Lorsque Léo Battesti se lance avec d’autres dans la popularisation du jeu d’échecs en Corse, il suscite plutôt le scepticisme, voire la raillerie. Faire de cette discipline cérébrale, d’image élitiste, un sport de masse… qui pouvait croire en ce défi ? Et pourtant ! En quelques années, les Echecs sont devenus, grâce au pari éducatif et au partenariat scolaire, un sport largement répandu dans l’île qui accueille régulièrement des compétitions de renommée internationale et des grands-maîtres de la discipline. Mieux ! la Corse produit des champions et éduque à la citoyenneté. La pratique des Echecs fabriquent les jeunes de demain, et contribuent donc à transformer notre société… C’est une belle leçon d’espoir et de progrès qui nous est donnée là à travers un sport qui nous ouvre à bien d’autres perspectives encore. Léo Battesti appelle à rompre avec les pratiques anciennes et à se responsabiliser à tous les niveaux de la société. Qu’on pratique ou pas, les Echecs sont une sacrée leçon, et ont beaucoup encore à nous apporter ! Interview.
L’évolution fulgurante de la pratique des Échecs en Corse séduit et surprend… comment expliquer cet engouement ?
C’est le succès d’une bonne stratégie sportive. D’emblée, nous avons stoppé avec la participation aux Nationales 2 et 4. On faisait comme tant d’autres en utilisant des mercenaires, des Grand- Maîtres allemand, italien, roumain, etc. Et il n’y avait qu’une centaine de licenciés.
Priorité a été donnée à l’initiation de masse en synergie avec les clubs insulaires existants ou créés grâce à ce choix.
Racontez nous les étapes de cette folle ascension…
Nous avons initié, depuis la création de la ligue il y a 20 ans, 45 000 jeunes Corses. Ce qui fait de notre île la recordwoman du monde en la matière. Historiquement la dynamique a été amorcée dans la région bastiaise puis s’est étendue sur Aiacciu et, j’insiste sur ce point, dans le monde rural.
Désormais, nous avons plus de 8 000 licenciés qui participent tous au moins à un tournoi annuel et qui bénéficient au moins d’une heure de cours par semaine !
Qu’apporte le jeu d’échecs dans la construction d’un enfant ?
Ça renforce sa confiance en soi, sa maîtrise et le respect de l’autre et des règles.
C’est une véritable école de la citoyenneté.
Ça leur apprend l’humilité, à respecter le silence, et à se concentrer. On en a grand besoin, me semble-t-il…
Et pour les adultes qui pratiquent… qu’apporte le jeu d’échecs ?
Du plaisir, de la convivialité, des connaissances internationales, mais, surtout, à connaître les jeunes. Devant un échiquier il n’y a ni hiérarchie du sexe, ni de l’âge. On comprend mieux l’autre. Et on réagit mieux ainsi.
Le travail qui a été fait est surtout un travail social… comment avez-vous réussi ce pari ? Quelles en sont les retombées aujourd’hui ?
J’ai toujours privilégié la création d’emplois, CDI uniquement, pour que des professionnels motivés et rigoureux encadrent la masse des jeunes, en particulier dans le temps scolaire grâce à une belle collaboration avec le corps enseignant. Nous fêtons cela avec, en juin, des tournois qui réunissent 6 000 enfants ! Nous avons donc, aujourd’hui, 16 salariés et 4 vacataires. La masse salariale représente ainsi 85 % d’un budget d’environ 800 000€.
Et la Corse se distingue ! Le jeune Maurizzi est un phénomène ! La Corse en cache-t-elle d’autres ?
