Le 1er mars dernier, Femu a Corsica a tenu une conférence de presse suite à la réunion tenue le 24 février place Beauvau à Paris pour livrer son analyse sur les perspectives du processus engagé avec l’État. Réunion qui s’est tenue en présence du Président de la République, Emmanuel Macron. Femu a Corsica a par ailleurs annoncé « un cycle de discussions » avec les autres forces nationalistes, ainsi qu’avec l’ensemble des forces politiques, syndicales, culturelles et associatives de l’île. Voici les principaux extraits de cette conférence de presse.
Cette réunion marquait la reprise du processus de discussion entre la Corse et Paris, au lendemain de la décision judiciaire de la chambre d’application des peines accordant un régime de semi-liberté à Alanu Ferrandi, et quelques semaines après une décision similaire de la Cour d’appel de Paris concernant Petru Alessandri.
Conformes au droit et à la justice – aspirations partagées par la société corse dans toutes ses composantes –, ces deux décisions ont contribué à recréer les conditions d’un dialogue serein et apaisé entre les parties, au même titre que le discours d’ouverture prononcé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le 6 février dernier à Aiacciu.
Quelques jours après la tenue de la réunion de Paris, et à la veille du 2 mars, date anniversaire douloureuse pour notre peuple qui donne à cette conférence de presse une dimension particulière, Femu a Corsica souhaite livrer son analyse sur la reprise du processus et tracer les perspectives que cette reprise offre à notre pays.
Avant cela, au seuil de notre propos, nous voulons avoir une pensée émue et solennelle pour Yvan Colonna et exprimer notre soutien à sa famille.
Nous savons que c’est son agression mortelle à la prison d’Arles le 2 mars dernier, et la mobilisation populaire sans précédent qui s’en est suivie, qui ont poussé le gouvernement et l’État à ouvrir un espace de dialogue entre la Corse et Paris, laquelle ouverture aurait dû intervenir depuis des années, par respect du suffrage universel et de la volonté majoritaire du peuple corse exprimée clairement et pacifiquement dans les urnes.
Nous resterons mobilisés pour que la vérité et la justice soient faites sur les circonstances de son assassinat, qui présente toutes les caractéristiques d’un scandale d’État, comme le confirment chaque jour les travaux en cours de la Commission d’enquête parlementaire.
De même, Femu a Corsica réaffirme que la question des prisonniers politiques, dans toutes ses dimensions, doit faire partie de la solution politique globale.
Une séquence positive et constructive
La réunion du 24 février à Paris, qualifiée de réunion « de reprise » a été ouverte par Emmanuel Macron.
La présence du chef de l’État a donné au processus, au plan symbolique, la dimension demandée par Femu a Corsica et Fà Populu Inseme, mais également par la déclaration des élus de la Corse du 7 décembre dernier. (…)
C’est la première fois qu’un Président de la République participe directement à un tel cycle de discussion.
Au-delà de la dimension symbolique et politique forte qui s’attache à la présence d’un Président de la République, les mots qu’il a choisi de prononcer devant tous les élus de la Corse créent une situation politique nouvelle :
– De façon générale, Emmanuel Macron a rappelé l’avènement d’un nouveau contexte depuis l’agression d’Yvan Colonna et les mobilisations populaires qui s’en sont suivies il y a un an. Il a exprimé sa volonté de réussir un processus qui doit permettre d’aborder et de traiter toutes les questions sans tabou, de façon à « tourner la page », à travers une « solution d’avenir et de stabilité ».
– Nous retenons, plus spécifiquement, trois points de son discours :
. Tout d’abord, le Président de la République a confirmé son intention d’inclure la Corse dans la réforme constitutionnelle prévue au début de l’année 2024. Nous en prenons acte avec intérêt dans la mesure où l’avènement et la mise en œuvre d’un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice implique nécessairement de réviser la loi fondamentale française.
. Le chef de l’État a ensuite affirmé que le moment était venu « de répondre à un besoin de reconnaissance d’une langue, d’une culture, d’une histoire ». Nous ajoutons d’un peuple, et nous proposerons bien sûr que cette notion soit incluse dans le champ des évolutions juridiques et constitutionnelles.
. Enfin, le Président français a convenu que le moment était venu d’inscrire la Corse dans son destin méditerranéen, que toutes les îles de Méditerranée ou presque sont autonomes et qu’il n’avait pas de tabou à parler d’autonomie « dédramatisant » ainsi lui-même, pour reprendre ses propres mots, la question institutionnelle.
