«Depuis toujours, la Corse s’est illustrée dans l’Histoire lorsqu’il s’est agi de faire progresser le principe des Droits de l’Homme ». Agnès Rogliano Desideri est maman d’un petit Congolais, l’adoption, elle en sait toutes les joies et aussi tout le parcours difficile pour y parvenir. C’est sous son impulsion qu’est né il y a un an le Collectif Cari, pour l’adoption sans racisme institutionnel. En effet, on trouve dans des documents très officiels et particulièrement dans des documents de services administratifs dont la mission est la protection de l’enfance, des rédactions choquantes, dont l’ambiguïté prête à interprétation. On peut lire ainsi dans les Référentiels ministériels «si les candidats ne se sentent pas prêts à accueillir un enfant de couleur, il peut être fait recours aux termes « ouvert à l’accueil d’un enfant qui leur ressemble »… Cette rédaction tendancieuse se traduit hélas trop souvent par des appréciations racistes. Il est en effet courant de lire sur des dossiers de postulants à l’adoption que ceux-ci n’acceptent pas «d’enfant noir » et/ou «d’origine africaine » et/ou «d’origine maghrébine »… Près de 500 personnalités de toutes tendances politiques ou de la société civile en Corse ont adhéré au Collectif Cari. Nos députés au Palais Bourbon, notamment, s’emploient à ce que ces textes soient clarifiés.
C’est ainsi que l’existence du combat de ce collectif a attiré l’attention des époux Lagasse, résidant à Metz.
Hinda et Nicolas Lagasse sont parents d’un petit garçon, Karama, adopté à Djibouti il y a exactement 548 jours, un an et demi !
Malheureusement leur famille est déchirée car ils ne parviennent pas depuis lors à obtenir un simple visa de l’administration française pour le ramener en France.
Le cas de Karama Lagasse ne relève pas proprement du racisme, du moins on l’espère.
À dire vrai, il est difficile de comprendre pourquoi ce visa est refusé car aucune raison ne peut être valable. En effet, en matière d’adoption, l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours prévaloir. En clair, lois et règlement doivent s’adapter pour protéger l’enfant.
Or, à trois reprises, le visa de l’enfant a été refusé, à chaque fois pour des raisons différentes et toutes aussi incompréhensibles les unes des autres. Il a été ainsi fait référence à la religion musulmane de l’enfant, alors que Karama n’avait pas encore deux ans… puis il a été reproché une demande mal formulée et, plus récemment, on a battu des records avec un rejet en quatre points où il est notamment reproché à Karama, deux ans et demi, de n’avoir pas «fourni la preuve » qu’il disposait de «ressources suffisantes » pour couvrir ses frais de séjour… de ne pas disposer «d’une assurance-maladie adéquate et valable »… d’avoir des intentions de «maintien illégal en France » pour y mener «des activités illicites »… d’avoir fourni des informations non fiables.
On marche vraiment sur la tête ! Rappelons l’histoire de Karama, parfaitement connue des services de l’Ambassade.
Abandonné sur une plage alors qu’il n’était qu’un nourrisson, sans filiation biologique connue, il est placé en orphelinat jusqu’à ce que sa maman adoptive, qui dispose de la double nationalité franco-djiboutienne, et son papa, qui est français, découvrent son histoire et décident de l’adopter. Tout se passe bien avec les autorités djiboutiennes.
Une première décision judiciaire est rendue le 16 novembre 2016 par le Tribunal de statut personnel de première instance de Djibouti, qui avait permis d’obtenir un passeport en règle sur lequel il porte le nom de ses parents. Dès lors, il était en droit d’obtenir le visa. Une autre décision le 3 avril 2018, prononcée par la Chambre civile du tribunal de première instance de Djibouti, a accordé l’adoption plénière, c’est-à-dire irrévocable.
Hinda et Nicolas Lagasse sont définitivement et légitimement les parents de Karama.
Pourquoi donc le visa est-il toujours refusé et sur des prétextes fallacieux ? Pourquoi n’est-il pas indiqué aux parents la marche à suivre pour l’obtenir, alors qu’ils n’ont cessé de se mettre à la portée de toutes les demandes de l’administration pour y parvenir ? Ainsi, la dernière demande (un visa de long séjour) a été formulée sur les conseils de Monsieur Denis Barbet, président de la Mission de l’adoption internationale par l’intermédiaire de Monsieur Jean-Marie Colombani, sans doute l’un des plus éminents spécialiste de l’adoption en France. La suite on la connaît.
Les mois passent et Karama ne peut vivre aux côtés de ses parents. La maman vient souvent à Djibouti pour voir son enfant, mais elle doit repartir ensuite, sans lui. Imagine-ton le déchirement vécu par le petit enfant lorsqu’il voit repartir sa mère, le laissant en orphelinat. Que peut-il comprendre à cette situation inhumaine ?
«Karama est le fils légitime de Nicolas et Hinda Lagasse. Une adoption plénière irrévocable a été prononcée, une demande d’exequatur de ce jugement est en cours et il relève de l’intérêt supérieur de l’enfant de vivre auprès de ses parents de manière urgente. Il semble difficile de faire plus complet et plus fiable comme dossier ! » dénonce le Collectif Cari.
L’Assemblée de Corse, saisie par les groupes Femu a Corsica et Corsica Lìbera qui se sont émus du sort de cet enfant, a adopté ce 28 avril une motion à l’unanimité qui «demande que soit accordé sans plus attendre un visa à l’enfant pour qu’il puisse quitter Djibouti et vivre pleinement sa vie d’enfant auprès de ses parents ». Un acte certes symbolique mais qui a son poids politique, du moins on l’espère pour l’enfant, et qui honore notre assemblée, car elle relève du même humanisme qui par le passé a fait de la Corse une « île des justes ».
Fabiana Giovannini.