Le 3 novembre dernier, le député Jean-Felix Acquaviva présentait en commission des finances une série d’amendements relatifs à la lutte contre la spéculation foncière et immobilière dans le cadre du Projet de loi de finances 2022. Visant à modifier la fiscalité des résidences secondaires, ils ont pour objectif de réduire leur taux dans les territoires connaissant une importante spéculation immobilière comme la Corse.
Selon le député, « [cela] vise à étendre à toutes les communes la possibilité de majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS) et à faire passer de 60 % à 100 % le plafond de la majoration. Le décret fixant la liste des communes situées en zone tendue ne concerne que les agglomérations présentant une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants. Ainsi, de nombreuses communes situées dans les territoires littoraux, où le taux de résidences secondaires atteint 50 %, 60 %, 70 % voire 80 %, et où l’augmentation du prix du foncier est exorbitante, ne peuvent pas appliquer une surtaxe. Il faut ouvrir le débat, pour assurer une contribution légitime s’agissant de consommateurs d’infrastructures publiques de territoires très touchés par le phénomène de résidentialisation, et pour créer les conditions de la régulation du foncier, notamment par l’exercice du droit de préemption urbain là où il s’applique, au profit du logement social, de l’accession à la propriété ou de l’activité économique. »
Les députés nationalistes corses avaient déjà abordé cette thématique par une proposition de loi relative à l’évolution statutaire de la collectivité de Corse afin de lutter contre le phénomène de spéculation foncière et immobilière dans l’île. La proposition de loi visait, entre autres, à expérimenter un droit de préemption spécifique à la Corse en prenant exemple sur la Polynésie française ou encore Saint-Martin. Elle souhaitait également la création d’un système de régulation spécifique pour les résidences secondaires perçues par la Collectivité de Corse sur l’ensemble de l’île. Ce texte a été adopté par la Commission des lois avant son vote prochain par l’Assemblée nationale.
La mise en place d’une politique de taxation spécifique à la Corse a, par ailleurs, provoqué une certaine hostilité dans les rangs de la majorité et de la droite à l’Assemblée nationale. Lors de la commission des finances de ce 3 novembre, le rapporteur général, Laurent Saint-Martin, a rappelé que « les communes touristiques ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre » avant que le président de la Commission des finances, Eric Woerth, ajoute « on ne peut pas en même temps dire que l’on veut des touristes et faire de la résidence secondaire l’ennemi. À un moment donné, cela commence à bien faire ! » Si cette séquence montre bien le mépris des problématiques sociales touchant les territoires par la majorité présidentielle et la droite, elle démontre également la méconnaissance de la spécificité corse en ce qui concerne les problématiques de logement.
S’interroger sur les caractéristiques du parc immobilier sur l’île aide ainsi à comprendre les problématiques sous-jacentes et les défis auxquels les politiques du logement doivent faire face.
En Corse, les prix de l’immobilier ont fortement augmenté ces dernières années quand l’île a fait face à une flambée des prix : entre 2006 et 2019 le coût du logement a augmenté deux fois plus vite sur l’île que sur le continent (+68 % contre +36 %) et le coût du foncier a augmenté quatre fois plus vite (+138 % contre +64 %). Il est également important de rappeler que selon l’INSEE, un corse sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et que le revenu annuel médian connaît un différentiel de près de 1500 euros avec le revenu annuel médian continental. Les prix de l’immobilier augmentent alors que la Corse reste l’un des territoires les plus pauvres. 72 000 habitations en Corse sont déclarées en tant que résidence secondaire soit près de 30 % du parc immobilier, trois fois plus que la moyenne française qui est de 10 %. Cela place la Corse comme le second territoire avec le plus de résidences secondaires derrière les Hautes-Alpes (35%).
Face à une augmentation toujours plus inquiétante du prix du foncier sur l’île due à une très forte attractivité du territoire, le phénomène doit être enrayé pour permettre aux Corses un accès au logement. Les résidences secondaires des riches étrangers et continentaux participent à une spéculation immobilière qui baisse le pouvoir d’achat des Corses et ces problématiques imposent naturellement le statut de résident au sein du débat sur la régulation du marché de l’immobilier. Statut controversé, cette mesure permettrait d’agir rapidement pour stopper les effets de la spéculation. Ce principe voudrait que pour acquérir un bien immobilier en Corse, il serait nécessaire d’y vivre pendant une durée significative, par exemple cinq ans. Ce statut ne nous « priverait » pas des résidents secondaires mais réorganiserait le tourisme selon d’autres modalités qui profiteraient plus aux locaux. De l’augmentation des réservations de chambres d’hôtel et de chambres d’hôte, les acteurs du tourisme en tireraient un bénéfice plus important. Il est également important de préciser que ce statut n’est pas discriminatoire puisqu’il ne repose sur aucun statut ethnique.
Cette urgence sociale et politique, on la retrouve dans de nombreux autres territoires attractifs comme à Chamonix, dans la Vallée du Mont Blanc ou encore au Pays Basque où différents mouvements se sont mis en place pour défendre le droit au logement. L’apparition de tags « E.H. (Euskal Herria) ez da salgai ! » (le Pays basque n’est pas à vendre) montre bien la préoccupation des Basques face aux problèmes de logement. La tension sur le marché immobilier a ainsi fait naître des associations comme Alda, dont les militants organisent des opérations pour dénoncer la spéculation immobilière et l’augmentation du nombre de logements transformés en logements Airbnb. Il en va de même pour la Bretagne qui a instauré l’une des règlementations les plus restrictives de France le 1er juillet dernier face à l’augmentation des logements vides destinés à la location saisonnière. Face à un phénomène partagé par différents peuples privés de leurs terres au sein de communes et villes devenues trop chères, il est important que l’État entende les revendications des collectivités et des associations pour restaurer l’équilibre entre touristes, résidents saisonniers et habitants.
En 2018, Emmanuel Macron avait exprimé son opposition au statut de résident rappelant qu’il était contraire à la Constitution. Cependant, au niveau européen de plus en plus de territoires sous tension ont adopté ce statut comme les Iles Aaland ou encore la province italienne de Bolzano en 2018. « Le statut de résident, nous souhaitons évidemment qu’il aboutisse d’ici la réforme constitutionnelle dans 7, 8 ou 10 ans, en attendant on fait une offre de compromis pour cheminer. Il y a déjà des lignes qui bougent, nous sommes confiants quant à la tenue du débat. » La surtaxation des résidences secondaires est donc une mesure qui tend naturellement vers ce statut comme le confirme Jean-Felix Acquaviva. Eric Woerth en déclarant que « les Corses font la chasse aux résidences secondaires », dissimule à peine son mépris face aux problématiques sociales que soulève le débat sur la taxation des résidences secondaires. •