« Madame, Monsieur le Conseiller,
Nous nous adressons à vous en tant que citoyens engagés pour la défense et la promotion des langues régionales de France, qui avons créé le Collectif Pour Que Vivent Nos Langues qui regroupe des associations œuvrant à la sauvegarde de ce patrimoine national inscrit dans la Constitution.
La loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion a été adoptée en seconde lecture à l’Assemblée Nationale le 8 avril 2021, par un vote conforme à celui survenu en décembre dernier au Sénat. Le Ministre de l’Éducation, Monsieur Jean- Michel Blanquer, avait demandé en séance le rejet de cette proposition de loi. Contrairement à ses vœux, une large majorité d’élus a passé outre, comme l’avaient fait les sénateurs auparavant. On pouvait donc considérer qu’il ne restait plus qu’à promulguer cette loi.
Or, nous apprenons que vous avez été saisi d’un recours demandant la remise en cause de l’article 6 de la loi. Ce recours, qui aurait été préparé avec l’aide du ministère de l’Éducation nationale, a été introduit par des parlementaires qui avaient voté contre l’adoption de la loi ce jour-là, issus du principal groupe formant la majorité gouvernementale actuelle. Aussi, lors de l’examen de ce recours, vous disposerez de l’argumentation des plaignants, et de celle du gouvernement, qui risque d’être du même avis, s’il reprend seulement les arguments de son ministre de l’Éducation. Constatant de ce fait la possibilité d’un manque flagrant de débat contradictoire devant votre juridiction, nous prenons l’initiative de nous adresser directement à chacun d’entre vous.
Tout d’abord, la saisine du Conseil Constitutionnel par ces députés est empreinte d’une grande confusion dont la presse s’est faite l’écho. Manifestement beaucoup d’entre eux ont été « embarqués » dans cette démarche sans en connaître tous les tenants. Certains l’ont exprimé, y compris publiquement, et ont demandé d’être retirés de la liste des signataires. Cela jette un doute sur la validité de cette saisine collective.
La Constitution dans son article 75-1 demande de veiller à la préservation de ce patrimoine culturel et linguistique que sont nos langues régionales. Les dispositions qui ont été votées par les députés et les sénateurs y contribueront manifestement, sans que leur mise en œuvre n’affecte l’expression en langue française, qui est universellement répandue sur tous ces territoires.
Par cette loi, les parents et les élèves qui souhaitent acquérir la maîtrise de leurs langues régionales auront plus de possibilités pour le faire dans le cadre du système éducatif, particulièrement par le moyen de l’enseignement immersif. En disposant que l’accès au forfait scolaire est possible pour tous les enfants ainsi scolarisés, même s’ils sont domiciliés sur d’autres communes que celle où se situe l’école proposant des dispositifs spécifiques en langue régionale, elle contribue à rétablir l’égalité, y compris financière, entre tous les élèves, quel que soit le cursus scolaire choisi par leurs parents.
Il ne faut pas renverser l’ordre des choses : ce n’est pas une dépense que l’on rendrait obligatoire pour les communes, puisque chaque enfant qui y réside y a droit, mais c’est une liberté de choix que l’on autorisera aux parents en permettant à leurs enfants de suivre, à égalité de moyens, la filière d’enseignement qui leur convient le mieux, même s’ils doivent pour cela être scolarisés en dehors de leur commune de résidence.
La question des langues régionales, et plus largement celle de la préservation de la diversité culturelle qui existe en France, aussi bien dans l’hexagone qu’outre-mer, est présente dans le débat politique et constitutionnel depuis fort longtemps. Toutes ces langues sont considérées par l’Unesco comme en grand danger de disparition, et la loi visée par ce recours a décidé de permettre l’utilisation de moyens nouveaux pour leur enseignement dans les établissements scolaires, afin d’enrayer le cours de l’érosion générationnelle qui conduit à leur extinction.
Trop souvent on a brandi contre ces langues des principes constitutionnels disproportionnés, si bien qu’il a fallu attendre soixante-dix ans, depuis la loi Deixonne de 1951, pour qu’une nouvelle loi soit enfin votée qui tienne compte de la réalité des dangers qui pèsent sur l’avenir de ce patrimoine immatériel collectif.
Il est grand temps que ces langues puissent bénéficier d’une meilleure considération.
Nous sommes persuadés que les Sages que vous êtes sauront faire une lecture compréhensive de cette loi que nous vous demandons de valider dans son intégralité.
Dans l’attente de votre décision, nous vous prions d’agréer, Madame et Monsieur le Conseiller, l’expression de nos sentiments les plus respectueux. » •