Gérald Darmanin

Un discours politique à vocation historique

Gerald Darmanin, Aiacciu
par François Alfonsi

 

En ce 6 février 2023, 25 ans après sa mort, la cérémonie d’hommage au préfet Erignac a servi de support à un discours politique d’importance prononcé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Les Corses l’ont écouté avec attention et ils ont entendu son message tourné vers l’avenir.

 

 

Il s’agissait pour Gérald Darmanin de frapper les esprits pour relancer le processus de dialogue dont il a pris la responsabilité il y a bientôt un an, en pleine tourmente politique, quand la colère des Corses avait rendu le déni de l’État à propos de la Corse insoutenable.

L’analyse est faite depuis plusieurs mois : au-delà des vicissitudes du calendrier, dont cinq mois neutralisés par l’enchaînement entre l’élection présidentielle qui a vu la réélection d’Emmanuel Macron, et l’élection législative qui a conduit à la confirmation de Gérald Darmanin comme « ministre de la Corse », le dialogue patine, butant sur la persistance d’une résistance sourde de l’État profond, qui s’est exprimée notamment par plusieurs décisions de justice négatives pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Voilà une semaine, l’horizon s’est dégagé, et Pierre Alessandri, après 23 ans de détention, a obtenu le statut de semi-liberté auquel il a droit.

Ce contexte nouveau a permis une ouverture politique et symbolique que le ministre de l’Intérieur a exprimé alors que se commémorait la mémoire du préfet Erignac, dont l’assassinat a été la plus grande blessure reçue par l’État en un demi-siècle de conflits sur l’île. Dans ce contexte très particulier, le ministre a fait entendre les nouvelles dispositions d’esprit au sommet de l’État pour l’avenir, qui est celui de « tous nos enfants qui n’étaient pas nés il y a 25 ans, (qui) ne peuvent pas déployer leurs ailes aujourd’hui s’ils sont tenus par le carcan du ressentiment. »

Se débarrasser des ressentiments, jeter la rancune à la rivière, a-t-il été répété en forme de conclusion, et d’appel à « écrire une nouvelle page, à inaugurer, ensemble, le début de la suite. »

Le discours de Gérald Darmanin a résonné juste, et placé la perspective des échanges à venir dans un nouvel état d’esprit. Ce dernier est-il partagé par Emmanuel Macron au sommet de l’État ? Il l’a assuré sans ambiguïté. Nous conduira-t-il sans difficulté jusqu’à une autonomie pour la Corse ? Ce serait bien sûr illusoire de le penser, et il faudra encore beaucoup de volonté politique pour vaincre les pesanteurs qui paralysent depuis si longtemps la solution au problème corse.

 

Un discours ne peut suffire, quel qu’il soit. Sa déclinaison prendra des semaines et, de cette négociation, pourrait alors surgir une ère nouvelle pour la Corse. Mais ce discours était nécessaire, car il a fait entendre une volonté clairement affirmée, un désir de paix aux accents sincères.

Il y a eu notamment ce mot de la fin, inattendu et même émouvant : « Mesdames et Messieurs les élus, les morts nous regardent » qui a rassemblé dans une même évocation toutes les victimes d’une histoire récente souvent sanglante. Cette évocation symbolique a fait tomber le mur invisible, le mur indicible, qui oppose, par leurs histoires respectives, ceux qui ont pour mission désormais d’écrire un avenir commun.

Le discours de Gérald Darmanin a été un discours marquant, avec des mots forts. Si suite lui est donnée, il pourrait rejoindre, je pense, celui que Michel Rocard avait prononcé devant l’Assemblée nationale il y a trente ans. Rarement l’État n’aura semblé fendre l’armure avec autant de sincérité.

La force qu’il exprime ne sera pas de trop, car on sait avec quel esprit de méthode la constitution même de l’État français, plus que tout autre État en Europe, est contraire aux projets que nous formulons collectivement pour le peuple corse. Mais l’espoir est permis. Et la réussite de ce processus de dialogue est la seule priorité que l’on doit avoir désormais. •