Protection de l’enfance

SOS pouponnière de Bastia !

Les pouponnières sont des organismes à caractère social qui accueillent 24h/24 des enfants qui sont retirés de leur famille, soit de manière temporaire, soit suite à une décision de justice. Ces enfants ne doivent pas restés en pouponnière au-delà de l’âge de 3 ans, et leur situation doit être réglée au plus vite, en quelques mois. C’est notamment au sein de la pouponnière que sont accueillis provisoirement en vue de leur adoption les enfants nés sous X. C’est un placement d’urgence, pour mettre sous protection des enfants en situation de maltraitance ou d’abandon, souvent atteints de troubles psycho-affectifs ou de pathologies. Ils sont donc entourés d’éducateurs, d’infirmières et d’auxiliaires de puériculture. Eux-mêmes aidés de médecins et psychologues, bref toute une organisation qui doit veiller au bienêtre de l’enfant, leur assurant le réconfort affectif, l’hygiène et tout l’entourage médico-social nécessaire. C’est indispensable.
Hélas, ce n’est pas le cas à la pouponnière A Ciucciarella de Bastia.

 

L’équipe de A Ciucciarella qui fait face comme elle peut à des conditions d’accueil pénibles n’est pas responsable de cette situation et en souffre. En septembre 2019, elle s’est trouvée contrainte d’outrepasser sa réserve pour dénoncer ces conditions de vie désastreuses du fait de locaux insalubres et aux dimensions inadaptés. Infiltrations régulières aux plafonds et au sol, lino en mauvais état, présence de nuisibles (insectes, rongeurs et même serpent !), bouches d’aération, cumulus, installation électrique, en mauvais état, non sécurisés, locaux exigus, en sureffectif d’accueil… Ce cri d’alarme avait choqué, d’autant que cette situation perdurait depuis 13 ans !

 

Trois ans plus tard, rien n’est réglé. L’humidité s’est aggravée, avec toujours plus de moisissures et des enfants qui font des allergies, des bébés ont été hospitalisés pour des bronchiolites. Les engagements de mettre fin à ce scandale n’ont pas été remplis. La Pouponnière est sous la responsabilité de la Collectivité de Corse par l’intermédiaire de l’Union des mutuelles de Corse santé (UMCS) qui en a la gestion privée et explique les différentes initiatives de relogement, d’abord à la rue St François, mais « le projet n’a pas abouti », puis au sein d’un bâtiment Bella Vista, Montée Filippini, qui devrait accueillir plusieurs services mais les travaux ne sont toujours pas terminés.

Aussi, les employées de A Ciucciarella tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme. La direction de l’UMCS assure de l’implication des pouvoirs publics, le chantier du Bella Vista devrait être réceptionné cette année… mais cette situation révèle également des anomalies dans la gestion de l’enfance en difficulté.

A Ciucciarella fait face actuellement aux besoins de 13 enfants dont 12 en interne, alors que la pouponnière ne peut accueillir que 6 enfants en interne. Ce qui témoigne, outre des problèmes d’hébergement, de lenteurs excessives dans la prise en charge administrative des enfants à placer, âgés jusqu’à 5 ans pour certains, et hébergés depuis plusieurs années, ce qui n’est pas réglementaire et préjudiciable au développement normal de l’enfant.

Les familles d’accueil qui pourraient être une solution d’apaisement dans la vie de l’enfant, sont insuffisamment intégrées comme solution. Elles ne sont pas la suite logique du placement provisoire de l’enfant, ce qui l’amène à séjourner trop longtemps en pouponnière. « L’enfant n’est pas un colis » disent les salariés de la pouponnière qui traduisent là un sentiment d’à peu près de l’organisation de cet outil indispensable.

 

Placement judiciaire, durable ou momentané, avec ou sans visite des parents, sous contrôle ou non en fonction des situations, parents parfois agressifs, ou encore aimants mais victimes de mauvaises évaluations, les situations sont complexes à gérer. « On subit des atteintes psychologiques extrêmes, c’est insupportable » commente l’une des employées de A Ciucciarella. Se pose aussi la question du statut professionnel de ces salariés. Bien qu’organisme de la Collectivité répondant à un besoin social, elles relèvent du droit privé (gestion UMCS), et comme c’est souvent le cas dans le privé, la gestion reste plus budgétaire que sociale. On voit le scandale en France que représente la gestion des EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), qu’attend-t-on pour se pencher sur la gestion des pouponnières ? Attention, il est important de ne pas faire d’amalgames, certains établissements fonctionnent, mais il y a un vrai problème à l’échelle de l’ensemble des pouponnières en France.

