Entretien avec le Réseau des urbanistes géographes et aménageurs de Corse

Promouvoir les métiers de l’urbanisme dans une Corse autonome

« Nos métiers sont très peu connus mais paradoxalement omniprésents dans la vie quotidienne des gens. » En avril 2022 naissait le Réseau des urbanistes, géographes et aménageurs de Corse (RUGA). Ce collectif rassemble les urbanistes corses autour d’enjeux liés à la formation, à l’exercice des professions de l’aménagement du territoire et à la production géographique en Corse. Ses présidentes, Anne-Laure Nesi et Lisa Pupponi, nous parlent de leurs actions pour promouvoir les métiers de l’aménagement, dont les modalités d’exercice complexes sont peu connues.

 

 

L’urbanisme, qui n’est pas un concept aisé à définir, est décrit dans le dictionnaire Larousse (2023) comme « l’art, la science et la technique de l’aménagement des agglomérations humaines ».

Dans son Essai de définition de l’urbanisme (2009), Pierre Merlin insiste sur la transversalité et la multidisciplinarité des métiers de l’aménagement, définis comme au croisement de « l’art (et l’architecture qui conçoit les bâtiments harmonieux), l’économie, la sociologie (la “commodité” et les relations entre les hommes), l’histoire (le temps), la géographie (l’espace urbain et rural), le droit (les règles de contrôle de l’utilisation du sol), et l’ingénierie (les réseaux et les techniques de construction) ». L’aménagement du territoire regroupe alors une myriade de métiers qui « n’ont pas été très rapidement définis » et « présents en filigrane dans les politiques d’aménagement mais jamais formalisés » selon les présidentes de l’association. La méconnaissance de ces métiers est renforcée par l’absence d’un Ordre des urbanistes, contrairement aux métiers d’architecte ou de géomètre. Ils se structurent alors souvent dans le cadre associatif.

C’est ainsi qu’est né RUGA, Réseau des urbanistes géographes et aménageurs de Corse, comme l’explique Anne-Laure Nesi : « On déplorait que dans nos études en urbanisme à Paris on étudiait pas du tout la Corse. On s’est dit qu’on pouvait faire quelque chose pour promouvoir les études territoriales appliquées à la Corse donc on voulait essayer de se réunir pour partager nos connaissances. On a lancé un appel sur Facebook en pensant qu’on ne serait que quelques personnes et finalement il y a eu plus de personnes intéressées par la géographie et l’aménagement du territoire que ce que l’on pensait. On a monté le réseau, pendant un an on était juste une initiative privée sans structuration et depuis octobre dernier on est une association. »

 

L’association permet un recensement des aménageurs qui ont la possibilité de se retrouver autour de problématiques communes et de créer de l’échange autour de leurs expériences et leurs métiers. Les membres peuvent alors partager les ressources documentaires et universitaires sur la Corse pour enrichir un état de l’art, « il y avait un enjeu d’actualiser la recherche sur les études territoriales en Corse » comme l’explique Lisa Pupponi. L’association permet également de partager des offres d’emplois, d’alternance ou de stage pour faciliter l’insertion professionnelle pour les acteurs de l’urbanisme en Corse dans le public ou dans le privé. Le but est également de recenser les différents métiers de l’aménagement du territoire. Le collectif met l’interdisciplinarité des métiers à l’honneur durant l’organisation de ses tables rondes en croisant les regards autour de l’urbanisme et en croisant les disciplines comme le droit, la règlementation, la géographie, les sciences.

Mais c’est la démarche menée auprès de l’Académie de Corse qui soulève le principal enjeu de l’association : faire connaitre les métiers de l’aménagement du territoire et faire (peut-être) naître des vocations. Les acteurs de l’association se rendent alors régulièrement dans les collèges et lycées insulaires pour présenter les métiers de l’aménagement du territoire. Cependant, élèves et étudiants qui souhaitent s’orienter vers ces métiers se retrouvent dans l’impossibilité de poursuivre des études supérieures en Corse. En effet, aucune formation sur l’île ne permet d’étudier l’urbanisme, l’architecture ou encore la géographie, ce qui créé un manque de forces vives pour penser les projets d’aménagement insulaires comme le décrit Lisa Pupponi : « Il y a une crise de la formation sur ces métiers en Corse. On fait face à un vrai manque, très peu de personnes sont formées sur les sujets d’urbanisme. »

 

Face à l’absence de formation dans l’île, les présidentes de RUGA ont étudié l’urbanisme à Paris, l’une à l’Institut de géographie de la Sorbonne et l’autre à l’École d’urbanisme de Paris. Structurer une formation transdisciplinaire autour de l’étude du territoire leur apparait alors fondamental pour penser les projets de demain. Selon ces jeunes professionnelles, ouvrir une formation de « géographie transversale », qui « joue le rôle de pivot avec les autres domaines des sciences humaines et des métiers de l’aménagement du territoire », constitue une première solution au problème de formation en Corse.

Le projet d’autonomie de la Corse pourrait exacerber les besoins de l’île en experts et techniciens de l’aménagement, qui apprennent sur le terrain mais sans outil adapté au contexte corse, un problème souligné par les membres du collectif : « L’aménagement du territoire est le domaine par excellence où l’on a tenté la décentralisation et l’autonomie va être un prolongement de cette logique. On a eu un document révolutionnaire qui est le Padduc, qui était l’un des outils phares pour adapter les lois au contexte corse et avoir déjà une certaine forme d’autonomie. Le défi était d’adapter les lois au contexte du territoire, on est une montagne, on est une île, on a des discontinuités territoriales et on n’a pas bénéficié des mêmes dynamiques d’aménagement que le reste du territoire métropolitain. Aujourd’hui on a du mal à investir les outils qui existent déjà, il faut se demander si on va avoir la main d’œuvre pour penser les outils de demain. »

Selon les présidentes de l’association, les problèmes rencontrés sur notre territoire sont aujourd’hui identifiés mais l’adaptation et la révision des documents d’urbanisme ainsi que la mise en œuvre de solutions techniques font partie des défis du projet d’autonomie de la Corse. Elles insistent alors sur l’impératif de poser la question de l’urbanisme de manière technique et concrète dans la Corse autonome, et de créer les conditions favorables à la constitution de forces vives dans ce domaine. •

Pauline Boutet-Santelli.

 


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