Considérant l’ensemble de ces éléments, nous estimons que globalement, la séquence de vendredi dernier a été positive et constructive.
Elle est probablement la meilleure séquence politique dans le rapport entre la Corse et l’État depuis notre accession aux responsabilités en décembre 2015.
Elle ouvre donc des perspectives nouvelles qui nourrissent l’espoir d’un avenir de respect mutuel, de dignité, de reconnaissance et de paix.
Ceci étant, par expérience et par principe, nous restons prudents et vigilants quant à la traduction concrète du chemin esquissé par le Président de la République, tant les espoirs collectifs du peuple corse ont été déçus et méprisés dans le cadre des relations entre la Corse et Paris ces cinquante dernières années et a fortiori depuis sept ans. (…)
Pour une solution politique globale
Nous considérons que ce processus marque un moment charnière dans l’histoire contemporaine de notre pays et de son peuple ; il doit avoir une vocation historique ; il doit permettre de traiter tous les sujets, du plus consensuel au plus clivant, sans tabou ni ligne rouge, afin d’aboutir à une solution politique globale (…)
Cette solution politique d’ensemble doit ainsi comprendre la reconnaissance du peuple corse et de ses droits fondamentaux, notamment le droit de parler sa propre langue, le droit de vivre et de travailler sur sa terre, le droit de maîtriser son destin et ses choix stratégiques.
Nous continuerons donc de défendre sans relâche un statut de coofficialité de la langue, un statut de résident et un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice, traduction institutionnelle d’un peuple reconnu, maître de son destin.
C’est à ce prix que l’on pourra enraciner une paix réelle et durable en Corse, tourner la page d’un demi-siècle de conflit, de tension et de drame, pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la Corse et inscrire les relations entre la Corse et Paris dans un nouveau cadre, basé sur un respect mutuel et le droit, pour notre peuple, de maîtriser son destin sur sa terre.
De notre côté, nous sommes plus que jamais déterminés à réussir ce processus pour la Corse et les Corses (…)
Nous n’avons pas le droit d’échouer.
Paris doit enfin prendre acte du fait démocratique qui s’exprime dans ce pays depuis près d’une décennie.
De notre côté, nous sommes prêts.
Proposition d’un nouveau Titre dans la Constitution spécifique à la Corse
Comme nous nous y étions engagés en juillet dernier à la veille de la première réunion du Comité stratégique à Paris, Femu a Corsica, avec l’énergie de sa base militante et la force de ses convictions, a formalisé ces six derniers mois son projet d’autonomie, traduction institutionnelle de la solution politique globale que nous appelons de nos vœux.
Pour Femu a Corsica, cette évolution institutionnelle consiste en l’octroi progressif du pouvoir législatif à la Collectivité de Corse dans les domaines non régaliens ; (…) nous inscrivons cette autonomie dans une logique de construction nationale.
Adossée à une autonomie fiscale à construire, cette autonomie législative, traduction institutionnelle de ce que nous sommes en tant que peuple, correspond non seulement au sens de l’histoire mais constitue également le statut le plus adapté, à ce jour, pour répondre aux spécificités de la Corse et aux besoins réels des Corses afin d’agir concrètement sur leur quotidien.
À cet égard, nous proposons un nouveau Titre au sein de la Constitution française consacrant le statut de la Collectivité autonome de Corse de demain. L’insertion d’un Titre spécifique à la Corse dans le cadre de la réforme constitutionnelle souhaitée par le Président Macron présente un double intérêt d’un point de vue politique et juridique :
– D’une part, il permet de consacrer pleinement les spécificités géographiques, historiques, linguistiques, économiques, sociales et culturelles de notre île justifiant notamment l’octroi du pouvoir législatif dans les domaines non régaliens ;
– D’autre part, elle distingue la Corse à la fois de la Nouvelle Calédonie qui dispose d’un Titre à elle seule, de la Polynésie française (Article 74), ainsi que des Articles 73 (DROM) et 72 (France hexagonale).
Il s’agit d’une contribution que nous versons au débat public (…) Elle a par ailleurs été présentée par Gilles Simeoni au nom du Conseil Exécutif de Corse lors de la dernière réunion Place Beauvau (…)
Pour conclure, nous pensons, à Femu a Corsica, sans naïveté ni angélisme, qu’après un demi-siècle de lutte, une décennie de victoires électorales répétées et amplifiées, une année de révolte populaire légitime après l’agression d’Yvan Colonna, les chemins de l’espoir s’ouvrent enfin pour notre pays. •