dénonce « les trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence ». Il a remercié les sauveteurs en mer très souvent empêchés d’agir, parfois persécutés pour leur humanité : « merci pour tout ce que vous faites » a dit François.

« N’oubliez pas de prier pour moi » a-t-il répété une fois de plus, devant la difficulté de sa mission. Il ne manque pas d’ennemis pour entraver ses réformes. C’est un Pape courageux, comme encore dans son discours contre la mafia. « Il y a précarité, il y a criminalité là où il y a une pauvreté matérielle, culturelle, religieuse, là s’épanouit le terrain des mafieux. Le travail, l’engagement des institutions, ne suffit pas. Il faut une conscience, une conscience qui dit non à l’illégalité, qui dise oui à la solidarité. Il ne s’agit pas d’une goutte dans la mer, mais de l’élément indispensable pour renforcer les choses. Le problème n’est pas tellement l’augmentation des problèmes, mais la réduction des remèdes. C’est comme ça que l’on voit aujourd’hui des jeunes abandonnés à eux-mêmes, proie facile de la criminalité et de la prostitution ».

Décidément un Pape qui sort des sentiers battus ! •

F.G.