Urbanisme

La métropolisation d’Aiacciu dans la future collectivité autonome de Corse

Vue aérienne du golf d'Aiacciu
Une autonomie dans l’autonomie, c’est le projet de la majorité municipale d’Aiacciu qui souhaite amorcer un processus de métropolisation, volonté absente des programmes de la ville jusqu’au lancement du processus de Beauvau l’année dernière.

 

 

Dans son interview du 16 février dernier à Corse-Matin, Gérald Darmanin avait évoqué cette idée, déjà avancée par Emmanuel Macron lors de sa venue sur l’île en septembre dernier. Ces déclarations faites lors d’importantes étapes du processus d’autonomie de l’île posent, de façon à peine masquée, la métropolisation d’Aiacciu comme une condition à la réussite de celui-ci, ce qui a provoqué de multiples réactions sur l’île. Tout particulièrement lors du Conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Bastia (CAB) du 19 février dernier durant lequel la majorité bastiaise a rappelé que « ce projet de métropolisation n’a[vait] jamais été abordé dans aucune réunion, ni à Beauvau, ni en Corse » et que les élus insulaires avaient « fait le choix de faire de la CdC [une] locomotive sur la scène nationale et européenne, mais surtout, une collectivité garante des équilibres territoriaux de notre île, de la solidarité entre pôles urbains et ruraux ». Si le président de la CAB Louis Pozzo Di Borgo y voit un danger pour l’équilibre des territoires, aussi bien pour le pôle urbain de Bastia que pour les communes aux alentours d’Aiacciu, un vote enterrant une démarche de métropolisation de Bastia avait clos la séance ce jour-là.

 

Qu’est-ce qu’une métropole ?

Créé en 2010 lors de la réforme des collectivités territoriales puis fortement modifié par la loi de Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) en 2014, ce statut a pour but de renforcer l’attractivité et la compétitivité des régions à l’échelle européenne. Une métropole est un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et est administrée par un conseil, tout comme les communautés de communes et les communautés d’agglomération. La métropole remplace les EPCI et exerce un certain nombre de compétences à la place des communes (développement économique, politique locale de l’habitat, gestion des services d’intérêt collectif comme l’eau et l’assainissement…), des départements (transports scolaires, voirie…) et de la région. Pour accéder au statut de Métropole, plusieurs critères sont définis dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT), dont le plus important est le critère démographique. Un EPCI peut devenir une métropole s’il forme un ensemble de plus de 400 000 habitants, ou s’il est au centre d’une zone d’emplois de plus de 400 000 habitants comprenant le chef-lieu de la région, ou s’il forme un ensemble de plus de 250 000 habitants se situant au centre d’une zone d’emplois de plus de 500 000 habitants comprenant le chef-lieu de région.

Dans un article publié sur son site internet, la majorité municipale d’Aiacciu explique en quoi la ville répond aux critères attendus pour l’obtention de ce statut. La municipalité évoque d’abord des critères démographiques et économiques qui lui confèreraient un statut particulier en Corse. L’article évoque la position d’Aiacciu comme capitale régionale « regroupant un tiers de la population régionale » (la concentration de la population (21,3 % des Corses vivent à Aiacciu) est plus élevée que pour les autres métropoles). L’article appuie également sur son importante croissance démographique (« 67 % sur une période de 52 ans ») ou encore sa qualification de « premier bassin d’emplois ».  Or, la ville d’Aiacciu et la communauté d’agglomération du Pays ajaccien (CAPA) comptent respectivement 72 647 et 89 990 habitants (INSEE, 2020), un nombre bien éloigné de ce qui est attendu pour la création d’une métropole par le Code général des collectivités territoriales.

Si l’on établit une comparaison avec l’aire d’attraction de Bastia, le statut d’Aiacciu en tant que Capitale régionale est à relativiser. La communauté d’agglomération du Pays ajaccien (CAPA) s’étend sur un territoire près de quatre fois plus grand que la communauté d’agglomération de Bastia (CAB) qui doit être associée à la communauté de communes Marana-Golu pour établir une juste comparaison. Avec ces considérations, une métropole bastiaise serait alors composée de 86 662 habitants, un nombre quasi-équivalent à la métropole Ajaccienne et en ce qui concerne les aires d’attraction d’Aiacciu et de Bastia, elles sont équivalentes avec 113 612 habitants pour Aiacciu contre 108 967 habitants pour Bastia (INSEE, 2017).

