Entre 75.000 selon le ministère de l’Intérieur et 150.000 personnes selon les organisateurs, ont manifesté ce dimanche 21 janvier en France pour demander la non promulgation de la loi Immigration. Quelques 160 marches ou rassemblements étaient organisées un peu partout. En Corse aussi, à Bastia, Aiacciu, Calvi… on s’est rassemblé pour rappeler « les valeurs qui fondent notre humanité ».
Le droit en matière d’immigration a évolué près de 20 fois en 25 ans en France ! Ces évolutions cherchent à contre-carrer la montée de l’extrême-droite française et pas à répondre aux besoins de la population. Elles ont une visée électorale et non pas politique. Et c’est bien là le problème. Car cela engage le pays dans une course infernale à « faire plus » dans un cercle vicieux populiste au détriment des droits humains.
Seulement 56.000 demandes d’asile ont été accordées en France en 2022. Est-ce réellement un péril pour un pays de plus de 67 millions d’habitants ? 996.000 demandes ont été déposées en Europe, pour une Union de quelques 447 millions d’habitants… Là aussi n’est-ce pas statistiquement insignifiant ?
La France compte 5,3 M d’étrangers. Soit moins de 8 % de la population. Et même à ajouter les 2,5 M de personnes d’origine étrangère ayant obtenu la nationalité française on est loin, très loin de la théorie du « grand remplacement » avec laquelle les mouvements d’extrême-droite cherchent à agiter les peurs identitaires.
La loi Immigration a été adoptée le 19 décembre dernier. Elle restreint de manière draconienne les conditions d’asile en France. Instauration de quotas, durcissement des conditions sur le rapprochement familial ou l’obtention de droits sociaux, complication des démarches administratives également pour les mineurs isolés, limitation des hébergements d’urgence, restrictions de l’accès au logement des migrants, étudiants mis à l’index, marginalisation des populations immigrées… elle prend le contre-pied total de la devise de la République, « Liberté Égalité Fraternité ». Plus de 5000 médecins et professionnels de santé, et une cinquantaine d’organisations de soignants, ont signé une tribune pour alerter contre les « conséquences sanitaires et sociales dramatiques » de cette loi. Ils dénoncent l’atteinte à la santé des plus vulnérables, et notamment des enfants. La mortalité infantile s’est déjà accrue depuis 10 ans selon les médecins du fait des inégalités sociales. Cette loi conduira à une nouvelle « dégradation intolérable » de cette mortalité. Les professionnels de santé en appellent à la Convention internationale des droits de l’enfant et menacent de « désobéissance civile » si cette loi devait être promulguée. Elle ne freinera pas les demandes d’asile de pays en guerre ou en détresse économique, mais elle augmentera la précarité et l’insalubrité de ces populations marginalisées avec « des effets dévastateurs sur leur santé physique et mentale ».
De même sur le plan de l’enseignement, de nombreux présidents d’Universités, dont le président de l’Università di Corti, protestent contre les discriminations imposées aux étudiants étrangers. « Les étudiantes et étudiants internationaux sont une richesse pour notre pays et participent du dynamisme de notre communauté académique » dit le communiqué qui alerte sur la menace que ces mesures font planer sur « l’autonomie des universités » et l’« attractivité de l’enseignement supérieure et de la recherche française ». Selon l’Union étudiante « concrètement le gouvernement fermerait définitivement la porte des universités aux étudiants étrangers », et France Université dénonce « la marchandisation de l’enseignement supérieur français (qui accentue) la précarité financière de nos étudiantes et étudiants internationaux ».
400.000 étudiants étrangers étaient inscrits dans les universités françaises en 2022, 13 % de la population étudiante.
Au lendemain de son adoption au Sénat, le Défenseur des droits avait aussi alerté contre les graves atteintes aux droits de l’homme de cette loi, multipliant « les dispositifs de sanction et les mesures coercitives applicables aux étrangers », entraînant un déséquilibre « préjudiciable à l’intérêt général et à la cohésion sociale ».
En Corse, la montée de fièvre identitaire, particulièrement au sein de la famille nationaliste, inquiète. Tenter d’appliquer « à la sauce corse » les positionnements des mouvances d’extrêmes droites françaises ou européennes, se fait au fi des valeurs humanistes et de ce qui fonde le nationalisme corse tel qu’il s’est construit dans l’histoire depuis le 18e siècle jusqu’à sa période contemporaine.
490 personnes ont signé un appel à se rassembler devant les préfectures et sous-préfectures ce dimanche pendant que défilaient en France des dizaines de milliers de personnes pour dire non à « la loi de la honte ». Guerres, misère, conditions matérielles de vie impossible, comme demain les migrants du réchauffement climatique, ou simplement envie de découverte et de se construire ailleurs, l’homme a toujours migré depuis son apparition sur la planète. L’intelligence, la pertinence économique, et la simple humanité, commandent de réfléchir aux raisons de cet exil et aux défis de l’accueil et non pas de fermer les frontières en suscitant les replis identitaires pour mieux justifier l’ignominie du rejet. La société, y compris et surtout en Corse, a besoin des migrants pour l’économie. Le défi est dans une bonne politique d’intégration dans la dignité et la fraternité comme le disent les 490 signataires de tous milieux et de toute obédience de l’appel contre l’extrême-droite en Corse.
Il y a supercherie quand on invoque la démographie, car le problème n’est pas dans l’augmentation de la population, mais bien dans la faiblesse de la natalité insulaire. Comment allons-nous construire notre dynamique économique à partir de seuls retraités ? Comment faire que les populations accueillies s’intègrent dans une île qui a toujours « fabriqué des Corses » comme le dit le président du Conseil exécutif Gilles Simeoni ! Là sont les vraies questions. Dans l’agriculture, dans l’hôtellerie et la restauration, c’est-à-dire dans le tourisme, dans le secteur médico-social, dans les professions du bâtiment… et bien d’autres, la Corse a besoin de migrants jeunes d’où qu’ils viennent. Comme elle a un besoin impératif de s’attaquer à la question de la précarité et de l’accueil. À l’échelle de la Collectivité de Corse tout est fait pour. Mais il manque des moyens. S’atteler à la question foncière et immobilière pour maîtriser la terre et l’aménagement du territoire, répondre aux problèmes du logement, du pouvoir d’achat, aux crises sociales et aux défs de la formation pour rehausser le niveau de vie des Corses, ne se règlera pas en creusant des fossés au sein du peuple corse et en jetant l’anathème sur les migrants. Il faut y répondre par des mesures spécifiques, de même qu’il faut que les valeurs qu’a toujours véhiculé la Corse à travers sa langue et sa culture, continuent d’imprégner le peuple corse. C’est un impératif. La coofficialité de la langue, le rayonnement culturel, sont des revendications vitales di spartera è di fratellanza.
Tous ces sujets de fond reposent sur la question des moyens à mettre en œuvre, financiers, règlementaires, législatifs, donc au statut d’autonomie qui est la seule vraie réponse pour permettre à l’île et à son peuple de faire face aux défis de la mondialisation, au niveau économique, social ou démographique.
La loi Immigration prend le contre-pied total de ce besoin impératif. En tant que nationalistes corses, cessons d’importer les visions archaïques et malsaines véhiculées par les mouvements d’extrême-droite française, inventons notre modèle de fraternité et serrons-nous les coudes dans l’objectif : Autunumìa 2024 ! •