par François Alfonsi
Yvan Colonna survivra-t-il ? Le détenu qui l’a laissé pour mort a déployé une telle violence que le pire a été envisagé, et continue de l’être par les médecins et la famille. Douze mille manifestants à Corti ce dimanche ont crié leur indignation au cours d’un cortège impressionnant par son nombre et sa détermination.
La manifestation de Corti a été précédée par des dizaines de rassemblements spontanés à travers toute la Corse. Personnellement, j’étais à Ota où nous étions une centaine autour d’un brasier allumé sur la place du village. Rapporté à la population à ce moment de l’année, ce nombre est considérable, tout comme l’a été cette manifestation de Corti, deux jours plus tard, à l’appel des syndicats étudiants.
D’autres signes avant-coureurs de cette mobilisation étaient aussi apparus avec la grève et la mobilisation des marins qui ont empêché le débarquement des renforts policiers envoyés en urgence du continent au prétexte de « maintien de l’ordre ».
Dans la foule rassemblée, l’indignation était à son comble, et chacun a tenu à marquer par sa présence sa solidarité face à cette agression qui apparaît comme le point d’orgue d’une succession de provocations de l’appareil d’État à l’encontre de la Corse, tout au long de l’interminable épisode du « départ immédiat » du préfet Lelarge, huit mois durant, alors que son départ de Corse était annoncé dès le lendemain des élections territoriales de juin 2021, après l’écrasante victoire des forces nationalistes.
Car les circonstances de l’agression contre Yvan Colonna suscitent bien plus que des interrogations. Le constat de la dangerosité avérée de l’agresseur, mise en avant par le procureur du parquet anti-terroriste pour expliquer son acharnement, rend encore moins compréhensible qu’il ait été possible qu’il soit laissé seul avec Yvan, sans surveillance, dans un même local de la prison.
Le récit de l’agression, sa durée inexplicable sans que nul gardien n’intervienne, les explications vaseuses de l’administration pénitentiaire qui a laissé les mains libres à cet individu, en lui confiant des tâches d’entretien, alors qu’il était « particulièrement signalé » pour sa dangerosité, tout cela conforte l’hypothèse d’une manipulation que seule une enquête indépendante pourrait éventuellement dissiper. C’est pourquoi la demande d’une commission d’enquête parlementaire a été faite par le Président du Conseil Exécutif, au-delà des enquêtes administratives de routine, mais cette demande est restée sans réponse à ce jour. Peut-être en sera-t-il autrement suite à la démonstration faite dimanche à Corti !
Car la tension était très forte à Corti, comme l’ont montré les incidents survenus aux abords de la sous-préfecture, et elle ne pourra qu’aller crescendo si rien n’est fait pour désamorcer la tentation d’une escalade.
À l’origine du drame de la prison d’Arles, il y a très clairement le refus obstiné du rapprochement des détenus corses imposé par l’appareil d’État au mépris de la loi, décision inique dont la conséquence a été le drame survenu à Arles. Le ressentiment qui anime les manifestants part de là, et toute hypothèse sur la possibilité d’un nouveau dialogue partira de là.
L’État changera-t-il d’attitude en prenant la mesure du choc que l’agression d’Yvan Colonna a provoqué sur l’île ? Entre le mercredi, date de l’agression, et le samedi, jour de la manifestation, il y a eu « zéro contact » de la part de l’État, comme l’a déclaré Gilles Simeoni à la presse. Le nouveau préfet est arrivé avec 72 heures d’avance, tandis que le débarquement de nombreux CRS semblait avoir été la priorité première de l’État. Pris au dépourvu par l’action du STC-marins, il a concédé le retour à Toulon de ces renforts policiers qui n’auraient pu débarquer à Aiacciu sans provoquer une nouvelle escalade des tensions.
Après la manifestation, Gilles Simeoni déclarait : « Le gouvernement et l’État, depuis la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna, auraient eu largement les moyens, s’ils avaient eu cette volonté, de donner des signes d’apaisement. (…) Tout le peuple corse a exprimé sa tristesse, son incompréhension, sa colère, et Paris serait bien avisé d’en tenir compte. » •