Sucietà

La GPA en question

Il existe des sujets de société que l’on évite. Le plus souvent par gêne, ce qui signifie une méconnaissance grave. Arritti met les pieds dans le plat pour tenter de faire comprendre que la GPA, c’est-à-dire la gestation programmée pour autrui, n’est pas une chose anodine pour la femme, comme pour l’enfant d’ailleurs, ou la société. C’est en tous les cas loin d’être la générosité que vantent ses défenseurs. Explications.

 

 

Les pour invoquent le droit à être parents, qu’ils soient couples homosexuels ou couples hétérosexuels dans l’incapacité de procréer. Les contre invoquent une marchandisation du corps de la femme, un danger pour sa santé et pour celle de l’enfant, qui devient l’objet d’un contrat. Bref un véritable système crapuleux.

Le tout produit des débats vifs qui entraînent une prudence du monde politique préférant éviter le sujet. Et, comme toujours en pareil cas, le laisser faire conduit à un laisser prospérer. Pourtant la GPA pose des questions graves. Le Parlement européen s’y est clairement opposé considérant dans un rapport en janvier dernier que « l’exploitation sexuelle à des fins de gestation pour autrui constitue une violation de la dignité humaine ».

La militante féministe Marie-Josèphe Devillers alerte depuis longtemps sur les dangers sanitaires, sociaux ou moraux de la GPA. Elle a fondé avec d’autres la Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution (Ciams), dont elle est coprésidente. Elle vient de cosigner le livre « Ventres à louer, une critique féministe de la GPA » qui regroupe plusieurs contributions.

 

La GPA consiste à recruter une femme dans le but de lui faire porter un ou plusieurs enfants conçus ou non avec ses ovocytes, au profit de parents dits de substitution. « Les risques ne sont pas anodins » explique Marie-Josèphe Devillers qui dénonce ce « dispositif marchand » et ses conséquences sur la vie des femmes concernées. Outre les neuf mois de gestation et les problèmes liés à la grossesse, la fécondation in vitro n’est pas sans risque en effet. Il y a prélèvement d’ovocytes (si la mère d’intention est stérile) sur la femme destinée à porter l’enfant ou, plus fréquemment désormais, sur une tierce femme. Puis les gamètes prélevés sont fécondés in vitro avec le sperme du père (ou du donneur) et les embryons transférés dans l’utérus de la mère-porteuse. Pour que l’utérus accepte ce qui est in fine un « corps étranger », on procède préalablement à un traitement hormonal de la femme destinée à porter l’enfant. « Il y a de gros risques d’infection, et donc une surmédicalisation pour réduire ce risque » explique Marie-Josèphe Devillers.

Dans le cadre d’une grossesse normale, les risques, en fonction de l’âge de la femme, de son état de santé, ou des difficultés pouvant survenir durant la grossesse (hypertension, grossesse multiple, césarienne…) sont assumés et s’effacent face au désir d’être mère. Dans le cas d’une mère-porteuse qui ne conservera pas l’enfant, l’objectif est le taux de réussite commerciale de l’opération, et la mère-porteuse n’est qu’un « instrument » dont le bienêtre physique ou moral n’est la priorité que dans les limites de la santé de l’enfant. « En cas de situation de conflit materno-fœtale, on privilégie la santé de la mère. Mais si le fœtus est l’enjeu de la grossesse, on raisonnera autrement et on prendra des risques pour la mère » explique Frédéric Chiche, gynécologue-obstétricien à l’hôpital américain de Paris.

« Il y a des décès de mères-porteuses, mais le nombre est top secret » dénonce Marie-Josèphe Devillers. Le risque existe puisqu’il est clairement stipulé dans les contrats que signent la mère-porteuse…

Bien sûr les futurs parents ne voient pas les choses ainsi et s’arrête à leur bonheur mais comment faire abstraction de tout le système commercial qui s’élaborent autour de ce désir d’enfant ? « Ce qui me frappe, c’est l’omniprésence de l’argent dans les processus de GPA. Les flux d’argent sont multiples. On paie les médecins, le processus médical, les agences, les avocats. Il s’agit d’un vrai business autour de la procréation, qui a tout d’un marché et de ses caractéristiques classiques : développement parallèle d’un tourisme procréatif et délocalisation à travers des appels d’offres de GPA “low cost” » explique la réalisatrice et scénariste Eliette Abécassis.

