Pour Julie, pour toutes celles avant elle, pour toutes celles après… ne jamais oublier.
La Cour d’appel a confirmé la première sentence contre l’assassin de Julie Douib : perpétuité avec peine de sûreté de 22 ans et retrait total de ses droits parentaux.
Rien ne ramènera Julie parmi nous, rien ne rendra cette mère à ses deux garçons, ses parents et amis, tous resteront marqués à vie par son calvaire. Son martyr peut-il aider d’autres femmes, anticiper sur d’autres drames, aider à réformer l’accompagnement policier, judicaire, sociétal qui doit entourer ces femmes victimes de violences conjugales ? Malheureusement, la société reste trop impuissante, négligente, indifférente. Après Julie, quelques 450 autres femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon. Et déjà neuf féminicides en ce mois de janvier 2023* !
Déjà commencer par avoir des statistiques claires et accessibles de la part de l’État, démontrerait sa volonté de suivre et de combattre un tel fléau. La presse se réfère au collectif Féminicides par compagnon ou ex-compagnon qui recense et suit leur histoire, rappelle leur visage, afin qu’elle ne soit pas seulement un chiffre macabre, mais côté gouvernement on peine à informer. L’État déclare 146 assassinats en 2019, le Collectif en dénombre 157…
Qu’il est triste de se rendre sur la page Facebook de Julie et de ressentir la sensibilité de son âme. « Telle est la vie ; sept fois à terre, huit fois debout » avait-elle posté en 2017, avec une vidéo de sport de ses enfants, comme un encouragement à elle-même… Sur un autre post, posant toujours avec ses deux garçons, on peut lire une citation mélancolique d’Elena Ferrante, « comme la vie est douce, pensais-je, quand il fait soleil et que toutes les belles choses ont l’air d’être là juste pour toi »… puis une autre de MC Solar qui devait la faire réfléchir sur sa propre vie : « pour aller de l’avant, il faut prendre du recul, car prendre du recul, c’est prendre de l’élan »… ou encore, citant Camus lui donnant courage : « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été »… Cette résilience que l’on ressent dans le choix de ses mots, en même temps que la tristesse qu’elle ne voulait pas montrer, et l’amour débordant qu’elle avait pour ses enfants, décrivent sa personnalité attachante, son courage, l’espoir et la force qu’elle tentait de se donner pour se relever, les rêves qu’elle faisait.
Hélas, son ex-compagnon voulait décider pour elle. Ses actes de courage – se rendre à la gendarmerie, quitter le foyer, se construire une autre vie, résister aux menaces, n’ont pas permis qu’elle soit entendue, protégée. À chacune de ces plaintes (6) ou de ses mains courantes (5), on la renvoyait à sa solitude. « Parfois, nous devons être brisés pour être réparés » : c’est le dernier post de Julie, le 18 août 2018.
Elle quitte son compagnon, Bruno Garcia-Cruciani, quelques mois avant le drame… mais elle était « femme » et pour certains hommes, être femme, c’est être objet d’appartenance Elle est assassinée le 3 mars 2019, pourchassée dans son appartement où il s’est rendu armé d’un 9 mn et d’un silencieux, une balle la manque, l’autre l’atteint au bras, elle supplie, cherche à fuir, est rattrapée sur la terrasse, il tire la balle fatale à bout portant…
La justice des hommes est passée ce 28 janvier 2023. À moitié, car elle aurait pu éviter le drame si elle avait entendu ses appels au secours toutes ces années où elle a lancé des SOS. En 2021, selon les statistiques du ministère de l’intérieur, un tiers des victimes de violence conjugale avaient déjà subi des violences de la part de leur bourreau. 64 % d’entre elles l’avaient signalé à la police et 84 % de celles-ci avaient même déposé plainte. En vain. À ces statistiques il faut ajouter, toujours en 2021, 684 femmes suicidées ou qui ont tenté de le faire à la suite des violences subies… Quel message la société adresse-t-elle par ce lascia corre à celles qui veulent sortir du même enfer aujourd’hui ? Il ne suffit pas de donner un numéro d’urgence…
Pour Julie, c’est trop tard, mais pour les milliers de femmes menacées, harcelées, violentées, battues, il est encore temps.
« Ma vie, mon bonheur, leurs sourires… » avait-elle posté sur son mur en posant dans un large sourire avec ses deux garçons. Julie veille dans nos consciences. Ne l’oublions jamais. •
Fabiana Giovannini.
* Triste bilan
(selon le collectif Féminicides par compagnon ou ex-compagnon)
2016 : 132 féminicides
2017 : 144 féminicides
2018 : 128 féminicides
2019 : 157 féminicides
2020 : 104 féminicides
2021 : 122 féminicides
2022 : 111 féminicides