C’est une première dans l’histoire de la République… après un avertissement en novembre 2020, le gouvernement vient d’être rappelé à l’ordre par le Conseil d’État ce 1er juillet 2021, pour ne pas avoir rempli ses engagements pour lutter contre le réchauffement climatique. Mieux, le Conseil d’État fixe un ultimatum au gouvernement pour déclencher ces mesures avant le 31 mars 2022. Triste et révoltant de devoir en arriver là pour que l’État agisse enfin !
Le 29 juin 2021, Lytton, village de 250 habitants à quelques kilomètres de Vancouver, au nord-ouest du Canada, a battu un record mondial de température à cette latitude, avec 49,6° C ! Le 30 juin, ce même village a été complètement détruit par les flammes, victimes d’un des nombreux incendies qui ravagent le Canada en cette période de canicule qui a déjà fait plus de 500 morts dans le pays.
Personne, parmi les puissants de la planète, mis à part quelques dictateurs irresponsables, ne doute plus de la réalité du réchauffement climatique. Mais ceux qui sont en mesure de prendre des mesures efficaces ne le font pas ou insuffisamment, espérant peut-être que le voisin le fera à leur place… Les sommets internationaux se succèdent, les grandes résolutions sont prises, mais leur application traîne et la situation s’aggrave à travers les records de températures et ses conséquences sur la fonte des glaces, les bouleversements météorologiques, la montée du niveau de la mer, la perte de la biodiversité marine et terrestre qui en découle. C’est à l’aulne de cette réalité qu’il faut mesurer l’importance de la décision prise par le Conseil d’État ce 1er juillet 2021.
La plus haute juridiction administrative française rejoint le constat « d’inaction climatique » et parle de « carence fautive ». Elle demande au gouvernement « de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre ». Fermement engagée devant les nations du monde lors des Accords de Paris, la France doit réduire ses émissions de 40 % avant 2030 et atteindre la neutralité carbone avant 2050. Or, depuis, aucune mesure véritablement énergique n’a été prise. L’ancien maire de la ville de Grande-Synthe, Damien Carême (aujourd’hui député européen Europe Écologie) avait saisi le Conseil d’État en 2019. Il était soutenu par de nombreuses associations regroupées dans la démarche « L’affaire du siècle » qui a elle-même porté plainte*. En novembre 2020, le Conseil d’État a donné trois mois au gouvernement pour s’expliquer. Il juge aujourd’hui insuffisantes les mesures prises. D’autant que l’Union Européenne a relevé ses objectifs pour réduire ses émissions d’au moins 55 % d’ici 2030. Ce qui enjoint la France à faire plus encore.
Selon le rapport du Haut Conseil pour le climat, « les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l’atteinte des objectifs de 2030, et ce d’autant plus dans le contexte de la nouvelle loi européenne sur le climat. Alors que les conditions climatiques sortent des plages de variabilité climatique naturelle, avec des impacts croissants, les efforts d’adaptation doivent être rapidement déployés et intégrés aux politiques climatiques dans leur ensemble. » Deux tiers des Français sont déjà fortement exposés aux risques climatiques : la France doit au moins doubler ses efforts, notamment dans les transports et le Bâtiment. Mais « l’engagement du gouvernement pris début 2020 d’exiger de chaque ministère une feuille de route climat se concrétise trop lentement. » Pour le Haut Conseil pour le climat, « alors que les impacts du changement climatique affectent déjà le territoire national, la mise en œuvre de l’adaptation doit être accélérée, planifiée et les politiques existantes doivent être mises en cohérence. »
Or à l’échelle municipale, régionale, ou nationale, cette cohérence manque, malgré l’existence de documents de programmation, qui peinent tout autant à être mis en application.
En 2020, une réduction des émissions liée à la baisse d’activité due au ralentissement de l’économie du fait de la pandémie a donné quelque espoir… mais une augmentation brutale des émissions de gaz à effet de serre avec la reprise de l’activité économique est à craindre. Il faut plus de moyens et surtout plus de volonté politique pour inverser la tendance.
La voie de justice est un moyen d’action important pour peser sur les décideurs.
En mai dernier, Angela Merkel a subi la censure de sa loi sur le climat jugée trop insuffisante par la Cour constitutionnelle allemande. En 2019, le gouvernement des Pays Bas a été sommé de diminuer de 25 % ses émissions de gaz à effet de serre par la Cour Suprême du pays. Début 2020, le gouvernement britannique était épinglé par la Cour d’Appel de Londres pour l’impact de l’extension de l’aéroport d’Heathrow sur les émissions de gaz à effet de serre. En juillet 2020, la Cour suprême d’Irlande a annulé le plan de lutte contre le réchauffement climatique parce que trop insuffisant aussi… Des dizaines de procès sont désormais intentés partout en Europe.
Un regret en France, pour l’heure le Conseil d’État n’a pas institué d’astreintes, alors qu’il peut le faire (en juillet 2020, il a imposé une astreinte de 10M d’euros par semestre de retard pour obliger le gouvernement à agir contre la pollution de l’air). Le gouvernement peut agir vite. Déjà, demande l’Affaire du siècle, en publiant les décrets d’application des précédentes lois sur le climat (25 ne sont toujours pas publiés), en appliquant intégralement les mesures qui ont été proposés par la Convention Citoyenne sur le Climat et en se dotant d’une seconde loi « Climat et résilience » plus offensive.
Il faut mettre au cœur de toutes nos politiques l’urgence climatique. Pourquoi pas en imposant à chaque ministère un budget carbone comme le fait depuis de nombreuses années le gouvernement autonome écossais, avec obligations de résultats et des sanctions de baisse budgétaire s’ils ne sont pas atteints ? Il faut également lutter contre les lobbies et leur prégnance dans le monde politique.
Quant aux citoyens, outre leurs comportements à adapter (lutte contre les gaspis dans le chauffage et la climatisation des habitations, moyens de déplacements à mobilité douce, tri à la source, encouragement d’une agriculture de proximité non intensive…) ils doivent se souvenir qu’en mars 2022, nous serons à la veille de l’élection présidentielle… et que c’est à eux de placer la question du réchauffement climatique au cœur de ce scrutin, comme elle l’est au cœur de l’avenir de l’Humanité. •
Fabiana Giovannini.
* Autre décision attendue du Conseil d’État, la plainte déposée par l’Affaire du Siècle, toujours sur la responsabilité du gouvernement dans l’aggravation des conséquences du réchauffement climatique en France.