Par François Alfonsi
L’installation du Comité Stratégique sur l’avenir de la Corse marquera une date importante pour la Corse. L’autonomie sera-t-elle au bout du nouveau chemin qui s’est ouvert en ce 21 juillet 2022, comme nous l’espérons tous ? Il faudra attendre plusieurs mois et plusieurs réunions avant de pouvoir répondre à cette question. Mais une porte s’est ouverte et il serait impensable de ne pas aller au-delà.
2022 vient après 1982, le premier statut particulier créant l’Assemblée de Corse ; puis 1992, le statut Joxe dont la genèse avait procédé d’une même logique de concertation menée sous l’autorité de Michel Rocard et Pierre Joxe, mais au final largement amputé par le Conseil constitutionnel, notamment de toute référence au peuple corse ; puis en 2002, le processus de Matignon est resté bloqué au volet technique car Lionel Jospin a ensuite été battu au premier tour des élections présidentielles, avant que ne s’engagent d’autres discussions ; puis est venu 2018, mise en place de la Collectivité Unique, suppression des deux départements et création de l’actuelle Collectivité de Corse. Toutes ces réformes ont été faites à droit constitutionnel constant. À chaque fois il y a eu des opposants, mais, une fois que ces réformes étaient acquises, jamais personne n’a milité pour revenir en arrière !
Parallèlement à cette lente évolution institutionnelle, le peuple corse a effectué une profonde mutation politique. En 1982, l’UPC d’Edmond Simeoni avait rassemblé un peu plus de 10 % des voix et le mouvement indépendantiste était clandestin. En 1992, Corsica Nazione réalisait une première union et l’ensemble des listes nationalistes ont compté 25 % des voix. Durant vingt ans, le mouvement nationaliste a continué à rassembler entre 18 et 25 % des électeurs. Puis, à compter de 2014, la progression a été rapide et impressionnante : fin 2015, 36 % des voix, fin 2017, 56 % des voix et, en juin 2021, 68 % des voix.
C’est ce crescendo démocratique qui a rendu le statu quo impossible, malgré la fermeture affichée par le gouvernement durant toute la durée du premier mandat d’Emmanuel Macron. Les événements de mars dernier, après qu’Yvan Colonna ait été assassiné dans des conditions troubles et suspectes dans sa prison de haute sécurité, ont fait basculer les équilibres politiques. Gérald Darmanin est venu en prendre acte et annoncer l’engagement de l’État pour un nouveau processus de négociation. Cet engagement est concrétisé désormais.
L’autonomie, c’est par définition la libre administration d’un territoire au sein d’un État. Une « libre administration » suppose de véritables compétences, législatives et réglementaires ; « au sein d’un État » suppose un contrat politique clair qui en assure la souveraineté sur le territoire concerné, pour tout, ou, à tout le moins, la plus grande partie, des pouvoirs régaliens.
Où sera le curseur à l’issue des discussions ? Tout dépendra de lui.
L’étude comparative des différents statuts d’autonomie en Europe montre que cela peut varier d’un pays à l’autre. Ce « droit comparé » sera très certainement une base de travail essentielle, notamment au plan des revendications de base de la Corse : reconnaissance du peuple corse, de son Histoire particulière, de ses différences linguistiques et culturelles. C’est le cœur-même du mandat de la majorité nationaliste d’obtenir des avancées sur ces points essentiels.
Le ministre a signifié deux « lignes rouges » : l’appartenance de la Corse à la République française, et le refus de faire cohabiter deux catégories de citoyens sur un même territoire.
La première ligne rouge est claire, et chacun en a conscience : l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour des discussions. La seconde est moins claire, selon que l’on considère le territoire de la Corse ou celui de la France entière. Parce que le territoire insulaire est par nature particulier, ce qui implique une différentiation avec le reste du territoire français.
Par rapport aux précédentes négociations, une ligne rouge est par contre levée, celle du « droit constitutionnel constant ». Profitant de la durée permise par le calendrier électoral, à Paris comme en Corse, le « processus de négociation à vocation historique » qui s’ouvre dispose d’assez de temps pour envisager une réforme constitutionnelle, jusqu’à fin 2024. Cette perspective a été clairement posée par le ministre. Elle permet d’engager une véritable négociation. •