Chez nos confrères de la presse régionale

« Le Peuple Breton » a 60 ans !

Gaël Briand est le rédacteur en chef du plus ancien mensuel de Bretagne : Le Peuple Breton fêtera ses 60 ans le 29 avril prochain. Investi depuis 13 ans au chevet du grand frère d’Arritti parmi les presses régionales, Gaël nous raconte ce que représente ce média pour la Bretagne et comment a cheminé ce combat.

 

 

Le Peuple Breton va fêter ses 60 ans dans quelques semaines. Raconte-nous son histoire…

Il naît en même temps que l’Union Démocratique Bretonne, le mouvement autonomiste breton, dans une chambre, à Rennes… 17 personnes, 16 hommes et une femme, se disent on va créer un parti en rupture du MOB, le Mouvement pour l’organisation de la Bretagne*, et donc ils se dotent d’un mensuel. Le ton est donné dès le premier numéro : c’est le journal de l’UDB ! Une sorte de « feuille de choux », recto-verso. Le second numéro se finance avec les ventes du premier. Aujourd’hui, il paraît sur une trentaine de pages. À l’époque, en 1964, la presse est très centralisée et ne s’intéresse pas à la matière Bretagne. Aujourd’hui ce n’est plus du tout pareil, on en parle beaucoup plus. Dès le premier numéro, Le Peuple Breton explique aussi à qui il est destiné : c’est un magazine militant, qui fait en sorte de définir le peuple breton, avec une vision civique. Il ne faut pas forcément parler breton, être originaire de Bretagne, la question est : est-ce qu’on se sent breton ? C’est donc un journal qui ressemble à l’UDB, un journal de gauche, autonomiste déjà à cette époque-là, avec la priorité au social. On parle des cheminots, des conducteurs de tram, des ouvriers, l’UDB c’est aussi un parti qui a une origine marxiste. On est en plein dans la lutte des classes. Et puis petit à petit le journal a évolué, il s’est étoffé, en même temps que l’UDB. On a eu les mêmes crises et les mêmes moments de développement.

 

Comment avez-vous ressenti ce besoin de créer une presse ?

Le constat est toujours valable malheureusement : les médias ne parlent pas de nous. Même si c’est mieux aujourd’hui notamment dans les quotidiens. Mais en 60 ans d’existence, on n’a jamais été à l’antenne. France Inter, France Infos, les radios de service public notamment, ne nous ont jamais invité. Et donc il nous fallait, et il nous faut encore, un média pour parler de chez nous. C’est un peu le caillou dans la chaussure, on s’appelle « Le Peuple Breton » dans une France Une et Indivisible qui ne reconnaît pas notre peuple ! Notre existence est pourtant reconnue d’une certaine façon, on l’a vu avec la polémique en janvier dernier avec notre Une un peu spéciale, tous ceux qui disaient pendant des années, le peuple breton n’existe pas, ont finalement essayé de nous expliquer ce qu’il devait être ! Qu’un petit métis représente le peuple breton, ou puisse le représenter aussi, ça a choqué les gens, mais personne ne s’est dit heurté par le titre : « Le peuple breton, un peuple vivant » !

 

C’est quoi le message de cette Une, l’affirmation d’une identité bretonne ?

C’est ça. On nous a beaucoup fait le reproche à une époque que je n’ai pas connu en nous demandant pourquoi vous ne l’avez pas appelé « le prolétaire breton » ? En fait, comme l’un des objectifs majeurs de l’UDB c’est de faire la distinction entre citoyenneté et nationalité, de dire qu’il y a un peuple breton, je trouve que ce titre est bon et qu’on ne pouvait pas faire mieux. Mais effectivement quand on est baigné dans une culture française et qu’on entre dans le militantisme breton, voire qu’il y a un journal qui s’appelle Le Peuple Breton, ça n’est pas évident. Il y a encore des gens qui nous disent, si vous ne vous appeliez pas Le Peuple Breton ce serait vraiment un journal qui serait reconnu… Mais nous, notre objectif il est là : la reconnaissance officielle des peuples dans l’hexagone, et notamment du notre. En fait c’est bien le problème : on a le droit de se dire Corse ou Breton, la France ne nous interdit pas ça, par contre collectivement ça n’existe pas. Le fait de se dire Breton ou Corse, n’amène aucun droit. Or c’est ce qui compte pour nous : la reconnaissance du fait de l’identité collective implique derrière des droits.