Plus notre base est large et plus notre sommet est haut. Marc’Andria est très talentueux et, également, très attentif aux autres, et donc exemplaire. Notre élite est née sur notre terrain, elle irrigue tout l’édifice. Il y a une bonne trentaine de jeunes qui sont d’un excellent niveau international. Désormais, aux championnats de France, nous avons le potentiel de gravir tous les podiums. Nous avons déjà eu de nombreux titres de champions ou vice champions de France. Et un résultat d’ensemble supérieur à la plupart des ligues ayant, pourtant, des millions d’habitants ! Ce n’est pas le fait du hasard et je m’évertue à convaincre que d’autres disciplines devraient s’en inspirer.
Vous avez dit : « Le sport est avant tout une formidable école de la citoyenneté »… explications ?
En effet, car dans une société de l’enfant Roi ça leur permet de sortir, de façon ludique, du cocon familial source, parfois, d’un assistanat excessif. L’enfant est seul face à ses choix sur l’échiquier. Il n’a pas l’excuse de la faute de l’autre, du mauvais temps, de la malchance. Il sait que tout dépend de lui et ça l’incite à progresser par le travail.
Vous avez dit aussi : « La retombée à privilégier, c’est la socio-éducative. Celle qui permet à notre jeunesse de respecter l’autre et donc soi-même »… pensez-vous que les Échecs peuvent transformer la société corse de demain, en étant cette école de la vie ?
En tous cas ils y contribuent. Et j’ai l’occasion de constater, lors des actuelles assises du Sport, que la discipline est souvent citée en exemple. Nous avons un formidable tissu associatif dans l’île, il faut savoir l’encourager dès l’instant où les associations sont gérées dans la transparence, avec rigueur, et portent des projets.
Les échecs ont fait leurs preuves et sont très aidés par les pouvoirs publics… pensez-vous que cela se fait à suffisance par rapport au public touché et aux objectifs ?
« Très aidés » me semble excessif. Il y a une volonté politique de le faire, ça, c’est incontestable. Mais par rapport à ce que cela représente, il n’est que de voir le millier d’enfants engagés actuellement dans leur championnat individuel, c’est relatif. Toutefois je comprends aussi la réalité économique actuelle. Et nous avons aussi à nous démener pour trouver des partenaires privés et des prestations. C’est ce que nous avons réussi à faire avec une centaine d’entreprises nous soutenant et un partenaire officiel prestigieux, Orezza. Cela représente 30% de nos ressources.
Un message que vous souhaiteriez adresser ?
J’invite à montrer, à travers la politique sportive, que la Corse rompt avec les pratiques passées. Le saupoudrage, la politique du guichet, l’absence de résultat et de contrôle… on doit vite oublier tout cela. Il n’est pas normal que le professionnalisme et un événement réalisé par une société extérieure à l’île, représente 60 % du budget sportif ! Il faut, au contraire, encourager les démarches à caractère socio-éducatif.
Contribuer, ainsi, à ce que la formation sportive, dans toutes les disciplines, permette à nos enfants de respirer, de croire en eux, de positiver. Et de mieux résister à de sinistres fléaux qui font tant de dégâts. Je pense en particulier à la drogue.
Le sport est un atout dans la construction d’une société ?
Ça doit être une priorité absolue. Mais il n’y a pas que des droits. Les associations sportives ont le devoir de participer à ce grand combat territorial pour la construction d’une nouvelle société insulaire. Il faut tous nous remettre en cause. Il convient, à mon avis, de revoir l’organisation sportive. C’est un domaine privilégié pour agir, par rapport à notre propre réalité. Certaines institutions sont aujourd’hui des coquilles vides, simples lieux de pouvoir. La rupture avec les pratiques d’une vieille Corse ne concerne pas que le monde politique. C’est la société qui doit se mettre en état de responsabilisation. En innovant, avec l’intérêt collectif comme objectif stratégique majeure. On apprend aux Échecs qu’on ne pousse pas des pions, on ne déplace pas des pièces sans finalité. Au contraire, les coups tactiques servent la stratégie. C’est valable aussi pour le sport. La Corse peut vite démontrer sur ce terrain que l’autonomie de son action est vertueuse.