À Bastia, le personnel médical d’accompagnement n’est pas constant auprès des salariées en charge de l’accueil des enfants, ces changements sont perturbants pour la connaissance de leur situation. De même, « la direction a changé cinq ou six fois en cinq ans, régulièrement tous les mois car ils se rendent compte qu’ils n’ont pas les moyens pour agir et ils s’en vont » expliquent les employés d’A Ciucciarella. Mal payées, non respectées, sans information sur la suite du parcours de l’enfant qu’elles ont pourtant accompagné durant des années, ces femmes ne se sentent pas considérées. « Pas de budget pour les emmener dans des activités extérieures, à la piscine par exemple, ou même leur acheter une friandise lorsqu’on les amène promener, c’est nous qui leur payons avec notre argent » confient les personnels d’A Ciucciarella.

 

Le Conseil de Famille et des Pupilles de l’État a été saisi de toutes ces difficultés. Au grand dam des élus et organismes qui y siègent, il est anormalement resté plus d’un an sans se réunir, pour une sombre histoire de composition illégale dont l’État est responsable et qu’il se refusait à régler*. De son côté, l’Aide Sociale à l’Enfance est responsable de la protection de celle-ci mais on ne l’entend pas sur le sujet. Sous-effectif ? Manque de moyens financiers ? Négligence ? Quelles que soient les raisons qui bloquent, cette situation est scandaleuse. Et force est de constater que la politique de l’enfance reste une oubliée des urgences sociales des collectivités en général. L’enfance, et particulièrement l’enfance en difficulté, réclame des moyens, de l’attention, de la disponibilité, du suivi, des contrôles, toute une architecture sociale indispensable. Ces enfants, déjà en maltraitance de par leur situation familiale, devraient être accueillis dans des conditions optimales, or ils subissent de fait les restrictions budgétaires et les dysfonctionnements administratifs de toutes sortes.

 

Cette situation insupportable n’est pas propre à la Corse. Il faut une réforme en profondeur des services des aides sociales à l’enfance en France. Les pouponnières sont surpeuplées, sous équipées, ne peuvent gérer convenablement les enfants et le lien parent-enfant quand il peut être maintenu (en fonction des décisions de justice). Malgré tout leur dévouement, les salariées des pouponnières en bout de chaîne supportent ces conditions limites, se mettent en congé maladie, ou s’en vont dégoûtées par un métier qu’elles ont pourtant choisi pour être au service de l’enfance. Leur impuissance quotidienne est un stress et une souffrance supplémentaires qui pénalisent leurs petits protégés. Elles jettent l’éponge. Celles qui résistent sont démunies. Souvent, elles ne peuvent combler le manque affectif de ces enfants en carence de tendresse, ne bénéficient pas non plus de tout l’accompagnement nécessaire, de leur droit aux formations, de leur propre suivi social et médical, car les situations fréquentes de stress peuvent aller jusqu’au burnout.

Dans un tel contexte, pas étonnant que surviennent des drames parfois, concernant par exemple le non placement d’enfants maltraités, laissés entre les mains de leurs parents-bourreaux par les carences et négligences du système…

« L’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur » promulgue depuis 1924 la Déclaration de Genève relative aux droits de l’Enfant. En 1959, l’Organisation des Nations Unies adopte la Déclaration des droits de l’enfant, puis en 1989 est adopté la Convention Internationale des droits de l’enfant par l’Assemblée générale des Nations Unies. 195 pays s’y sont engagés, aucun traité n’aura jamais eu une ratification aussi large (cf. ci-contre).

Notre société se doit de donner la priorité à la protection de l’enfance, et plus particulièrement à l’enfance en difficulté. La situation de la pouponnière de Bastia est un scandale qui doit être réglé sans plus attendre. •

Fabiana Giovannini.

 


 

La Convention Internationale des droits de l’enfant, signée par la France le 26 janvier 1990, ratifiée le 7 août, est entrée en vigueur le 6 septembre 1990. Elle énonce notamment que « qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Elle précise : « Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être ». Ils « veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ». Elle édicte encore : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État ». De même, « les États parties reconnaissent à l’enfant qui a été placé par les autorités compétentes pour recevoir des soins, une protection ou un traitement physique ou mental, le droit à un examen périodique dudit traitement et de toute autre circonstance relative à son placement ». •