Sguardu di giuventù

Léa Ferrandi : « La Corse qui n’est pas autonome, c’est une aberration »

Arritti prisenta à i so lettori e so squadre… Sò una manata di giòvani corsi oghje à impegnassi in giru à u nostru settimanale. Un soffiu di friscura chì face prò ! Léa Ferrandi hà 27 anni. Hè d’una famiglia autunumista di prima trinca, è si prisenta à i nostri lettori cù una pensata bella astuta.

 

 

Présente-toi à nos lecteurs…

Je suis Léa Ferrandi, j’ai 27 ans. Je suis originaire de Casinca où j’ai grandi, et d’une famille Fiumurbaccia par ma mère, où j’ai grandi aussi à Morta. Petite fille de Roger Susini et de la famille de Charles Susini mon grand-oncle, j’ai été très vite dans le bain de tout ce militantisme. J’ai fait des études de Droit puis Sciences-Po à Aix-en-Provence. J’ai une spécialisation dans les projets européens et actuellement je suis chargée de communication pour une association qui est chargée de la protection de la mer et de l’environnement en Corse.

 

Venir au nationalisme par héritage… c’est ton ancrage ou tu as aussi ton propre cheminement ?

C’est vrai que ce n’est pas facile d’avoir un héritage. Mon grand-père n’est pas un militant lambda. Il a participé aux événements d’Aleria, c’était un proche d’Edmond et de Max Simeoni. Très tôt j’ai été politisée, pour moi c’était normal. Mais le fait d’avoir grandie dans un milieu rural, et aussi un peu modeste, j’ai développé une pensée de gauche où je suis très sensible aux questions d’égalité, notamment homme-femme. Forcément, en tant que femme, je vois comment les choses fonctionnent… La lutte contre le racisme aussi, c’est un peu un package sans pouvoir donner de mon temps partout, mais ma réflexion s’est très vite orientée à gauche. À force de lire, d’entendre des témoignages, de voir ce qui se passe, je me suis dit qu’il y avait des mécanismes très liées aux inégalités et à la pauvreté. Au-delà de ce qui se passait en Corse, lorsque j’étais à Aix-en-Provence j’ai co-présidé durant deux ans une association qui s’occupait des sans-abris, et ça a été une grosse révélation sur l’image de la misère. Par-delà ce qui est visible, il y a tout un tas de mécanismes institutionnels. Ça m’a fait pas mal réfléchir sur le système. Et j’ai eu de la curiosité sur le fonctionnement des institutions. Je siège d’ailleurs à l’Assemblea di a Giuventù.

 

C’est une expérience qui t’a ouvert d’autres horizons ?

Ça me permet de préciser ma pensée. Être nationaliste et être de gauche déjà ça n’est pas antinomique, et il y a plusieurs nationalismes et plusieurs gauches. À l’Assemblea, je fais des rapports qui sont orientés sur le social, je m’intéresse aux questions environnementales, j’ai de la curiosité partout et j’essaie de comprendre aussi les réflexions de mes collègues d’autres groupes à droite, ou beaucoup plus à gauche. Je crois vraiment à une sorte de pacification où il y a des concepts qui sont bons à gauche, à droite, chez les nationalistes, il faut composer pour permettre à plus de gens de s’en sortir.

 

Comment s’est présentée cette opportunité de siéger à l’Assemblea di a Giuventù ?

C’était une initiative de ma part, par curiosité. J’ai vu l’appel sur les réseaux sociaux. Je savais ce que c’était mais sans plus. J’ai été sélectionnée sur candidature. Quand j’étais à Sciences-Po on simulait les représentations à l’ONU. Je me suis dit que c’était là encore un bel exercice de représentation, même si ce n’est que consultatif. On a un rôle intéressant, l’occasion de faire « comme les grands » : résolutions, motions, rapports. La présidente de l’Assemblée de Corse gère les sessions. On peut poser des questions orales, la frontière est très fine avec les élus, même si on n’est pas élus nous-mêmes. Bref on y apprend beaucoup. On comprend comment fonctionnent les institutions en Corse, quelles sont les hiérarchies, c’est incroyable comme expérience.