 

Un business très prospère, estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an dans le monde. Les cliniques spécialisées se multiplient aux États-Unis, en Inde, et des pays comme l’Ukraine ou la Russie sont des références pour fournir dons d’ovocytes et/ou mères-porteuses. En Ukraine, on trouve de nombreuses femmes pauvres, blondes aux yeux bleus, et la guerre qui y sévit a révélé à quel point l’on pouvait faire de la fonction reproductive une industrie. Il y a là un parallèle que l’on peut faire avec le tourisme de prostitution d’enfants en Asie : lorsque l’offre est créée, il n’y a pas moyen d’arrêter le commerce. On a vu à quel point l’éthique ne pèse pas lourd dans des conditions extrêmes, avec les médias qui se sont lamentés sur des parents soucieux de récupérer le nourrisson en Ukraine sans chercher à savoir ce qui pouvait arriver à la mère-porteuse abandonnée sous les bombes…  Et comment expliquer que des pays qui ont légalisé la GPA comme les États-Unis ou l’Australie, ont recours à des mères-porteuses ukrainiennes si ce n’est pour abuser de leurs conditions sociales ? Même chose dans la situation des réfugiées syriennes contraintes de « louer leur ventre ». Et comme tout bon système crapuleux, il s’adapte ! L’industrie de la reproduction humaine ne pouvant plus recruter à Kiev avec la guerre, elle se tourne désormais vers les jeunes ukrainiennes réfugiées en Europe… stumacheghju !

 

Il s’agit d’un achat d’enfant, pour lequel le « dédommagement » de la mère-porteuse est dérisoire alors qu’elle s’expose physiquement. Sans parler des risques post-accouchement de détresse psychologique et de dépression qui peuvent s’installer.  Pour la philosophe Sylviane Agacinski, militante au sein du Collectif pour le respect de la personne (Corps), « ce n’est pas innocent de porter un enfant neuf mois et de s’en séparer ».

« Faire vivre à une femme l’idée qu’elle est enceinte mais sans finalement qu’elle ait un enfant est une drôle d’expérience dissociative expérimentale » estime encore Frédéric Chiche, « il faut être capable de se cliver psychiquement fortement pour s’en protéger ».

De même, le don d’ovocytes « n’est pas bénin d’un point de vue de santé ». Outre un traitement hormonal complexe, l’opération chirurgicale peut aller jusqu’à la perte d’ovaires. Or, ce sont souvent des femmes jeunes, étudiantes sans le sou, que le système va démarcher. En Espagne, aux États-Unis, des affiches sont apposées à la sortie des universités.

Le « marché » recrute fortement en Syrie, dans les camps de réfugiés, en Thaïlande, en Birmanie où ce commerce est plus lucratif que la prostitution de traite humaine !

C’est dire si la notion de « consentement » invoquée pour faire croire à la bonne volonté des femmes concernées, est un prétexte fallacieux. Pour les opposants à la GPA, le marketing développé au moyen des expressions « GPA éthique », « GPA altruiste », « solidarité » est scandaleux. Il s’agit « d’une exploitation humaine » (Marie-Josèphe Devillers), pour la mère-porteuse, mais aussi pour l’enfant considéré comme un bien que l’on achète.

 

Les prétextes invoquant « le don de soi », on le voit, sont vite battus en brèche dès que l’on entre dans le sujet. Et que dire des abandons d’enfants non conformes à « la commande » qui a été passée ? À Bangkok, en 2016, une mère-porteuse de 21 ans s’est retrouvée avec un petit garçon, trisomique à la naissance, rejeté par un couple d’australiens qui ont conservé sa petite sœur jumelle en bonne santé. Vous avez dit « GPA éthique » ?

Certains hommes politiques souhaitent restreindre la GPA au seul cadre familial ou hors versement d’argent. Comme si l’on pouvait encadrer la morale ! Au nom de l’éthique, si l’on ne peut vendre un enfant, peut-on le donner ? Et que dire de la pression morale exercée sur une mère-porteuse par sa sœur stérile ? Ou du don de sperme d’un frère pour sa sœur qui porterait l’enfant de sa belle-sœur ? Il n’y a pas d’encadrement possible à la dignité des personnes et au risque pour leur santé. « Mon opposition à la gestation pour autrui (GPA) comme à la procréation médicalement assistée (PMA), quelle que soit l’orientation sexuelle des personnes qui y ont recours, est le prolongement du combat que je mène depuis trente ans contre la manipulation du vivant » explique José Bové (2018). « Cela a commencé dans les années 1980 par l’arrivée des premiers OGM et les premiers brevets sur les plantes. Mais aussi avec les sélections de plus en plus précises des animaux d’élevage industriel et la création du premier clone (brebis Dolly) (…) La GPA – comme la PMA – n’est que le prolongement de ces technologies productivistes que l’on prétend appliquer aux humains. Si on l’accepte, on ouvre la boîte de pandore de l’eugénisme et du transhumanisme. On entre dans une logique de sélection qui instaure une rupture fondamentale du lien entre procréation et biologie, la technologie prenant le pas sur la condition humaine et ce qui fait société. »

