Le 26 février à Aiacciu, l’économiste Sauveur Giannoni a livré les résultats de son étude sur l’effet d’Airbnb sur les prix de l’immobilier en Corse. La plateforme digitale américaine fondée en 2008 a contribué à l’essor de l’économie de partage, permise grâce au développement des nouvelles technologies depuis la fin des années 2010. Mais pas que…
Cette « économie de partage » regroupe les activités économiques reposant sur la mutualisation de biens, services et espaces. Ici, l’utilisation de plateformes favorise la mise en relation d’offreurs et demandeurs pour faire un « meilleur » usage des ressources. Des entreprises comme Airbnb, Uber ou Blablacar font partie des géants des applications de mise en relation.
Mais l’essor de ces plateformes jouant le rôle d’intermédiaire entre producteurs et consommateurs a entrainé un certain nombre d’effets de bord : concurrence déloyale, insécurité de l’emploi dû à l’absence de régulation de ces plateformes… Par exemple, la plateforme Uber, mettant en relation des clients avec des chauffeurs, n’est pas soumise au même normes et règlementations que les compagnies de taxis et entraine donc un problème de concurrence déloyale.
Les critiques envers Airbnb sont nombreuses alors que si les bénéfices pour les propriétaires et les touristes sont réels, les résidents sont victimes de l’augmentation des prix ou de la réduction de l’offre de logement. La littérature existante souligne un effet d’Airbnb sur le prix des logements à court terme, expliqué par une absence d’élasticité de l’offre à court terme (l’offre de logement met un certain temps à augmenter et ne peut pas s’adapter à la demande). Les propriétaires sont donc incités à louer leur logement sur du court terme pour maximiser leur rente. Un second effet est une augmentation du prix de vente d’un bien car la somme des loyers espérés en Airbnb sera donc plus élevée que la somme des loyers en location standard. L’existence des plateformes permet un complément de revenus et donc fait entrer le logement dans une boucle inflationniste, accroissant l’augmentation des prix.
Sauveur Giannoni étudie les effet d’Airbnb entre 2014, où environ 1 000 annonces étaient en ligne, et 2019, où 14 000 annonces sont disponibles. Il faut souligner que le nombre d’annonces aujourd’hui est certainement bien plus élevée. L’étude cherche alors à distinguer les effets d’Airbnb sur les prix de l’immobilier des autres sources de variation des prix, l’hétérogénéité des effets d’Airbnb sur les prix de l’immobilier ainsi que les facteurs de variation. Pour son étude, l’équipe de recherche a considéré seulement les annonces dites actives, et par section cadastrale (échelle adaptée au cas de la Corse) en utilisant la base fiscale DV3F (prix, infos, surface, localisation, acheteur privé ou public…) et les données socio-économiques de l’INSEE.
Tout d’abord, l’étude nous indique l’évolution des prix moyens au m2, passant de 2 968 euros en 2014 à 3 158 euros en 2019 ainsi que l’évolution du nombre d’annonces moyenne par section cadastrale passant de 5,68 en 2014 à 60,02 en 2019 (multiplication par dix). Le premier résultat de l’étude montre qu’une augmentation du nombre d’annonces de 10 % dans une section cadastrale conduit à une augmentation du prix au m2 de 1,39 % toute chose égale par ailleurs. C’est-à-dire qu’en comparant deux biens identiques dans des lieux différents, là où il y aura 10 % d’annonces Airbnb en plus, le prix sera 1,39 % supérieur. L’effet d’Airbnb est « visible » tout particulièrement sur les sections cadastrales où l’évolution d’Airbnb a été particulièrement rapide. Le second enseignement est que les ordres de grandeurs sont bien plus importants que dans certains endroits comme New-York ou Barcelone où l’effet sur les prix est largement moins visible qu’en Corse. Les résultats par zone sont surprenants alors que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’effet d’Airbnb est plus fort dans l’intérieur de la Corse et les zones peu accessibles que sur les zones littorales et très touristiques. Cela est expliqué par la faiblesse de l’offre touristique et des prix de l’immobilier dans ces lieux avant l’arrivée d’Airbnb. Les zones où les prix sont faibles montrent une marge de progression plus forte alors que les zones attractives où les prix sont élevés, l’effet additionnel d’AirBnb est donc relativement plus faible. L’arrivée d’Airbnb dans ces lieux a créé une véritable opportunité économique, ce qui explique un effet particulièrement fort. Les centres historiques de ville comme Bastia et Aiacciu et les zones caractérisées par des habitations de grande taille sont concernées par cet effet dans une moindre mesure. Les nouvelles zones d’urbanisation autour des villes de grande taille suivent également la même tendance.
Des outils de régulation existent au niveau communal et peuvent se décliner par quartier pour réduire les effets indésirables de la plateforme. À Paris, par exemple, l’abaissement de la niche fiscale pour les revenus locatifs des meublés de tourismes décidée il y a quelques semaines peut constituer une solution, mais toujours trop légère selon l’économiste Sauveur Giannoni. En Corse, alors qu’à Aiacciu, les élus de l’opposition demandent une régulation à la majorité municipale en vain, certaines villes comme Bastia ont lancé un plan de régulation des meublés de tourisme. La municipalité a présenté en juin 2023 une série de mesures clés comme l’obligation de posséder un numéro d’enregistrement, la mise en place de l’obligation de compensation ou encore l’instauration de quotas. •
Pauline Boutet-Santelli.
Pour consulter les mesures prises par la ville de Bastia : https://bit.ly/4a0eoQ6