Par François Joseph Negroni
Nous avons remporté une bataille essentielle pour l’avenir de la Corse. Après des mois de discussions, la dotation de continuité territoriale sera finalement abondée à hauteur de 50 millions d’euros, et la Corse sera exclue de la surtaxe sur les billets d’avion. À Bercy, nos arguments ont été plus forts que les impératifs budgétaires.
Ce succès n’est pas un simple ajustement financier, c’est une reconnaissance du caractère singulier de la Corse et des défis structurels auxquels elle est confrontée. Son insularité ne peut être niée ni réduite à un facteur géographique : elle conditionne son développement économique, son attractivité et la vie quotidienne des insulaires. Quand près de 40 % du PIB repose sur le tourisme, soit cinq fois plus que la moyenne nationale, l’accessibilité n’est pas un privilège mais une nécessité vitale. L’offre aérienne structure l’économie corse, elle influe sur l’emploi, sur la capacité des jeunes à construire un avenir sur leur île, et sur l’équilibre territorial.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 81 % des sièges disponibles sont concentrés entre mai et septembre, contre 69 % en Sardaigne et environ 50 % en Sicile ou à Malte. Entre octobre et juin, les quatre aéroports corses sont reliés à seulement 63 villes, un chiffre inférieur à celui de la seule plateforme d’Olbia en Sardaigne. Hors obligations de service public, le nombre de sièges disponibles est moitié moindre que celui d’Olbia sur la même période. Une offre insuffisante, un déficit de connectivité qui, s’il venait à se creuser encore, condamnerait l’île à un isolement accru.
Le risque était donc double : économique et stratégique. Taxer davantage les billets d’avion, c’était non seulement fragiliser un modèle déjà sous tension, mais aussi orienter les flux vers d’autres destinations. Face à une offre limitée, un voyageur choisira naturellement la solution la plus accessible. La Corse n’est pas en concurrence avec Paris ou Bordeaux, mais avec l’ensemble du bassin méditerranéen. Une offre en baisse ne signifie pas moins de touristes, mais moins de touristes en Corse. La Croatie, l’Albanie, la Turquie, autant de destinations qui se renforcent chaque année en misant sur une accessibilité accrue et une attractivité tarifaire.
Ce combat a donc été mené avec une certitude : préserver la continuité territoriale, c’est garantir les conditions du développement de la Corse, mais aussi éviter une distorsion concurrentielle qui pénaliserait la Corse au profit de territoires mieux intégrés aux grands flux internationaux. L’enjeu ne se limite pas à des considérations économiques. La Corse affiche un taux de pauvreté de 18,3 %, bien au-dessus de la moyenne nationale (14,4 %). Limiter l’accessibilité, c’est pénaliser ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui n’ont pas d’alternative, ceux pour qui chaque vol représente un lien vital avec le continent.
Mais cette victoire ne doit pas masquer les défis à venir. Il ne s’agit pas de maintenir un système sous perfusion, mais bien d’ouvrir une réflexion plus large sur le modèle de transport aérien en Corse. Il faut sortir d’une logique purement défensive et penser l’avenir de manière ambitieuse. Comment garantir une offre aérienne stable et accessible tout au long de l’année ? Comment assurer un équilibre entre desserte et compétitivité ? Comment renforcer l’attractivité sans céder aux sirènes d’un tourisme de masse qui mettrait en péril notre identité et nos ressources ?
Ce combat pour la continuité territoriale doit s’accompagner d’un engagement plus large en faveur d’un modèle de développement équilibré. La diversification touristique est un levier essentiel. Aujourd’hui, la Corse fonctionne sur un modèle de haute saisonnalité qui atteint ses limites. Les infrastructures sont sous pression en été et sous-exploitées le reste de l’année. Il est impératif de favoriser un étalement de la fréquentation sur l’ensemble de l’année, de renforcer l’offre en moyenne et basse saisons et de soutenir des initiatives favorisant un tourisme durable et responsable.
La politique aérienne doit être pensée en cohérence avec ces enjeux. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter l’offre, mais de la structurer intelligemment. Encourager de nouvelles dessertes, améliorer les connexions avec les grands hubs européens, proposer des solutions attractives pour les résidents et les professionnels : autant de pistes qui doivent être explorées pour garantir un modèle pérenne et performant.
Enfin, cette bataille pour la continuité territoriale ne saurait être dissociée de la question plus large du développement économique de la Corse. L’île ne peut se limiter à un rôle de destination touristique. Elle doit devenir un territoire d’innovation, d’expérimentation, un espace où l’autonomie ne serait pas seulement politique, mais aussi économique. Cela passe par une politique d’investissement ambitieuse, par un soutien accru aux initiatives locales et par une capacité à attirer des projets structurants dans des secteurs stratégiques.
Nous avons remporté une victoire, mais la route est encore longue. L’enjeu est clair : garantir que la Corse reste accessible, attractive et compétitive, non seulement en haute saison, mais tout au long de l’année. Il faut maintenant transformer cette avancée en un levier pour repenser notre modèle et construire une Corse plus forte, plus autonome et mieux armée face aux défis de demain.
Le combat continue. •