 

Tu penses que la jeunesse corse en général est tout aussi sensible que toi à la chose publique ou bien tu te sens privilégiée ?

Je suis privilégiée dans le sens où j’ai pu faire des études qui ne parlent que de ça. Par contre par rapport à ce que j’ai pu connaître sur le Continent je trouve qu’en Corse les jeunes s’intéressent énormément à la politique. On dit que la jeunesse corse est politisée, c’est complètement vrai. Je l’ai vu avec des jeunes qui ont fait des études très différentes des miennes, voire pas d’études du tout. Ça peut aller de très jeunes lycéens jusqu’à des doctorants, il y a une conscience politique.

 

Pourtant, on a l’impression de moins d’engagement ?

Je pense qu’il y a une différence entre avoir une conscience politique et s’investir. On n’a peut-être pas envie de franchir le pas ou on ne sait pas comment faire. Il y a un peu un plafond de verre, surtout dans les gros partis nationaux. C’est un peu dur de s’y engager, de s’y sentir valorisé. C’est différent dans les partis nationalistes, à quelques exceptions près, ils arrivent à mettre en avant les jeunes, au moins à reconnaître les quelques têtes qui viennent fréquenter les réunions. Je ne sais pas s’il y a moins d’engagement qu’auparavant, il y a peut-être aussi un engagement qui se fait via les réseaux sociaux. Les jeunes descendent moins manifester, mais il y a toujours moyen de s’informer en ligne et ils le font.

 

Tu penses que c’est beaucoup plus intellectuel que dans l’action ? Y compris au niveau associatif, on ne voit pas beaucoup de jeunes…

Ça dépend de quels secteurs on parle. À l’association où je travaille, la moyenne d’âge est de 25 ans. L’environnement c’est une des causes de la jeunesse. Il y a peut-être aussi une volonté de s’inscrire dans un processus un peu plus global. Et puis il y a l’ultra-localité des associations. Je trouve dommage que les jeunes ne s’engagent pas dans une association parce qu’elle est trop « locale » mais ça peut être une explication. Il y a aussi une question de communication. Les associations doivent travailler davantage la communication en direction des jeunes, notamment dans les réseaux sociaux, il faut savoir parler aux jeunes, prendre le temps et réfléchir de ce point de vue-là. C’est dur, parce que c’est un métier la communication. Mais pour nous parler, il faut le faire à travers les outils technologiques.

 

Cette sensibilité à l’environnement, elle te vient d’où ?

Le fait d’avoir grandi en Corse, dans un endroit qui est merveilleux. Quand je revenais du Continent durant mes études, j’étais émerveillée de voir la nature, les plages, la mer. Ici ça paraît évident que l’on soit dans un endroit aussi beau, mais quand on revient du Continent, on ressent le contraste et on y est forcément sensibilisé. J’ai eu la chance aussi d’être dans de petites écoles de village où les maîtresses avaient le temps de nous expliquer la nature, et en langue corse. On faisait des journées à Loretu, avec des cours de chants corses, on sortait dans la châtaigneraie, on apprenait a castagna, a nocca, etc. Ça m’a donné une inflexion pour la nature. Je pouvais jouer dans un grand jardin avec mon chien, avec le berger à côté et ses moutons, etc. Et puis en grandissant on a les informations sur le changement climatique, les pollutions, à quel point on a un équilibre fragile qu’on est en train de casser. Les études que j’ai faites expliquent les mécanismes de l’industrie, des déséquilibres pour les pays du sud, tout ça crée une conscience environnementale.

 

Tu t’engages en politique par rapport à tout ça ?

