« L’histoire de Corse Bois Énergie naît à la fin des années 80 du pari fou de quelques personnes visionnaires » témoigne Nadine Nivaggioni, la présidente de la SAELM Corse Bois Énergie. Des visionnaires qui ont cru en la capacité de la forêt de développer toute une industrie. Depuis, Corse Bois Énergie a fait son chemin. C’est aujourd’hui une Société anonyme d’économie mixte locale, avec deux principaux actionnaires, la Collectivité de Corse, et le groupe Ferrandi qui, en entrant au capital de CBE, a souhaité diversifier son activité, ce qui a permis de franchir un pas supplémentaire dans l’organisation de Corse Bois Énergie.
Aujourd’hui, l’entreprise a besoin de faire un nouveau bond en avant. Compte tenu de la faiblesse de l’exploitation en forêt, la SAELM se voit contrainte de développer davantage cette activité pour faire face à la demande en plaquettes. Elle vient d’éditer un livret pour faire comprendre tout l’intérêt du Bois Énergie pour la Corse. Joseph Alfonsi, directeur général de Corse Bois Energie répond aux questions d’Arritti.
Quel est le cœur de métier de Corse Bois Énergie ?
Joseph Alfonsi – Notre mission première est d’approvisionner les chaudières biomasse, essentiellement sous maîtrise d’ouvrage Collectivité de Corse, c’est-à-dire lycées, collèges, hôpitaux, EPHAD, avec la production de plaquette forestière à partir de notre site d’Aghjone… On sent bien que les acteurs politiques, maires, communautés de communes, réfléchissent aujourd’hui à basculer l’approvisionnement de leur vieille chaudière vers une alimentation en biomasse. Nous les accompagnons dans la réflexion, notamment avec l’AUE, pour aller vers une énergie plus propre que le fioul ou le gaz. De même, vous avez des acteurs économiques privés, toutes sortes d’entreprises, qui vont passer à la biomasse.
Dans le même temps, on poursuit le raccordement des bâtiments au Réseau de chaleur cortenais, qui est la finalité de notre métier, puisqu’on délivre de l’énergie calorifique. Des aides et dispositifs sont aujourd’hui en place permettant de soutenir les porteurs de projets. Avec l’expérience acquise, Corse Bois Énergie a vocation à se positionner sur d’autres sites qui essaient de mettre en place des réseaux de chaleur. La situation n’a jamais été aussi bonne pour la filière bois énergie en Corse. Mais en amont de tout ça, il nous est de plus en plus nécessaire de faire aussi de l’exploitation forestière.
C’est-à-dire ?
Historiquement, on était approvisionné par des exploitants forestiers pour 75 % et on avait 25 % d’approvisionnement par nos propres moyens. Aujourd’hui on a une désaffection quasi-totale des exploitants et on est obligé de monter en forêt. Ça va l’être de plus en plus si nous voulons développer les projets biomasse que nous ambitionnons.
Pourquoi cette désaffection ?
Il y a plusieurs raisons, la première c’est je pense une population qui a vieilli et qui n’a pas de relève. La forêt, c’est difficile, la vie sociale y est compliquée avec la désertification de l’intérieur. Pour que ce soit rentable, il faut vraiment travailler beaucoup, avec de la méthode, de l’organisation, du financement. Des aides existent mais les jeunes hésitent à se lancer. Tout ceci fait que c’est un métier qui disparaît progressivement. De notre côté, on n’a pas le choix. On a besoin de 10.000 tonnes de bois énergie par an. L’an dernier, on s’est approvisionné à 50 % par nos propres moyens. Ce qui nous conduit à raisonner désormais en trois métiers.
Qu’est-ce que cela implique ?
On est en forêt, il faut un débardeur, un tracteur forestier, un grumier, ça complique les coûts. Pour la petite histoire, un broyeur c’est 500.000 €, un grumier 350.000 €. Ce métier est très gourmand en capital : l’entretien, l’amortissement, etc., il nous faut redimensionner nos moyens. Cela veut dire que nos actionnaires vont être amenés à faire des choix. Ou on considère qu’il y a un avenir à la filière bois énergie, et on entre dans le cadre d’une politique affichée, en accompagnant cette société, qui est la leur. Ou bien on estime que c’est beaucoup trop coûteux et il faut réfléchir à un autre modèle.
Notre actionnariat aujourd’hui est mixte, il faut peut-être l’ouvrir davantage. Regroupement d’acteurs locaux, grand groupe, banques… on réfléchit à différentes pistes.
Pratiquement comment se déroule votre quotidien sur le terrain ?
Sur Aghjone, on va chercher le bois en forêt par nos propres moyens ou via les exploitants. On le stocke pour le séchage, puis on attaque le broyage. Ensuite on crible, on expurge la matière de toutes les poussières impropres à la combustion et on stocke la plaquette forestière avant qu’elle ne soit livrée vers les différents sites. C’est une véritable activité industrielle de transformation.
Sur Corti, on a une chaufferie constituée de deux chaudières biomasse, et une fioul de secours. On est un des seuls réseaux en France à tourner à 100 % à la biomasse. Et à travers un réseau de canalisation de 3,5 km, 7 km aller-retour, on alimente un ensemble d’une trentaine d’établissements, essentiellement publics mais pas seulement puisque 42 % de notre production est destinée à des logements collectifs. On ne chauffe pas que des bâtiments administratifs, on distribue de l’eau chaude sanitaire, du chauffage et du froid l’été à des foyers cortenais ! On chauffe aussi l’université et un certain nombre d’autres bâtiments importants comme l’hôpital, etc.
D’où la volonté de communiquer sur l’intérêt du bois énergie ?
