« Les survivantes » film-documentaire de Pierre Barnérias

Témoins de l’abominable

Sorti en salle le 15 mai, il était programmé au Régent à Bastia ces 20 et 21 juillet. Arritti s’y est rendu ce dimanche. On en ressort bouleversés.

 

 

Pierre Barnérias est un réalisateur controversé depuis « Hold-up », son documentaire qualifié de « complotiste » sur la pandémie de Covid-19. Une chose est sûre, il bouscule les convenances et les discours établis.

Cette fois il présente le témoignage de huit femmes victimes de réseaux pédocriminels.

 

Il faut voir ce film. Il faut s’armer au préalable de courage. Mais il faut le voir.

La pédocriminalité n’est pas à la marge, on le sait depuis au moins 50 ans. Il existe des abominations sur des enfants. On le sait. Partout dans le monde, il existe des réseaux pédocriminels, on le sait aussi. Ce qui donne une ampleur terrible au phénomène. Mais même ceux, trop rares, qui dénoncent, même ceux qui parlent, ont une retenue et ne détaillent pas. Depuis que les langues se sont déliées sur la maltraitance des enfants, l’inceste, les abus sexuels, depuis les enquêtes très sérieuses surtout qui ont été rendues publiques, celle de la CIASE au sein de l’église, puis celle de la CIIVISE* présidée par le juge Durand, on ne peut plus douter de l’existence de ces horreurs où l’on viole, torture, et parfois tue des enfants, et de très jeunes enfants. Aucun milieu n’est épargné, la religion, le monde politique, le monde du sport, le monde médical, au cœur même des familles, l’innocence est martyrisée à un point tel qu’il est difficile de l’imaginer.

Pierre Barnérias va au-delà de la dénonciation du problème. Il fait entrer de plein fouet dans le problème. En livrant les témoignages crus de ces femmes, il détaille jusqu’au sordide les tortures qu’elles ont subies. On ne peut pas en ressortir indemne. On peut difficilement douter même si on le voudrait. Ces femmes-victimes ne se connaissaient pas avant qu’elles ne livrent leur témoignage. Leur concordance, la découverte parfois qu’elles ont croisé le même bourreau, leurs souffrances et leur sincérité interpellent et convainquent d’un système monstrueux et de la nécessité de le combattre.

 

Le film démarre sur un extrait d’une émission d’Elise Ducet sur le plateau de France 3 en 2000, où il est affirmée l’existence de cassettes avec « mort d’enfants réelle » qui se vendent à prix d’or, « c’est un marché lucratif ». Les témoignages suivent crescendo dans l’horreur et le sadisme. Les bourreaux sont protégés, les dénonciateurs sont mis à l’index. Les participants à ces réseaux pédocriminels occupent « des postes très importants »… certains « de puissance mondiale ».

« Ces femmes dont vous allez découvrir les histoires, sont des femmes dans les nuits les plus noires. Elles sont inclassables, indéfinissables comme tous ces mômes qui arrachent l’âme… » Elles ont « pour seule boussole leur instinct de survie pour effacer les viols et continuent leur galère pour avoir vécu l’enfer » prévient le documentaire.

L’enfer, c’est le mot. On se dit subitement qu’il est bien sur terre avec de tels psychopathes.

Enfants de la DDASS, enfants placés, victimes d’incestes ou encore vendus par leurs parents à des réseaux pédocriminels, ces femmes ont toutes le parcours d’enfants vulnérables, ceux que l’on ne croit pas. Elles ont voulu « briser le silence » et se sont réfugiées dans la vérité pour en sortir, et « faire changer les choses ».

Parmi elles aussi, deux mères racontent leurs expériences avec une police et une justice défaillantes qui malgré des preuves flagrantes et le témoignage de leurs enfants, au lieu de les protéger, les mettent en accusation et remettent leurs enfants à leurs bourreaux… Elles ne sont pas prises au sérieux et c’est très grave car pour lutter contre un problème il faut d’abord sortir du déni.

 

Tentatives de suicide, amnésie, corps qui témoignent avant que les souvenirs ne reviennent, long processus pour retrouver la mémoire et prendre conscience qu’on est une victime, toutes ces femmes ont vécu le même chemin de rédemption. On se demande comment elles ont pu se relever de telles abominations.

Ceci dit, les témoignages sont livrés pêle-mêle rendant parfois confus le documentaire qui n’est pas une enquête, il ne livre pas de preuves, ni de démonstrations poussées, et conclut à la perversité de réseaux francs-maçons s’adonnant à des rituels sataniques sans réelle investigation sur ce sujet. Cette construction sans démonstration entache la véracité des témoignages et c’est préjudiciable au problème de fond, celui – bien réel – de l’existence de réseaux pédocriminels qui maltraitent avec horreur des enfants, particulièrement des enfants sans protection, enfants d’immigrés ou étrangers ou issus des services de l’Aide sociale à l’enfance, et celui aussi de tout un système policier et judiciaire défaillant dans la lutte contre la maltraitance des enfants. Pour Pierre Barnérias il s’agissait surtout de « faire parler de ce sujet, créer un électrochoc et en même temps toucher les gens au cœur avec des témoignages d’une authenticité rare » confiait-il récemment.

Une seule certitude : il faut dénoncer cette barbarie, punir les coupables quels qu’ils soient, et faire de la protection de l’enfance une vraie priorité politique. •

Fabiana Giovannini.

 

* CIASE : Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église
CIIVISE : Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.