Oui, j’ai ma carte à Femu a Corsica. Ce choix, il est naturel évidemment par mon grand-père, Edmond, Max et Roland Simeoni, pour moi c’était normal, je fréquentais les réunions, les ghjurnate, etc. Après je ne suis pas encartée depuis très longtemps, en fait depuis 2019 où j’ai connu François Alfonsi qui m’a permis de faire un stage avec lui au Parlement européen. Ça a été un tournant dans ma vie. De la même manière qu’à l’Assemblée des jeunes j’ai compris les institutions corses, grâce à ce stage, j’ai compris le fonctionnement des institutions européennes. J’ai toujours eu de l’affection pour Femu a Corsica, mais c’est depuis ce contact avec François et son engagement que j’ai eu envie de m’investir davantage. C’est un peu compliqué aussi parce que je me considère comme de gauche et il y a des choses où je ne suis pas forcément d’accord. Je n’hésite pas à le dire parce que chaque critique est constructive. Je pense que c’est le parti qui me correspond le mieux parce que je reste très nationaliste avant tout.

 

Tu es la « Generazione Autunumìa », que penses-tu de ce processus ?

Je suis profondément autonomiste. Pour moi la Corse qui n’est pas autonome c’est une aberration. On est dans un monde où le fédéralisme c’est la norme, que ce soit en Europe ou dans le reste du monde, les régions se gèrent par elles-mêmes. Après, l’autonomie c’est avant tout un outil de gestion et c’est aussi ce qu’on en fait. Donc avoir une ligne claire, des objectifs précis, parce qu’on est face à la France qui est là pour saper les régions à forte identité comme la Corse. Il faut faire extrêmement attention car si on n’est pas bien armés du côté de l’agenda ça peut tourner à la catastrophe. L’autonomie, il faut apprendre à s’en servir et il faut savoir planifier. La Polynésie française a été complètement sabotée. Encore une fois il faut un agenda précis et sévère, on ne peut pas se permettre un relâchement. Lorsqu’on aura l’autonomie, il va falloir être exemplaire dans l’action car on aura peu de marges de manœuvres, tant économiquement que sur la gestion de l’environnement. Et surtout il faudra restés inscrits dans l’Europe. Bien que l’Union européenne ait beaucoup de défauts, ça reste une des meilleures alliées de la Corse en cas d’autonomie. Prendre en compte aussi les grosses menaces autour d’une Corse autonome, je pense notamment à l’emprise mafieuse. C’est ma plus grosse peur. La mafia se nourrit d’un État qui est faible. L’autonomie si on s’en sert mal ça peut être vu comme un Etat faible. Il faut ne laisser passer aucune faille, rester solides sur les valeurs et mettre en place des garde-fous en termes de justice avec l’État français.

 

Explique-nous ton intérêt pour Arritti et ta volonté de t’y investir ?

Je suis une journaliste contrariée. Mon rêve quand j’étais petite c’était d’être journaliste ! De la même manière que ma famille est militante autonomiste depuis X décennies, on est aussi abonnés chez Arritti depuis toujours. Pour moi c’était le journal corse, on parlait de choses que je ne voyais pas dans le quotidien et aux infos nationales. J’avais donc l’impression d’avoir des infos que pas tout le monde n’a ! Forcément aussi mon stage avec François m’a fait connaître l’équipe d’Arritti. J’ai de l’affection vis-à-vis de ce journal et je suis tellement fière de travailler dans une équipe où on s’entend tous très bien avec des gens qui ont une vraie expérience dans le journalisme, et surtout le journalisme militant. Pour moi c’est très stimulant !

C’est ultra gratifiant aussi de pouvoir écrire dans un journal qui est publié. Je suis de la génération où la presse papier est un peu sacralisée. Alors forcément, voir mon nom dans Arritti !

Et puis aller à la rencontre des gens, les interviewer, j’adore ! Il n’y a rien de mieux pour apprendre. Entendre les gens s’expliquer, leur donner une tribune, ça permet de développer un esprit critique parce que quand on a un papier à rendre qui va être lu par plusieurs milliers de personnes, il faut faire en sorte que les sources se recoupent. C’est très gratifiant de se dire que mon article a eu un impact sur des gens. Et de me dire en plus que mon grand-père va me lire, c’est le top, je veux qu’il soit fier de moi et qu’il se dise « ghjè a mo figliulina ! »