Effectivement, tout le monde connaît Corse Bois Énergie mais en dehors de la chaufferie, concrètement, très peu de gens savent que l’on alimente des locaux en ville, et parmi les gens chauffés par le réseau de chaleur urbain très peu savent que c’est un réseau biomasse, c’est-à-dire complètement vertueux au plan environnemental. On a donc souhaité communiquer sur les bienfaits de notre activité pour l’ensemble de la Corse.
La biomasse est une énergie propre ?
Oui, par le principe de la neutralité carbone. Lorsque vous brûlez, vous rejetez du CO2, on a des filtres très importants bien sûr, mais ce que l’on rejette d’un côté, la forêt l’absorbe de l’autre côté dans sa croissance. Bien sûr ça n’est pas instantané, mais sur un cycle de vie d’une forêt, la biomasse entre dans le champ des énergies renouvelables grâce à ce principe de neutralité carbone. Ce qui n’est pas le cas des énergies fossiles comme le pétrole ou le gaz qui ne sont pas renouvelables et très néfastes pour l’environnement. Le réseau de chaleur urbain de Corti a un taux d’énergie renouvelable de 99 % contre 60,5 % pour la moyenne des réseaux de chaleur en France qui ont un apport de fioul. La quantité totale de CO2 évitée en 2021 par notre réseau s’élève à près de 3611 tonnes, soit l’équivalent de 2362 vols aller-retour Paris-NewYork ou 8826 trajets Paris-Marseille en SUV diesel !
Mais il y a forcément une limite, quelle est la production idéale en bois énergie ?
Selon les estimations, il y aurait en bois énergie, sans compromettre la capacité de régénérescence de la forêt, entre 50.000 et 70.000 mètres cubes de bois prélevable par an. Ce gisement n’est pas forcément totalement exploitable compte tenu des difficultés de l’extraction en forêt, dans des zones parfois inaccessibles, parce qu’il faut raisonner en coût avec l’exploitation en relief, l’ouverture de pistes etc. Corse Bois énergie consomme 10.000 tonnes par an. Mais il y a des projets un peu partout avec les subventions délivrées aujourd’hui, il faut donc veiller à gérer des équilibres car on peut vite monter à 40.000 ou 45.000 tonnes par an, ce qui me semble le maximum de ce que la Corse peut supporter. L’objectif est aussi d’entretenir notre patrimoine forestier et de préserver la forêt des incendies et des maladies.
En termes d’emplois, que représente la filière ?
Une consommation de 500 à 1500 tonnes par an de biocombustible implique la création d’un emploi direct. Pour produire la même quantité d’énergie, il faut 3,7 emplois dans la filière bois énergie contre un seul pour le gaz et 1,2 pour le pétrole. À partir d’une ressource locale qui permet d’entretenir un patrimoine naturel, le bois énergie entre parfaitement dans l’objectif d’autonomie énergétique pour la Corse, non dépendante de l’offre mondiale dans le contexte de crise énergétique que l’on sait. C’est pour cela qu’il faut soutenir la filière, et particulièrement l’outil Corse Bois Énergie qui bénéficie d’une longue expérience et qui a démontré ses capacités. Cependant nous travaillons à flux tendu, il faudrait qu’on ait plus de personnel. Il va falloir répondre à toutes ces demandes.
Et concernant le coût de cette énergie ?
La plaquette forestière est l’un des combustibles les moins chers. Et au-delà de la plaquette, quand on délivre l’énergie, ça reste un coût très avantageux. Par exemple si les 80 logements sociaux de Corti, depuis 2015, avaient été chauffés au gaz, ça aurait coûté 28 % de plus aux locataires, et 40 % de plus s’ils s’étaient chauffés à l’électricité. Le jeu en vaut la chandelle, c’est pourquoi on a souhaité communiquer, pour que les gens comprennent bien tous les avantages du bois énergie.
Environnement, coût, emplois, il y a un vrai intérêt à exploiter le bois énergie, est-ce que la Collectivité de Corse vous suit ?
Actuellement, on a une vraie prise de conscience sur la capacité de produire de l’énergie à partir d’une ressource naturelle qui est le bois. Le président de l’Exécutif semble convaincu qu’il faut donner les moyens à cette structure de se développer, mais il faut aller plus vite. Corse Bois Énergie est une structure qui a fait le maximum qu’elle pouvait faire jusqu’ici. On a fait des propositions de restructuration pour que la société puisse s’engager vers ces nouveaux défis. Il faut que les actionnaires suivent. Le but est de structurer la filière et de la faire contribuer à l’objectif d’autonomie énergétique à l’horizon 2050. L’entreprise colle parfaitement aux objectifs définis par la majorité territoriale. Elle a plusieurs perspectives de développement. D’où le besoin de redimensionner la société, d’investir sur de nouveaux engins, et d’aller chercher la ressource en forêt. Il faut vraiment le faire et vite. •
Corse Bois Énergie en quelques chiffres
. 2M€ de chiffre d’affaires
. 8 emplois : 2 sur Corti, le reste sur Aghjone (2 en forêt et le reste des agents et des chauffeurs livrant sur toute la Corse)
. 10.000 MGW produits sur Corti en 2022
. 10.000 tonnes de plaquettes forestières dont 50 % pour alimenter Corti
. 11.500 tonnes de bois énergie, 50 % extraits par Corse Bois Énergie •
« Le savoir-faire de nos équipes, très impliquées depuis 30 ans dans l’extraction forestière, la production et la distribution de plaquettes ainsi que dans la gestion d’un réseau chaleur, nous positionne en acteur-clé de la structuration du secteur de l’énergie biomasse. » Nadine Nivaggioni