 

Après six décennies, quel rôle pensez-vous que Le Peuple Breton a apporté à votre lutte ?

Ça fait 13 ans que je suis rédacteur en chef. Quand j’ai pris le journal, j’avais 26 ans, j’ai succédé à Ronan le Prohon qui était l’un des fondateurs. C’est un héritage, et j’ai été fier et heureux d’être formé par lui. En 13 ans, je vois déjà la différence, il y a eu une influence. Plus on vieillit, plus les gens se disent, quand même c’est pérenne. Maintenant ce journal c’est presque l’histoire de la Bretagne, ce n’est pas que notre histoire ou celle de l’UDB. On représente un pan du patrimoine et de l’histoire, même si on reste petit, on a eu une influence énorme en termes idéologiques. Notamment ces dernières années avec l’effondrement de la gauche en France, elle est venue piocher dans nos idées.

 

Comment ça ?

D’abord dans la mise en avant de l’autonomie. Tout ce qui est problème du logement, c’est nous, tout ce qui est langue bretonne aussi, la gauche, voire même une partie de la droite, sont venus piocher dans nos idées. Maintenant les sujets qui sont populaires dans la population, mais surtout dans les institutions, je pense au conseil régional, c’est beaucoup les nôtres. Comme on se veut presse d’opinion, qui fabrique de la pensée, qui monte des dossiers, de fait, on continue à réfléchir dans un monde politique qui idéologiquement s’est dégradé. Depuis la chute du mur de Berlin, puis la chute de l’URSS, tout le monde est néo-libéral, c’est le capitalisme partout, la gauche a du mal à se réinventer, et nous, notre récit politique il est de gauche. Mais il dit aussi regardez il y a des peuples, et ils ont des droits. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la subsidiarité, le local, d’une certaine façon. Par exemple tout ce qui est alimentaire.

À l’UDB, on est en plein dans ces sujets-là, que ce soit le bio, le produire local, tous ces thèmes où on a été précurseurs. Notre virage écolo ne date pas d’il y a 5 ou 10 ans, mais de la fin des années 70, début des années 80. À la création de l’UDB en 1964, les Verts n’existaient pas. En 1978, notre virage écologiste est plus marqué, les Verts n’existent toujours pas. À la différence de vous en Corse, on a hésité sur certains sujets, et notamment sur le nucléaire. Il y avait des affiches anti-nucléaires, mais on était surtout dans les combats contre le remembrement, contre les marées noires. Donc oui il y a eu une influence, même si je pense qu’elle est plus importante maintenant paradoxalement.

Au début, l’UDB était beaucoup plus puissante. Le Parti Communiste notamment en avait peur. On est monté très vite, entre 1964 et 1969. Après, il y a eu une première crise, quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, ça a naturellement renforcé la gauche.

 

Comment se porte la Bretagne aujourd’hui ?

Elle se porte plutôt bien quand on regarde sur 60 ans, elle s’est enrichie. On était pauvre dans les années 60. Avant il y avait l’émigration, aujourd’hui c’est l’inverse, les gens veulent venir vivre en Bretagne pour des raisons climatiques ou de qualité de vie.

Le peuple se porte bien aussi. Il y a beaucoup de gens qui se revendiquent bretons. Le gwen a du, drapeau breton, est arboré dans toutes les manifestations sportives, culturelles, à toute occasion. C’est accepté. Il y a vraiment un fort engouement pour la langue bretonne, mais les gens ne vont pas jusqu’à la parler. D’un point de vue linguistique, c’est compliqué. 70 % des gens qui parle notre langue ont plus de 70 ans. On est 200.000 à le parler, ça veut dire que dans 30 ans on sera 50.000, c’est très inquiétant.

