Thierry de Peretti, « À son image »

Une œuvre maîtresse

C’est à nouveau la Corse des années 90, celle des « années de plomb » du nationalisme corse, qui sert de cadre au film très attendu de Thierry de Peretti qui sort dans les salles le 4 septembre prochain. Sept ans après « Une vie violente », le réalisateur ajaccien propose une fiction-vérité sur une jeunesse aspirée par la spirale des affrontements mortels. Pour son nouveau film, Thierry de Peretti a choisi d’adapter le roman de Jérôme Ferrari paru en 2018.

 

Si, dans « Une vie violente », le personnage principal est celui-là même qui paie de sa vie l’engrenage des violences auxquelles il s’est associé, dans « À son image », Antonia, l’héroïne du film, en est un témoin, professionnellement comme jeune photographe de presse, et aussi dans sa relation amoureuse, née dès les années de lycée, avec Pascal, le leader du groupe clandestin.

Sa distanciation se manifeste dans les postures, appareil de photo en main, et dans les attitudes et les discours qui refusent la logique mortifère dont son amant et ses amis sont les protagonistes. Sa résistance tient à son courage de dire non, non à ses parents pour être maîtresse de sa vie malgré l’affection qui les lie, non à ses chefs de service qui au nom de l’alibi d’un « journalisme de proximité » lui demandent d’occulter les évènements graves qui secouent la Corse, et non aussi à son partenaire intime à qui elle refuse de sacrifier son avenir. Tout cela fait d’Antonia une figure différente à travers laquelle l’intrigue du film se construit.

Autour d’elle et de ses amis, la Corse défile sur une décennie, avec des images d’archives, ou par la reconstitution d’un concert enflammé des Chjami Aghjalesi. De l’engagement du jeune Pascal pour rejoindre ceux qui s’étaient retranchés dans l’hôtel Fesch en 1980, quand, cinq ans après Aleria, la mort a rôdé une nouvelle fois sur la Corse, à l’irruption du commando vengeur de Guy Orsoni dans la prison d’Aiacciu en 1983 pour exécuter ses assassins, jusqu’à la revendication en 1993 par le FLNC de l’assassinat d’un des siens, Robert Sozzi, devant un chapiteau conquis, prélude à une décennie d’affrontements fratricides : ces images nous tourmentent encore une génération plus tard. Et elles nous interrogent : aurions-nous applaudi à la revendication de l’assassinat en « légitime défense préventive » de ce jeune Corse* ?

Pour Antonia, révoltée, ces applaudissements étaient inacceptables. Et pour le groupe de jeunes rassemblés dans ce combat devenu incompréhensible, c’est le début d’une mise en retrait de certains. Tandis que d’autres, aspirés par les affrontements qui ont suivi, l’ont payé de leur vie.

 

Il est probable que le film « À son image » va rencontrer le regard de deux publics très différents : celui de ceux qui ont vécu, ou accompagné, ou connu tous ces évènements, à qui ce nouveau long métrage du réalisateur d’« Une vie violente » tend un miroir salvateur pour que pareilles dérives soient écartées pour toujours ; et le regard de ceux qui vont découvrir la tension de ces évènements et, surtout, la passionnante histoire de cette jeune femme corse, forte et résistante. Clara-Maria Laredo l’incarne avec justesse et talent, ce que les critiques de cinéma qui ont suivi le festival de Cannes où le film a été sélectionné pour la quinzaine des cinéastes ont tous salué. Arritti n’en est que plus fier !

Le talent de Thierry de Peretti tient à trois performances remarquables : découvrir, diriger et révéler de jeunes acteurs dont la justesse du jeu conquiert les spectateurs ; mettre en images une histoire haletante qui met en scène la Corse et les Corses tout en intéressant toutes sortes de publics ; et restituer avec justesse et lucidité un pan de l’histoire moderne de la Corse.

S’y ajoute une quatrième performance remarquable : avoir su convaincre, avec l’argument de son talent désormais reconnu, plusieurs « pointures » de l’industrie cinématographique de l’intérêt d’engager 3,5 millions d’euros dans cette production dont les acteurs ne sont pas connus et dont le scénario semblait à priori peu familier à ceux qui ne sont pas originaires de cette île de 350.000 habitants à peine. Grâce à ces moyens, c’est une œuvre maîtresse qu’il a pu réaliser. •

François Alfonsi.

 

* Pour mémoire, la délégation UPC présente sous le chapiteau, conduite par Max Simeoni, a alors ostensiblement quitté les lieux et marqué son refus de cautionner.