Un député européen, rapporteur général du budget en grève de la faim pour le Climat. Voilà qui n’est pas commun ! En direct du Parlement Européen, il était interviewé* le 30 octobre dernier sur la TV du Parlement européen pour expliquer les raisons et les enjeux de cette action : obtenir les moyens de la lutte contre le réchauffement climatique, notamment à travers une taxe sur les transactions financières.
Il a reçu d’innombrables soutiens, dont celui du Président du Conseil Exécutif de Corse Gilles Simeoni, et de l’eurodéputé François Alfonsi.
Parmi les grands enjeux aujourd’hui bloqué, la rénovation énergétique des bâtiments, qui a besoin de moyens, donc d’une volonté politique pour engager la révolution nécessaire. C’est aujourd’hui, nous dit Pierre Larrouturou que tout cela se décide et c’est pourquoi il observe une grève de la faim depuis le 27 octobre 2020. Chapeau !
Extraits du débat sur la TV du Parlement Européen.
À propos de sa santé et du sens de son action
Je vais très bien et je suis heureux du soutien de gens très différents, de Extinction rébellion à un groupe de chefs d’entreprises qui appellent d’autres chefs d’entreprises à faire campagne en faveur de la taxe sur la spéculation. On a des soutiens très émouvants au parlement européen, des salariés, des élus. Mon but est d’éviter des millions de morts. Cette nuit, j’avais faim et j’ai pensé aux gens de Bamako. J’ai passé deux jours à Bamako au Mali il y a trois ans, et il m’a fallu plusieurs semaines pour retrouver le sommeil après, parce que la sècheresse qui sévit au Sahel est la plus grave jamais vue depuis 1600 ans. Il y a des millions d’hommes et de femmes qui ont faim tous les jours, il y en a des milliers qui meurent chaque année parce qu’ils n’ont pas de quoi boire ou manger, et si on ne fait rien sur le climat, il y en aura des millions.
Je ne peux pas accepter en conscience que pendant 7 ans, on n’ait pas d’argent pour la santé, nos hôpitaux dans tous les pays sont à deux doigts du burn out. Les chefs d’États ont coupé le programme de l’Europe pour la santé, c’est incroyable. Ils ont coupé le budget de la recherche et sur le climat c’est juste ridicule. C’est fondamental de dire aux citoyens ce qu’il se passe pour qu’ils puissent obliger les chefs d’État à avancer.
Sur les enjeux
Je trouve obscène qu’on nous dise il n’y a pas d’argent pour le climat, pour la santé, pour l’emploi, alors que les marchés financiers n’ont jamais été à un tel niveau. Une petite taxe sur la spéculation rapporterait chaque année 50 milliards d’euros. Ce sont les chiffres de la Commission européenne, pas les miens. Et avec 50 milliards d’euros, sans demander un centime aux citoyens, juste en prélevant 0,1 % de ce qui se vend sur les marchés financiers, on peut vraiment aider le système hospitalier, aider la recherche, isoler des milliers et des milliers de maisons, faire des transports en commun, etc. Mon rapport sur le prochain budget a été adopté par six groupes. C’est la première fois dans l’histoire du parlement qu’il y a six groupes différents qui soutiennent ce que je propose pour le prochain budget. Je suis seul à faire une grève de la faim mais le vote était de 66 % des députés en septembre et hier six groupes m’ont soutenu.
Sur les raisons du blocage
La négociation est très compliquée. Encore hier le Conseil des chefs d’États ne voulaient rien lâcher. Cela a même été violent par la façon de se parler. Il y a vraiment un blocage, en particulier sur la taxe sur la spéculation du côté de la France. Plusieurs dirigeants allemands voudraient bouger si les Français bougeaient. Or on n’a plus que 15 jours ou 3 semaines pour négocier. Au niveau européen, on négocie sur sept ans. Est-ce qu’on taxe la spéculation ? Est-ce qu’on fait un impôt pour les milliardaires ? C’est maintenant qu’on le décide pour les sept prochaines années. Donc si pendant sept ans il n’y a pas d’argent pour le climat, et bien c’est foutu !, alors que tout le monde dit qu’on doit avoir des objectifs 2030 très ambitieux, que l’Europe veut sauver la planète, sauver le climat. Au niveau européen il y a de l’argent. La Banque Centrale européenne a mis 1300 milliards sur la table qu’on a donné aux banques le 18 juin sans aucun contrôle à taux négatif. Est-ce qu’on veut oui ou non utiliser autrement l’argent de la banque centrale ?
À propos de la taxe
En Allemagne 82 % des Allemands sont favorables pour taxer la spéculation. Nicolas Hulot a dénoncé le lobby pétrolier et le lobby financier. Ce lobby est très puissant en France comme dans d’autres pays. C’est pour ça qu’il faut un lobby citoyen. Il est normal en terme de justice fiscal de faire payer un peu ceux qui ne paient jamais. Vous et moi on paie de la TVA, des impôts locaux, des impôts nationaux, et c’est tout à fait normal de participer au service public et au bon fonctionnement de la nation. Mais il y en a qui ne paient jamais. Même aux plus pauvres, un SDF, une vieille dame avec son minimum vieillesse, on demande de participer avec 5,5 % de TVA sur ce qu’il mange. Et sur les marchés financiers c’est juste 0,1 % qui est demandé ! C’est un scandale. Depuis 9 ans il y a sur la table une directive, tout est prêt techniquement. Voilà pourquoi je fais cette grève de la faim, pour qu’il y ait un maximum de citoyens qui comprennent. Déjà en temps normal c’est très compliqué de comprendre le fonctionnement européen. Mais avec le virus, plus personne ne s’intéresse au fonctionnement de l’Europe et un certain nombre de chefs d’États voudraient finir la négociation dès la semaine prochaine, et tant pis s’il n’y a pas d’argent pour le climat ! Je ne peux pas l’accepter.
À propos de la Convention citoyenne sur le climat
Dès qu’on met un peu d’intelligence, de dialogue on arrive à un consensus très fort. Une des propositions de la Convention citoyenne est l’isolation des bâtiments. Plus de 40 % de l’énergie qu’on consomme est liée au bâtiment. Il faut donner une contrainte. Dans 20 ans toutes les maisons doivent être isolées, toutes les écoles, tous les bâtiments publics, et ça n’est pas possible s’il n’y a pas de financement. Une vraie isolation c’est 20 ou 25.000 €. C’est pourquoi on se bat au niveau européen pour avoir des budgets. Mon but c’est qu’on puisse rendre obligatoire les travaux d’isolation et que chaque famille ait un chèque avec le logo de l’Europe d’au moins la moitié de la facture. Et pour les plus modestes, 90 ou 95 %. C’est pareil pour les transports en commun, la plupart des villes ont compris qu’il fallait y travailler mais n’ont pas de marge de manœuvre financière. Quand on se bat pour les budgets européens c’est pour que l’argent arrive dans les villes et dans les villages. Est-ce qu’on peut prendre 50 milliards chaque année à la spéculation pour créer des emplois dans le bâtiment, la recherche, l’agriculture ? •
*Pour suivre la totalité de l’interview et des témoignages : https://bit.ly/2I3vHZc