Dans une région où l’on fait aisément du Air BnB à 400 ou 500 euros la nuit… quand ce n’est plus, il ne faut pas s’étonner de voir s’ériger des villas de luxe dans des zones qui aurait dû bénéficier de diverses protection environnementale et patrimoniale… Un lotissement à moins de 100 mètres de la cathédrale du Nebbiu à San Fiurenzu, datant du Moyen-Âge et classée monument historique, sur un Espace stratégique agricole du Padduc, et dans une commune qui plus est sans document d’urbanisme… crée la polémique depuis quelques semaines. La commune et le promoteur (une SCI) ont fait fort. Et ils ont poussé le bouchon jusqu’à baptiser le lotissement « Les Jardins de la Cathédrale » ! Ni l’État, contrôle de légalité, ni la Collectivité de Corse, garante du Padduc, n’ont bougé. Tous deux pourtant avaient par exemple le pouvoir de convoquer une Commission territoriale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CTPENAF) qui, en pareil cas, délibère par avis conforme*. C’est dire que ce projet aurait été clairement refusé au regard de la loi.
Depuis une vingtaine de jours, beaucoup de voix s’élèvent… malheureusement tardivement, notamment dans les rangs nationalistes, pourtant historiquement très présents dans cette région du Nebbiu.
« Le lotissement résidentiel proche de la cathédrale du Nebbiu à San Fiurenzu détruit 3500 m2 d’ESA. Le permis aurait dû être refusé » dénonce U Levante sur son site. L’association de défense de l’environnement déplore que le permis ait été déposé au moment de l’annulation par le Tribunal administratif de la carte des espaces stratégiques agricoles, histoire peut-être de camoufler un peu plus l’atteinte aux règles d’urbanisme de la part du promoteur… Mais, comme Arritti et U Levante n’ont cessé de le répéter, l’annulation de la carte ne valait pas annulation des critères définissant les ESA. Le terrain est clairement inconstructible (contrairement aux dires du promoteur) et le permis n’aurait jamais dû être accordé. D’autant que la commune ne dispose pas de PLU et doit donc se conformer au Règlement national d’urbanisme.
La Cour administrative d’appel a depuis rétabli la carte des ESA, et le constat est sans appel : nous sommes au cœur d’un espace stratégique agricole !
Pourquoi le maire Claudy Olmeta a-t-il délivré ce permis sur un terrain inconstructible ? Pourquoi n’a-t-il pas saisie la CTPENAF ? Pourquoi le contrôle de légalité n’est-il pas intervenu pour rejeter ce permis ? Et pourquoi l’État et la Collectivité de Corse (tous deux coprésidents) n’ont-ils pas provoqué une auto-saisine de la CTPENAF qui doit être consultée en pareil cas, ainsi que le rappelle son règlement intérieur. Règlement qui exige un « avis conforme », qui aurait été obligatoirement défavorable, et aurait pu arrêter ce projet de 6 lots cédés chacun entre 785.000 et 950.000 €.
« On a là un exemple “magnifique” de la non-application du droit par la DDT2B. Les maires ont-ils été informés que, dans ce cas de figure, ils doivent obligatoirement saisir la CTPENAF ? La DDT en tout cas, elle, connaît les lois et sa responsabilité est engagée » déplore encore U Levante.
« Dans un contexte de spéculation foncière et immobilière effrénée, de bétonnisation croissante et de dépossession des Corses de leur terre, la nature et l’emplacement de ce programme interpellent à plus d’un titre » dénonce Femu a Corsica dans son communiqué. « En premier lieu, avec des villas de luxe dont le prix s’élève jusqu’à 950 000 euros, nous savons que ce type de programme ne s’adresse pas aux Corses, jeunes et moins jeunes, soucieux d’accéder au logement et à la propriété sur leur terre, mais à de riches fortunés, venant le plus souvent de l’autre côté de la mer. Et ce, alors que notre peuple est confronté à une crise structurelle au plan économique et social, aggravée par l’inflation galopante.
En second lieu, le terrain concerné se trouve sur une terre historiquement agricole, à proximité de l’ancienne vigne de l’Evêché, et dans l’environnement immédiat de la cathédrale romane du Nebbiu, Santa Maria Assunta, édifiée à l’époque médiévale. Comment se fait-il que ce terrain soit constructible malgré son hyper-proximité avec la cathédrale du Nebbiu, classée monument historique ? » interroge le parti du président du Conseil exécutif qui dénonce aussi la passivité de l’ABF. « L’absence de documents d’urbanisme, en particulier sur des communes du littoral à fort potentiel spéculatif, constitue un véritable obstacle dans la lutte contre la spéculation immobilière, la sauvegarde de notre patrimoine et l’accès au logement » dénonce Femu a Corsica.
« À travers cet énième projet immobilier, se pose la question du projet de société que nous voulons pour la Corse de demain. Il est de plus en plus insupportable de constater que le moindre mètre carré de terre est soumis, aujourd’hui, à la spoliation et à la force de l’argent, dans un contexte où de nombreux Corses ne trouvent plus à se loger à des prix décents » a pour sa part dénoncé Core in Fronte. Pas de réaction pour l’heure des autres partis nationalistes.
Arritti en appelle une nouvelle fois au respect du Padduc et des règles d’urbanisme. Le Padduc, qui est pour ainsi dire, la seule vraie loi que la Corse se soit donnée, notamment en amendant sa loi de cadrage, puis tout au long de son élaboration, enfin de son adoption en plusieurs étapes importantes en 2015 au terme de longues procédures de concertation. Mettre de l’énergie à sa bonne application serait une bien bonne idée et une excellente démonstration d’efficacité dans le cadre des débats sur l’indispensable renfort d’un pouvoir législatif. Faute de quoi, le béton s’impose encore une fois. •
Fabiana Giovannini.
* Un avis conforme s’impose au pouvoir décisionnaire.