Que pouvait bien promettre un Président de la République en fin de mandat alors qu’il n’est pas candidat à sa propre succession ?
Les déçus du discours présidentiel savaient bien à quoi s’attendre. Ce voyage est venu en fait conclure un cycle et donner la mesure des évolutions survenues en cinq années. Elles sont à vrai dire considérables.
Au début de son mandat les voyages de François Hollande étaient systématiquement « républicano-marqués ». Souvenons-nous que l’Assemblée de Corse était alors considérée comme de second rang, et les contacts limités à la réception des groupes politiques en Préfecture. L’étape bastiaise auprès du supposé inamovible Émile Zuccarelli était largement privilégiée, et la symbolique « bleu-blanc-rouge » systématiquement mise en avant à travers des hommages mémoriels centrés sur la Résistance.
Sans oublier bien sûr le passage inévitable devant la stèle Erignac en Préfecture, tout à fait compréhensible, mais dont le déroulement donnait le ton pour signifier les plus grandes réserves, voire l’hostilité franche, du pouvoir central à l’égard du mouvement nationaliste.
Depuis, Émile Zuccarelli et les siens ont quitté ou presque la scène politique, et les nationalistes sont arrivés aux responsabilités. Ils ont su travailler avec l’État à la concrétisation de la Collectivité Unique, malgré l’obstruction de l’opposition de droite et du « front jacobin », trouver une solution pour prolonger les arrêtés Miot, et mener des négociations somme toute fructueuses, en douze mois à peine, sur plusieurs points : statut d’île-montagne, rabais de la ponction budgétaire sur la CTC, mise à disposition des excédents de l’enveloppe de Continuité Territoriale, signature du protocole pour l’approvisionnement gaz, etc.
François Hollande aurait pu esquiver l’étape corse dans sa « tournée des adieux ». À vrai dire, personne ne l’aurait relevé. Il faut donc interpréter ce voyage, qui plus est accompagné des mânes de Michel Rocard, comme un changement de paradigme pour les relations entre la Corse et l’État. D’ailleurs les discours qui lui ont été adressés, avec force citations de François Mitterrand au début du statut particulier (Gilles Simeoni) ou de Michel Rocard (Jean Guy Talamoni) invitaient le Président sortant à renouer avec l’esprit de dialogue qui avait cours alors. François Hollande s’y est prêté, et c’est l’essentiel de son message.
Car François Hollande, s’il est venu en Corse, c’est avant tout pour prendre acte, en tant que chef de l’État toujours en exercice, des changements survenus depuis ses précédents voyages officiels. Il est venu pour tourner une page, et laisser à son successeur une feuille de route centrée sur le dialogue, et non sur la répression ou le déni.
Certes, le bilan est faible (pas de coofficialité ni de reconnaissance constitutionnelle ou de statut de résident), mais les promesses à cet égard auraient été vaines. Le récit de son échec pour la réforme constitutionnelle – « je n’avais pas de majorité pour cela » s’excuse-til, mais l’absence de volonté était en fait la vraie raison- résonne comme une incitation à en relancer le processus. Et ne sous-estimons pas certains points que la presse n’a guère relevés comme cette proposition que la Collectivité de Corse soit un « pôle avancé » de la stratégie méditerranéenne de l’État français. À la veille d’un voyage important de Gilles Simeoni à Malte, petit État insulaire qui préside l’Union Européenne pour six mois, ce message est important qui signifie que la Corse pourrait, par sa situation particulière, sortir des «missions ordinaires » des régions françaises sur la scène européenne.
Ce voyage de François Hollande marque en fait les avancées politiques qui ont eu lieu en Corse ces cinq dernières années : arrêt de la violence politique et union du mouvement nationaliste, effacement, sans espoir de retour, du moins dans sa version dite «de gauche», du « camp républicain », ancrage réussi des nationalistes dans une situation majoritaire appelée à durer à la tête des institutions de la Corse.
En cinq ans, ce n’est pas tant François Hollande qui a évolué, c’est la Corse qui s’est transformée ! Et le levier de cette transformation tient à un événement historique : l’arrivée du mouvement nationaliste aux responsabilités.
François Alfonsi