La spéculation foncière et immobilière reste une des préoccupations fortes de la Corse face à son attractivité touristique, dans un contexte économique et sociale difficile, et avec l’impossibilité juridique de préserver les intérêts du peuple corse. Sans reconnaissance constitutionnelle permettant de corriger ces dérives en effet, le phénomène de dépossession ne peut que s’aggraver.
La question de la pression foncière touche de plus en plus de territoires, en France mais aussi en Europe. Le 25 mai dernier des milliers de personnes sont descendus dans la rue à Palma de Majorque pour manifester contre un surtourisme dévastateur derrière une banderole qui scandait : « Majorque n’est pas à vendre » !
Paradis des touristes (45 % du PIB), l’archipel des Baléares qui accueille en moyenne chaque année près de 15 millions de visiteurs étrangers se rebiffe face au tourisme et ses nuisances, mais surtout au frein à l’accès au logement qu’il représente pour les habitants. Avec l’explosion des prix de l’immobilier, contraints de fuir les villes et le littoral, ils sont noyés sur leur propre sol (1,2 M habitants) ! Début mai, le gouvernement des Baléares a annoncé réduire le plafond de lits pour tourisme à 412.000, contre 430.000 actuellement, soit 308.000 pour les hôtels et 104.000 pour les locations saisonnières. L’archipel a gelé son parc hôtelier en 2022 jusqu’en 2026. Une échéance qui sera probablement reculée au vu des décisions prises ce 10 mai en faveur d’un tourisme plus supportable socialement et plus respectueux de l’environnement.
À Amsterdam (920.000 habitants), les autorités ont limité le nombre de séjours hôteliers à 20 millions par an (actuellement de 20,665 M hors locations AirBnB). Elles plaident désormais pour un tourisme plus responsable. Les Canaries (16 M de visiteurs pour 2,2 M d’habitants) manifestaient aussi le 20 avril dernier contre la pression touristique qui pèse sur la capacité à se loger de ses habitants. 50.000 personnes « fatiguées de la surpopulation » ont défilé sous le mot d’ordre « Les Canaries ne sont pas à vendre ! » Une pression dénoncée aussi en France : en Provence, en Savoie, en Pays Basque, en Bretagne, comme en Corse, où la plupart des résidents ne peuvent plus accéder à la propriété, voire ne peuvent plus se loger sous les phénomènes conjugués de la hausse des prix du foncier et de l’immobilier, et de l’augmentation des locations touristiques et AirBnB au détriment du logement à l’année. La revendication corse pour un statut de résident est reprise partout…
C’est dans ce contexte qu’à l’Assemblée nationale et au Sénat, les débats se multiplient sur le sujet. Surtout depuis que des députés nationalistes corses occupent les travées ! Les élus sont désormais beaucoup plus sensibles à ces questions qui affectent leur territoire. Cette fois c’est à l’initiative du basque Iñaki Echaniz (Socialiste) et de la bretonne Annaïg Le Meur (Renaissance) qu’un projet de loi « visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif » a été amendé par le Sénat (adopté en première lecture le 29 janvier).
Objectif de ce projet de loi, réguler les meublés touristiques notamment en alignant la fiscalité des locations de courte durée sur la location à l’année, par un abattement généralisé de 30 % contre actuellement 71 % (pour les logements classés) et 50 % (logements non classés)*.
Le Sénat a atténué cette mesure, en concédant 30 % d’abattement pour les non-classés, mais 50 % pour les classés.
Le Sénat a aussi rejeté la possibilité pour les communes de réduire le droit des propriétaires à louer leur résidence principale à 90 nuits contre 120 actuellement.
Troisième mesure, cette fois pour lutter contre les passoires énergétiques, l’assemblée nationale avait proposé un diagnostic énergétique à partir de 2029 pour s’aligner sur les locations à l’année, le Sénat a reporté cette mesure à 2034. Les propriétaires auront 10 ans pour se mettre aux normes.
Ceci dit, ce projet de loi (qui devra encore être examiné en seconde lecture) est un progrès puisqu’il met fin partiellement à la niche fiscale des locations AirBnB. « C’est un premier pas vers la résolution de la problématique du logement qui touche en particulier la Corse » a déclaré le Sénateur corse Paulu Santu Parigi, « ces dispositions permettent notamment que toute location d’un meublé touristique soit déclarée et enregistrée auprès des communes afin qu’elles aient les moyens d’exercer un contrôle dans ce domaine. Ainsi, j’ai réussi à faire adopter un amendement permettant également à la Collectivité de Corse de bénéficier de ces données d’enregistrement indispensables à l’élaboration de politiques publiques ».
Pour autant, cette loi ne suffira pas à endiguer le problème du manque de logement en Corse. Pour Paulu Santu Parigi, « l’adoption de mesures complémentaires est nécessaire pour donner encore plus d’outils aux collectivités locales. E rivendicazioni di u prucessu d’autonomìa sò dinù in u filu di sta dimarchja pà pudè permette à u nostru populu di campà annantu à a so terra ».
Côté processus de Beauvau, justement, le bureau de la Commission des lois de l’Assemblée nationale a validé le 16 mai la création d’une mission sur l’évolution institutionnelle de la Corse dont Jean Félix Acquaviva, député de Haute-Corse, a pris la présidence. Nul doute que les problématiques de pression foncière seront au programme des travaux. La mission doit rendre un rapport au parlement d’ici la rentrée de septembre. Un travail de pédagogie sur les besoins d’un pouvoir normatif, un travail de lobbying aussi, pour préparer les débats sur le projet de loi devant l’Assemblée nationale, le Sénat (qui dispose aussi de sa propre mission), et donc le congrès. Avvanzemu. •
Fabiana Giovannini.
* Classement en fonction du degré de confort.