Par François Alfonsi
Initialement programmée pour le 16 mai, la rencontre entre la délégation corse et le ministre de l’Intérieur place Beauvau aura finalement lieu ce mercredi 7 juin après deux reports successifs. Depuis le 24 février, date de la dernière réunion qui avait été suivie par le Président de la République en personne, trois mois et demi sont passés. Le calendrier s’égrène, et il devient de plus en plus contraignant avant d’arriver à l’adoption d’une réforme constitutionnelle apte à ouvrir la possibilité d’une autonomie de la Corse.
Le gouvernement a manifestement beaucoup d’autres priorités que la Corse dans le contexte actuel.
La crise ouverte par la réforme des retraites fait encore l’actualité de l’Assemblée nationale avec l’examen de la proposition de loi déposée par le groupe LIOT où siègent les trois députés nationalistes corses. Le vote interviendra le 8 juin et la tension reste très forte.
Sur un autre front, la guerre en Ukraine s’apprête à rebondir. L’Europe a réussi à franchir sans trop de dommages l’an 1 de cette guerre, mais la crise de l’énergie et l’inflation qui a suivi peuvent rebondir dès l’hiver prochain.
La notation de l’économie française par les agences internationales a traduit l’incertitude qui domine la période actuelle. Un sursis a été obtenu, mais la menace reste bien présente.
S’ajoute à cela la propagation continue des thèses d’extrême-droite en Europe, scrutin après scrutin : la Finlande et la Suède au Nord de l’Europe récemment, l’Italie il y a peu, et bientôt, la probabilité est grande, l’Espagne où auront lieu des élections anticipées en juillet. Ça commence à faire beaucoup, tandis que le Rassemblement National continue à faire la course en tête en France à un an des prochaines élections européennes.
Faire émerger le dossier corse dans ce contexte est difficile. Cependant, le déroulement de la Commission d’enquête sur les conditions de l’assassinat d’Yvan Colonna dans la prison d’Arles s’est achevé sur un rapport accablant pour l’Etat. Les raisons qui ont amené l’ouverture de ce processus de dialogue restent donc d’actualité, obligeant le gouvernement à le poursuivre pour ne pas perdre sa crédibilité.
Pour cette nouvelle réunion, les documents préparatoires envoyés sont peu favorables aux problématiques soulevées par la Collectivité de Corse, notamment sur la question de l’accès au logement. Il y a une difficulté manifeste à maintenir un contact dynamique entre les négociateurs. Tout cela annonce des discussions difficiles.
Aussi, un certain scepticisme s’installe et provoque des positionnements politiques divergents à l’Assemblée de Corse (prise de distance de l’opposition de droite) et parmi les groupes nationalistes qui s’inscrivent dans l’opposition à Gilles Simeoni. Le « climat » de la négociation s’est manifestement détérioré lors des dernières semaines.
Mais d’autres évolutions font penser que la fenêtre reste ouverte d’un processus de révision constitutionnelle dans les délais impartis, avant que la mandature électorale actuelle n’arrive à sa dernière ligne droite. Car un autre dossier constitutionnel s’impose à la France en Nouvelle Calédonie.
Les accords de Matignon de 1998 initiés par Michel Rocard avaient en effet « gelé » le corps électoral admis à se prononcer dans le cadre des votes d’autodétermination accordés au Territoire d’Outre-Mer du Pacifique. Ainsi, depuis vingt-cinq ans, les listes électorales sont restées inchangées, et cela ne peut être prolongé davantage. Ceux qui sont nés dans la période, – ils sont 11.000 à avoir désormais 18 ans et plus – n’ont pu être inscrits, pas plus que d’autres établis désormais depuis de nombreuses années. Les Kanaks du FLNKS demandent pour ceux-ci une présence de dix années sur le territoire pour accéder au droit de vote ; le gouvernement, représenté là aussi par Gérald Darmanin, propose sept années : il reste des divergences mais un accord est annoncé pour les prochaines semaines. Comme le corps électoral actuel est fixé par la Constitution, il faudra une réforme constitutionnelle pour entériner le nouveau corps électoral, avant les prochaines élections provinciales.
Le développement du dossier calédonien vient donc conforter le calendrier d’une réforme constitutionnelle dans laquelle il est envisagé d’inscrire l’évolution statutaire de la Corse.
Au-delà des péripéties actuelles de calendrier et de contexte politique, le maintien de l’objectif de révision constitutionnelle est l’élément-clé du processus de Beauvau. Mais pour être prêt à ce rendez-vous, il faudra réussir, aussi vite que possible, à redynamiser le processus de dialogue entre la Corse et l’État. •