Le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, en charge notamment des politiques d’aménagement, d’urbanisme et de logement, sera en Corse les 12 et 13 avril prochain. Un déplacement dans un contexte politique tendu avec la fin de l’espoir d’un dialogue institutionnel renouvelé. Et cela n’est guère compensé par des moyens donnés aux nombreux besoins de notre quotidien. Le gouvernement applique au contraire une politique de rigueur et a pris des mesures catastrophiques dans la politique du logement, par exemple, amputant considérablement les recettes des organismes bailleurs et avec elles, la possibilité de produire du logement social. Etat des lieux.
Aménagement du territoire, politique foncière, urbanisme, développement économique, action sociale, lutte contre la précarité, mixité sociale et vivre ensemble, la politique du logement recouvre bien des éléments clés du développement durable à bâtir. C’est un enjeu important de notre avenir collectif. Cette venue du ministre Mezard n’est donc pas à prendre à la légère. D’autant que le gouvernement, là encore, a renvoyé des signaux négatifs ces derniers mois.
En matière de logement social, la Corse est très en retard. Avec 80% de la population éligible au logement social, plus de 6350 demandes sont en attente sur l’ensemble de l’île (chiffres 31/12/2017). 55 % en Corse du Sud, 45% en Haute Corse. Et l’offre n’est absolument pas à la hauteur : un peu plus de 950 logements ont été attribués en 2017. C’est non seulement faible mais en régression par rapport à 2016 (1000 demandes satisfaites), et très déséquilibré sur l’ensemble du territoire : 90% de l’offre pour la Corse du Sud se fait dans l’agglomération ajaccienne, et 70% de l’offre pour la Haute-Corse s’effectue dans le grand Bastia.
Cette offre est aussi inadéquate en termes de typologie puisque le gros de la demande concerne les T1-T2. Plus d’un quart des dossiers en attente sont des personnes seules ou des familles monoparentales, mais l’offre sur ces logements en Corse reste faible et largement inférieure à ce qu’elle est sur le continent (13% contre 25%) L’Office public de l’habitat de Haute- Corse, désormais Office territorial, est par ailleurs dans une situation difficile pour répondre à cette demande. Il compte parmi les loyers les plus bas de France, ce qui témoigne de la précarité qui frappe l’île. Loyers qui constituent l’essentiel de ses recettes pour agir. Son Parc est ancien, 40 ans d’âge en moyenne, inadapté et vétuste. 50% des locataires présentent des situations d’impayés et la Corse ne remplit pas non plus ses obligations d’offre de 25% des logements à réserver aux ménages les plus pauvres, même si l’OPH de Haute- Corse parmi les autres bailleurs sociaux produit le gros de l’effort.
Dans ce contexte tendu, les mesures gouvernementales prises dans la loi de finances pour réduire les dépenses de l’État sont inquiétantes et amputent les recettes des bailleurs sociaux. Gel des loyers, baisse de l’APL (Aides personnalisées au logement), hausse de la TVA qui passe de 5,5 % à 10 % dans la construction : la perte sur les recettes de l’OPH territorial pourrait à terme s’élever à 1 million d’euros par an. Un impact qui sera progressif, et qui est encore difficile à chiffrer précisément aujourd’hui du fait du flou des mesures de compensation envisagées par le gouvernement. Pour l’année 2018, néanmoins, la perte est estimée à 650000 euros. Ce qui est considérable et équivaut à une capacité d’emprunt de 19,5M d’euros pour des opérations de construction ou de réhabilitation. C’est dire si ces mesures obèrent la capacité à produire du logement ! Ce qui est stupéfiant c’est l’impréparation avec laquelle elles s’appliquent. Le gouvernement n’ayant fait aucune projection sur les conséquences de telles décisions, ou sur l’effet des mesures de compensation complexes qui sont envisagées.
Autre grande inquiétude, le futur projet de loi Pacte sur la compétitivité et la croissance des entreprises envisageraient entre autre le relèvement du seuil de salariés des entreprises devant contribuer à l’action sur le logement*. L’impact financier est évalué à 300M d’euros en France selon Action logement, organisme qui gère la participation des entreprises à l’effort de construction de logements. Ce qui porterait un nouveau coup dur à la capacité à produire ou à réhabiliter du logement, notamment dans le cadre des programmes de rénovation urbaine (Anru). Un effet désastreux !
Autant de difficultés supplémentaires dont la Corse se serait bien passée. Pour faire face au retard important pris en matière de logement social dans l’île, la Collectivité de Corse a besoin d’encouragements, de dérogations et de politiques incitatives de la part du gouvernement.
Pas de coups bas.
*La participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), appelé également dispositif du 1% logement, est un impôt versé par les employeurs sous forme d’investissements directs en faveur du logement des salariés.
Fabiana Giovannini.