Pour Gisèle Halimi, avocate, figure féministe, « la maternité pour autrui constitue en réalité une aliénation profonde de la personne tout entière et une marchandisation de son corps et de celui de l’enfant ; elle est par là contraire aux droits fondamentaux de la personne et à la dignité de son corps, et elle ne saurait être légitimée par des désirs ou des intérêts subjectifs. Il ne peut y avoir de “droit à l’enfant”. Loin d’être un progrès, toute légalisation de cette pratique représenterait une régression du droit, une extension du domaine de l’aliénation et un mauvais combat pour la gauche et pour les femmes. »

 

« On ne dispose pas d’un être humain, on ne dispose pas d’un enfant » dit encore Marie-Josèphe Devillers, qui prévient justement sur la demande de légalisation de la GPA en France. « Les expériences de légalisation en Grèce, au Royaume Uni démontre qu’on a rendu socialement acceptable ce qui ne peut pas l’être ».

Des organisations d’enfants nés de dons de gamètes s’élèvent d’ailleurs contre le recours à la GPA dénoncée comme une pratique marketing. En 2018, une coalition internationale s’est constituée dénonçant « le néolibéralisme dans la reproduction du vivant ». Le Canada l’a interdit « au nom de la dignité humaine », et y compris de plus en plus de mouvements gays prennent position contre.

Elle est interdite en France au nom du principe « d’indisponibilité du corps humain » passible y compris de peines de prison, mais l’application de la loi est biaisée, compte tenu du fait accompli et donc de destin d’enfants à gérer. Et, pendant que progresse le recours illégal à la GPA, le nombre d’adoption régresse face aux difficultés de la législation. C’est dans une réforme en profondeur de l’adoption que se situe une partie de la solution à la prise de conscience de l’ignominie de la GPA, avec des coopérations au niveau internationale pour lutter contre cette traite humaine et tous les trafics qu’elle engendre. Un enfant n’est pas une marchandise. Il a des besoins spécifiques et c’est un travail de conscience sur les futurs parents qu’il faut aussi faire car le désir d’enfant ne donne pas tous les droits. L’adoption comme la GPA ne peuvent s’exonérer en aucune manière du devoir de la protection de l’enfance et plus généralement des droits humains. Sur 3464 pupilles de l’État en France au 31 décembre 2020, 895 étaient confiés en vue d’une adoption et pas tous n’avaient trouvé une famille. Ceux qui restent demeurent en familles d’accueil ou en foyer pour l’enfance, sans espoir de trouver des parents. •

Fabiana Giovannini.

 


 

Dans les années 80, la GPA consistait en une insémination du sperme des parents, la mère-porteuse était mère biologique. Puis avec la généralisation de la FIV, les ovocytes ont été apportés par les parents d’intention (ou par des tiers), la mère-porteuse n’est plus liée génétiquement à l’enfant dans 90 % des cas. Ce qui fait qu’une mère noire par exemple peut produire un enfant blanc ou vice-versa.

Il s’en est suivi un développement du marché considérable des dons d’ovocytes (notamment en Inde qui depuis a restreint sa législation), où les parents d’intention peuvent choisir l’enfant qu’ils souhaitent. Certaines cliniques proposent toute une série de choix d’ovocytes sur catalogue où l’on peut multiplier les chances de disposer de la taille, la couleur des yeux ou des cheveux du futur enfant, tout une série de stéréotypes voire de critères raciaux… Ces catalogues proposent d’optimiser le niveau d’intelligence de l’enfant, avec une donneuse d’ovocyte plus recherchée si elle a un bon niveau d’études, des goûts particuliers, du talent ou non pour le sport, ou tout autre critère qui fait monter les enchères… •

 


 

Il y a des milliers de naissances par GPA dans le monde. On estime à 2000 enfants au moins les naissances aux États-Unis, 5 à 600 au Royaume Uni, 3 à 4000 en Ukraine… Et entre 200 et 300 bébés nés par GPA arrivent en France chaque année. Les mères porteuses sont indemnisées en moyenne 2000 euros au Mexique, 35 à 40.000 euros aux États-Unis, moitié moins en Ukraine ou en Russie… pour des coûts, pour les parents d’intention, qui peuvent aller jusqu’à 100 ou 150.000 euros. On comprend que la mafia s’intéresse à ce marché… •