Une récente manifestation à Bastia ce week-end est venue relancer le débat sur la cherté de la vie en Corse, notamment concernant un produit emblématique : les carburants. Ce « serpent de mer » revient régulièrement dans les débats. Il a été étudié dans le rapport de novembre 2020 réalisé par l’Autorité de la Concurrence, rapport dont l’Assemblée de Corse a prévu de débattre lors de sa prochaine session d’avril.
Pour fixer les idées, le rapport de l’Autorité de la Concurrence donne quelques chiffres : par rapport au continent hors Ile de France (« la province »), les prix enregistrés en Corse sont 12,5 % plus chers. Soit un budget d’environ 200 € supplémentaires pour un véhicule parcourant 15.000 km annuels. Or les transports en commun sont ici peu développés, les distances sont longues sur une île à la population peu dense, il faut avoir recours à deux véhicules par foyer le plus souvent, et donc l’impact sur les budgets familiaux sont significatifs.
La perception des usagers est d’autant plus forte que chaque fois qu’une famille corse va sur le continent, elle constate avec colère que les pleins à la pompe y sont beaucoup moins coûteux que ceux effectué la veille en Corse, et cela malgré un différentiel de TVA de 7 % (13 % contre 20 %) à l’avantage des carburants distribués en Corse.
Le rapport de l’Autorité de la Concurrence va dans le détail de la formation de ces surcoûts. Elle constate que tout un pan de la distribution des carburants en vigueur sur le continent, celui des Grandes et Moyennes Surfaces, est totalement inexistant sur l’île, et leur enquête démontre que cela ne sera pas modifié à l’avenir : « la stratégie [des GMS] mise en œuvre sur le continent ne serait pas réplicable en Corse car il leur serait impossible de s’approvisionner auprès de la centrale d’achat de leur enseigne. » Dès lors, si on exclut le réseau des Grandes et Moyennes Surfaces, le différentiel Corse/continent est en fait de 3 % contre 12,5 %. Ce qui, compte-tenu de l’avantage de TVA de 7 % reste tout de même important.
Car la Corse est une île et la distribution des carburants passe par une logistique accrue par rapport au continent où les distributeurs peuvent s’approvisionner directement « au cul » des raffineries. Les carburants sont des produits dangereux qui ne peuvent traverser la mer avec le lot commun de toutes les marchandises. Il faut aussi constituer des « stocks stratégiques » pour faire face aux aléas de la chaîne logistique, et cette obligation ressort de la demande de l’État.
À l’aval de ces infrastructures gérées par la société Rubis, propriétaire du réseau de la marque Vito, le marché met en concurrence trois enseignes, Vito elle-même, Total et Esso. Total et Vito, actionnaires de la société qui gère l’approvisionnement de base de la Corse, ont l’avantage de pouvoir négocier leurs commandes directement auprès des raffineries, tandis qu’Esso doit sous-traiter directement auprès de la société gestionnaire des dépôts, qui est contrôlée par ses deux concurrents. L’Autorité de la Concurrence demande d’en finir avec cette entrave à la concurrence qui désavantage un des opérateurs de la distribution de détail, et donc pourrait conduire à le mettre en difficulté, concentrant alors encore plus le marché entre des acteurs monopolistiques. La mesure est certes souhaitable, mais il est très probable qu’elle ne suffira pas à elle seule à rétablir les prix à un niveau acceptable pour les consommateurs corses.
En fait le rapport de l’Autorité de la Concurrence insiste pour écarter à toutes forces la seule mesure qui serait à même de ramener les prix des carburants en Corse au niveau de ceux du continent : en arriver à des prix réglementés, tels qu’ils existent outremer, dont l’État fixe le niveau par comparaison avec l’état du marché sur le continent, et en assure le financement par la réduction des taxes qu’il perçoit et qui forment plus de la moitié des prix à la pompe.
Citation : « l’Autorité se doit d’écarter une piste de réforme que la Collectivité de Corse et certains collectifs de citoyens appellent de leurs vœux : en l’état de la structuration actuelle du marché un nouvel allègement de la fiscalité sur les carburants, notamment de la TVA dont le taux fait déjà l’objet d’une réfaction de 7 points en Corse, ne serait pas une piste de réforme efficiente. (…) Le risque est réel que cet effort budgétaire supplémentaire ne soit jamais répercuté dans les prix payés par le consommateur final, mais capté par un surcroît de marge des opérateurs. »
Sauf que cette solution est la seule qui soit à la hauteur des problèmes à résoudre. Et qu’elle est d’ores et déjà mise en œuvre dans les autres « zones non interconnectées » de l’État français, dans les départements d’Outremer. •