En termes de croissance démographique, si les villes d’Aiacciu et Bastia sont quasi-égales (+1,3 % contre +1 % entre 2015 et 2021), les communes dans l’aire d’attraction de Bastia comme Borgu ou Lucciana connaissent une évolution démographique plus importante en moyenne que celles d’Aiacciu. Enfin, la communauté de communes Marana-Golu a la croissance démographique la plus importante des communautés de communes ou d’agglomération avec +2,3 % entre 2011 et 2016.

En ce qui concerne le critère économique, les zones d’emploi d’Aiacciu et Bastia sont quasiment équivalentes avec respectivement 49 004 emplois contre 45 910 (INSEE, 2017).

En considérant les autres critères définissant une métropole comme « le rayonnement touristique », si l’on s’attarde sur la répartition des passagers transportés dans les ports et aéroports, Bastia devance Aiacciu en étant le premier aéroport international de Corse et le premier port passagers (INSEE, 2021). Les métropoles doivent également se démarquer par « un réseau universitaire », ce qui n’est pas le cas d’Aiacciu puisque l’Université de Corse et ses pôles de recherche se situent en immense majorité à Corti. En ce qui concerne la concentration du pouvoir culturel, le retard d’Aiacciu dans l’offre culturelle est connu alors que la ville souffre de l’absence d’un théâtre, de centre culturel et du faible nombre de cinémas et de festivals rapporté à la population. De plus, il est compliqué d’imaginer une métropolisation d’Aiacciu dans un contexte de mauvaise gestion du réseau de transports comme en témoigne la situation de cessation de paiement de la SPL Muvitarra ou encore le refus de la municipalité d’intervenir sur certains dossiers qui affectent la vie des ajacciens comme la considérable augmentation des meublés de tourisme.

 

Une métropole à contrecourant

La métropolisation d’Aiacciu et de son aire d’attraction n’est pas souhaitable car elle présente un véritable risque de concentration de valeur à l’intérieur et autour de la ville élargissant un phénomène de ségrégation sociale et économique. Ce phénomène peut entrainer une augmentation des déséquilibres en matière de qualité de vie et développement économique. La ville d’Aiacciu entend lutter contre les « problématiques qui sont liées au fort développement urbain : difficulté de circulation, gestion de la précarité et de la pauvreté, scolarisation, tranquillité et sécurité, mais aussi alimentation énergétique du territoire, équipements et infrastructures publiques » mais la métropolisation des grandes villes en France ont, en général, démontré un accroissement des inégalités, un accroissement des problèmes de circulation ou encore une augmentation de la pollution.  Elles sont source de fracture territoriale avec de potentiels effets néfastes pour les collectivités aux alentours (Vie Publique, 2023).

La métropolisation d’Aiacciu contreviendrait également aux orientations du Padduc, document d’urbanisme constituant le projet d’aménagement global du territoire pour la Corse, dont l’un des principaux buts est de « créer un développement équilibré du territoire » face au défi de rééquilibrage économique et social. Le projet de société explicité par le Padduc s’attarde sur le besoin de dynamisation des espaces ruraux intérieurs en développant « les mécanismes assurant la solidarité territoriale ». Si le projet de territoire insiste sur le nécessité de « renforcer les fonctions métropolitaines de Bastia et d’Aiacciu », c’est dans le but de créer un véritable ruissellement économique et d’attractivité dans les territoires ruraux périphériques. Cependant, dans un Padduc bientôt révisé, les enjeux d’équilibre territorial devront être centraux. Il est alors nécessaire de repenser nos intercommunalités, dont les moyens sont limités et les dimensions à redéfinir.

Si ce processus de métropolisation aboutit, la Collectivité de Corse autonome administrerait seulement deux tiers des Corses alors que la volonté de faire peuple tous ensemble, exprimé par le fait démocratique depuis des années, n’a jamais été aussi prégnante. •

Pauline Boutet-Santelli.

 

 

La France compte actuellement 21 métropoles. La plus vaste est la métropole du Grand Paris qui comptabilise 131 communes et 1.144.932 habitants. La plus petite est celle de Brest Métropole avec 8 communes et 215.367 habitants. Avec une moyenne de 870.160 habitants sur l’ensemble de ces 21 métropoles, on est très éloigné des potentialités du grand Aiacciu !

Source : DGCL/Département des études et des statistiques locales