Latifa è Wissal

Réunir une maman et son bébé

Wissal est une petite fille de pas encore trois ans, abandonnée par ses parents biologiques. Elle a eu la chance de trouver une maman qui se bat depuis six ans pour adopter un enfant au Maroc. Quand on lui a présenté enfin Wissal, elle était encore bébé… Evidemment, coup de foudre entre elles… et deux ans plus tard, Latifa, résidant depuis de nombreuses années en Corse, en Casinca, se voit enfin attribué la kafala (tutelle au Maroc assimilée à une adoption). Malheureusement, contre toute attente, les services de l’Aide sociale à l’enfance en Corse bloquent sur une dernière formalité, et la kafala ne peut aller pour l’heure à son terme. Wissal risque de demeurer encore longtemps dans un orphelinat. Comment réunir cette maman et son bébé ?

 

 

Il y a quelques années, Arritti alertait ses lecteurs sur le cas d’un nourrisson abandonné sur une plage de Djibouti, et qui a eu la chance de trouver des parents (le papa français et la maman avec la double nationalité) qui ont entamé de longues démarches pour adopter l’enfant. L’adoption est prononcée alors qu’il n’est encore qu’un bébé, mais, malheureusement Karama ne parvient pas à obtenir un visa pour la France, pour toutes sortes d’excuses aussi stupides les unes que les autres. De multiples interventions sont nécessaires pour médiatiser son cas. L’Assemblée de Corse adopte, à l’unanimité, une motion de solidarité. Le Collectif corse pour l’adoption sans racisme institutionnel (C2ARI) mène campagne… L’action paye ! L’enfant obtient enfin son visa au terme d’un an et demi de bataille administrative ! Depuis, il grandit en France entouré de l’amour de ses parents et de toute sa famille…

 

Pourquoi rappeler cette histoire ?

Parce que malheureusement il faut toujours se battre pour réparer des injustices. Le sort de Karama ne concernait pas la Corse, en dehors de la solidarité que notre île pouvait exprimer auprès de parents et d’un enfant en détresse face à la machine administrative. Aujourd’hui la situation de Latifa et de Wissal relève de la même obstination de services qui les empêchent d’être réunies. Et ça se passe en Corse car Latifa vit ici depuis de longues années. Elle y travaille. Elle s’investit dans la vie sociale. Elle est appréciée dans sa commune. D’ailleurs le maire de Viscuvatu, Benoît Bruzi, est intervenu pour qu’elle obtienne justice. Latifa n’est pas riche. Mais elle a de quoi subvenir aux besoins d’un enfant. Elle a de la famille, des amis, pour la soutenir. L’ASE prétexte le contraire. Alors pourquoi a-t-elle fourni précédemment deux enquêtes sociales favorables portant les deux fois la même mention finale « remplit les conditions matérielles et financières pour accueillir un enfant » ? Et même si ses revenus avaient baissé (ils ont au contraire augmenté !) lorsqu’une maman accouche en clinique, l’empêche-t-on d’emporter avec elle son enfant si elle n’a pas de revenus suffisants ?

En 2017, Latifa s’engage dans une procédure de kafala au Maroc. Il y a deux ans, en 2021, elle est présentée à Wissal et elles s’attachent immédiatement l’une à l’autre. Mais une enquête sociale confirmant que la situation de la requérante n’a pas changé depuis les deux précédentes enquêtes doit être fournie par l’ASE qui dépend de la Collectivité de Corse. Et c’est là que tout s’effondre pour Latifa.

 

L’ASE émet un avis défavorable. Pour quelles raisons ?

Latifa ne comprend pas. Au téléphone, on reste évasif voire méprisant, puis on ne lui répond plus du tout… L’avis invoque « des revenus modestes », « un vide affectif » alors que sa situation financière s’est améliorée et qu’il émet un jugement de valeur qui ne relève pas d’une enquête sociale. Latifa reçoit un courrier du directeur général des services de la Collectivité de Corse qui comporte encore des erreurs et fournit la même conclusion : avis défavorable… Latifa est membre de l’association EFA2B, seule association agréée de Corse pour accompagner les candidats à l’adoption. Les associations Avà Basta et EFA2B demandent des explications : pas de réponse. Elles demandent audience : pas de réponse. Elles essaient de sensibiliser des élus : pas de suite. Elles sollicitent François Alfonsi, député européen, qui interpelle aussitôt le président du Conseil Exécutif. Pas de réponse pour le moment. Elle sollicite la consule du Maroc mais cette affaire ne relève pas de sa compétence puisque c’est la Collectivité de Corse qui est chargée par le ministère français de réaliser cette enquête. Latifa, soutenue par l’association Avà Basta engage aussi une action pour « excès de pouvoir » devant le tribunal administratif qui ne peut s’en saisir car il n’y a pas eu d’actes administratifs dans cette affaire. Sur quoi donc repose l’avis défavorable ? Comment peut-on décider de l’avenir d’une enfant de manière aussi légère ? Sans possibilités de recours ? Et pendant tout ce temps, les délais de la kafala courent… Sans suite rapide, son attribution sera caduque et Latifa se verra retirer de la vie de cette enfant qu’elle visite régulièrement et qui s’est attachée à elle. Tous les médecins spécialistes de l’enfance le disent, l’abandon laisse une empreinte dans la mémoire traumatique d’un enfant. Comment la petite Wissal vivra ce nouvel abandon après celui de ses parents biologiques ? Comment pourra-t-elle comprendre, admettre que cette maman qu’on lui a présentée ne vienne plus la voir ? Comment peut-on se désintéresser de ce drame humain ?

 

En désespoir de cause, des membres des associations Avà Basta, EFA2B, Donne è Surelle, C2ARI et Orphelin’aide interviennent depuis le 15 février sur le Forum de notre confrère RCFM pour tenter de se faire entendre. Arritti s’en saisit à son tour. Latifa et Wissal réclament justice. Il n’est pas possible de les mépriser ainsi que leurs soutiens en les laissant sans réponses.

En toutes circonstances, même lorsqu’il y a difficultés à appliquer des textes, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui s’impose auprès de toutes institutions (cf. Convention internationale des droits de l’enfant, CIDE). L’intérêt supérieur de Wissal est de rejoindre sa maman. Quelles que soient les erreurs d’appréciation commises, l’ASE doit réparer le dossier administratif de l’enfant auprès du ministère de la Justice à qui elle a transmis une évaluation avec de fausses informations en contradiction avec ses enquêtes précédentes. Elle doit recevoir au plus vite pour cela l’association qui demande cette régularisation. •

Fabiana Giovannini.