Je pense qu’il y a vraiment une affirmation de l’identité bretonne, pour autant pour certains c’est de basse intensité. Je dirai qu’il y a des motifs d’espoir, mais on n’a pas transformé l’essai, et on n’arrive pas, politiquement à percer. L’UDB reste avec une influence modeste, idéologiquement oui, mais dans les votes ça ne se ressent pas assez. Les gens nous disent c’est génial ce que tu dis, mais je vais voter pour le voisin parce que les législatives c’est du sérieux !

 

Combien d’élus compte l’UDB ?

On a quatre élus régionaux, une députée européenne, une soixantaine d’élus communaux. Ce n’est pas suffisant pour une population de presque 5 millions de personnes.

 

Le projet pour Le Peuple Breton c’est quoi maintenant ?

Au-delà du quotidien, le projet c’est la numérisation du journal, comme pour Arritti. Je suis en train de reconstituer une collection. Nos archives ne sont pas complètes. La numérisation c’est important pour que tout le monde puisse avoir accès à nos articles.

 

Quelle est votre diffusion ?

Notre tirage reste faible, 2500 exemplaires, principalement sur abonnements. On a quelques kiosques qui nous distribuent surtout en basse Bretagne, c’est-à-dire le Finistère, et une partie des Côtes d’Armor et du Morbihan, mais c’est insuffisant. La diffusion c’est le cœur du problème. On aimerait être diffusés partout, quitte à ne pas gagner d’argent, mais les diffuseurs ne sont pas intéressés. Ils préfèrent avoir peu de magazines qui rapportent beaucoup, plutôt que beaucoup de magazines qui rapportent peu. En Ile-et-Villaine à Rennes, à Nantes en Loire Atlantique, on n’est pas diffusé. Heureusement on a de la vente directe, de plus en plus. J’en suis assez fier parce que j’ai l’impression qu’il y a un militantisme de journal qui revient. Des sections qui se remettent à vendre le journal, notamment avec cette Une dont je parlais tout à l’heure. Il y a beaucoup de gens qui étaient assez fiers de dire « c’est notre journal » !

 

Et cette Une, c’était l’affirmation d’un monde qui change, d’un peuple qui intègre ?

Pour être honnête je ne me suis pas posé toutes ces questions. Je connaissais cette photo depuis longtemps, je la trouvais superbe. Illustrer la langue ou la culture, ça n’est pas toujours évident. Des gens ont dit que c’était un peu cliché, c’est vrai, mais il y a un cliché qui détonne par rapport à d’autres, c’est que c’est un enfant métis, avec un chippen traditionnel, et un petit drapeau breton, le gwen a du. En fait je me suis dit, pourquoi lui ne représenterait pas aussi le peuple breton ? Je connais son histoire, il a été à Diwan, il parle breton. Ce qui a choqué, c’est un petit métis avec le titre « Un peuple vivant », certains se sont projetés difficilement dans cette image. Mais nous avons eu énormément de réactions positives et d’encouragements.

 

Vous souffrez vous aussi en Bretagne de la montée des extrémismes et d’une récupération déviante du sentiment identitaire ?

La parole s’est un peu libérée, mais chez nous c’est relativement modéré. Les gens qui sont outranciers et compagnie, ça ne marche pas. Ça apparaît, c’est tout nouveau, mais ça ne marche pas. En fait, comme le dit notre responsable de l’UDB Neil Caouissin, si l’extrême-droite est violente, c’est parce qu’elle est faible en Bretagne.

On a eu une vague de solidarité derrière le peu de critiques. À tel point que la maire de Quimper par exemple a fait ses vœux avec la Une du « Peuple Breton » en toile de fond. Ou la maire de Paimpol qui est PS et qui dit « Bravo c’est ça que l’on veut voir en Bretagne ». Bref c’est une Une qui continue sa vie, et les gens l’utilisent pour dire « c’est ça la Bretagne » ! Alors qu’avant le peuple breton, si on pouvait ne pas en parler, c’était mieux. •

 

* Mouvement prônant le fédéralisme, fondé début des années 50 mais qui n’existe plus aujourd’hui.