Cap'artìculu

Un été de catastrophe

L’été 2022 restera dans les mémoires insulaires, et ce maudit jeudi 18 août marquera les esprits pendant longtemps. La catastrophe climatique a surpris par sa soudaineté et par sa forme, des vents cycloniques dépassant les 220 km/h. En un instant, l’écart des températures entre une mer surchauffée et une atmosphère exceptionnellement glacée en altitude a provoqué un phénomène météorologique d’une violence encore jamais vue sous nos climats.

 

Pour cet été, on craignait avant tout les incendies dont l’île avait été miraculeusement épargnée en 2021. En 2022 aussi, malgré la sécheresse persistante, malgré les vagues de chaleur successives, l’île semble avoir à nouveau échappé à ce qui, il y a vingt ans, était son lot annuel de destructions, en forêt, dans le maquis, dans les subéraies et les oliveraies. Pourtant, bien plus au nord, dans les Landes et même en Bretagne, et à nouveau en Grèce, au Portugal, en Espagne comme en Algérie, la sécheresse et les records de chaleur de cet été, quasiment du jamais vu dans les annales météo, ont provoqué des désastres colossaux.

Ici, en Corse, le réchauffement climatique nous a frappés par surprise. On craignait les feux, c’est la tornade qui nous a atteints. Et avec quelle violence ! En trois quarts d’heure, du golfe d’Aiacciu à la baie de Calvi, ces vents extrêmes ont tout balayé, des centaines d’arbres arrachés et décapités, des toitures emportées, et, en mer, en ce pic de fréquentation maximum du mois d’août, ils étaient des milliers à finir la nuit à bord de leurs embarcations quand la tornade les a naufragés en quelques minutes seulement.

Ils racontent la mer à l’apparence si calme au lever du jour, puis cette masse nuageuse formée au large et fondant à une allure inouïe sur eux, ne leur laissant aucune possibilité de gagner un abri à terre. Grêle, vent, pluie, des dizaines de bateaux arrachés à leur ancre ou à leur amarrage ont été se fracasser sur les rochers ou, pour les plus chanceux, s’échouer sur la plage.

« C’était la débandade, les gens sautaient à l’eau, les femmes avec les enfants, c’était la panique » témoigne un de ceux qui à Girolata s’est porté au secours des victimes dès que cela a été possible. Rien que dans ce petit golfe, une centaine de bateaux au mouillage, un tiers ont été sinistrés, et 320 personnes secourues. Et le destin cruel a fait une victime, un pêcheur girolatais o combien expérimenté et consciencieux, à qui la météo n’avait donné aucune alerte avant qu’il ne prenne la mer comme il le faisait chaque jour au petit matin.

La plupart des autres victimes seront retrouvées dans des campings, écrasés par des arbres abattus par le vent : là aussi aucune alerte, aucun message pour éloigner les campeurs des zones à risque le temps que passe l’ouragan. Chacun s’accorde à penser que le nombre limité de victimes mortelles, cinq au final, est en fait un véritable miracle.

 

Beaucoup trop de carences ont été criantes. La tempête a ravagé le réseau électrique, et avec lui mis en rade tous les moyens de communication ou presque. Plus aucun téléphone fixe ni aucune téléphonie mobile ne couvrait les zones sinistrées, pas même la balise du Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) qui est tombée en rade alors qu’elle est censée être atteignable par toute embarcation en péril en mer, où qu’elle soit et à tout instant. La coupure d’électricité en a arrêté les émissions-réceptions, pas même une batterie pour en assurer le fonctionnement en cas de coupure du courant.

Ces 320 plaisanciers recueillis à Girolata, petit village isolé sans desserte routière, sont restés ainsi sans être secourus pendant des heures si ce n’est par des habitants eux-mêmes sinistrés. Il a fallu le miracle d’une ligne satellitaire pour que leur évacuation soit obtenue avant la nuit, alors qu’ils n’avaient rien pour s’abriter, le plus souvent en maillots de bains, sans compter la détresse psychologique des adultes comme des enfants.

Cette situation où les moyens ordinaires sont manifestement débordés nous l’avons vécue en Corse avec cette tempête. Ils l’ont vécue aussi dans les Landes face au feu gigantesque qui a menacé, des jours durant, des dizaines de milliers d’habitants. Des situations semblables ont été vécues partout en Europe, souvenons-nous l’an dernier les inondations mortelles en Belgique et en Allemagne, ou les incendies de Grèce et d’Espagne.

L’Europe a déjà déployé un dispositif pour mettre des canadairs complémentaires de ceux des États-membres face aux incendies quand les moyens ordinaires des autorités locales et nationales sont dépassés. Il faut aller au-delà désormais : expertise météo, gestion des alertes et maintien des communications, stratégies et moyens supplémentaires à mutualiser de lutte contre les événements de toute nature, feux, inondations, tempêtes. Le changement climatique va faire se multiplier les situations de crise, il faut impérativement accroître notre efficacité collective pour en prémunir les populations à l’avenir.

Dès ce 1er septembre, la Commission du développement régional du Parlement européen a demandé à l’unanimité que les choses aillent vite et loin dans cette direction. Ce sera un test pour la crédibilité de l’Union européenne. •