par Max Simeoni
Comme je l’ai fait la semaine dernière, je vous soumets un nouvel extrait du petit livret « L’autonomie interne pour le peuple corse » paru en décembre 1994 sous l’impulsion de l’UPC, mouvement autonomiste qui avait pris la relève de l’ARC en 1977. À l’heure où le concept ne fait plus peur à l’État français, remontons aux prémices de la revendication corse pour l’autonomie, on y verra que les militants d’alors étaient assez visionnaires…
« C’est en janvier 1973 qu’une nouvelle étape est franchie. Elle débute au moment où le FRC de Charles Santoni, le PPC de Dominique Alfonsi (1), et Terra Corsa de Gisèle Poli se fédère en Unione per a Pàtria et, avec la participation de l’ARC, rédigent la Charte de A Chjama di u Castellare qui demande l’autonomie pour la Corse.
Lors de son Assemblée Générale de juillet 1973, l’Action Régionaliste Corse devient Azzione per a Rinàscita di a Corsica, donc toujours le sigle ARC, mais corsisé.
L’ARC réclame un statut d’autonomie interne en même temps qu’elle entreprend un travail de fond pour populariser la notion de peuple corse historique. Max Simeoni signe dans ARRITTI (organe de presse des autonomistes qui fut fondé en décembre 1966), un éditorial intitulé : « Je suis un nationaliste corse » (19.08.1973).
Les dirigeants de l’ARC ont étudié la Constitution française et, dès cette époque, il leur apparait que tout « statut » sera difficile à obtenir au regard d’elle. Ils sont persuadés que rien ne sera octroyé, mais que tout sera arraché par des rapports de force et que, de toutes façons, les statuts possibles issus de la Constitution française, n’apporteront pas assez de garantie pour le peuple corse. Ils seront toujours aléatoires. Ils placent donc la notion de peuple « reconnu » à la base de toute stratégie, car seuls les droits d’un peuple sont imprescriptibles.
L’autonomie interne est à développer comme notion : elle est souhaitable car conforme au but. Elle est appréhendée selon une idéologie qui n’existe pas dans la Constitution française, et qu’on peut dire fédéraliste. La base de tout restant la reconnaissance du peuple corse sur sa terre.
L’autonomie interne n’a été prise à bras le corps qu’en 1974 (parution de « Autunumìa » en juillet 1974), comme d’ailleurs le concept de colonialisme, alors qu’ils figuraient tous deux dans les deux manifestes d’Yves Le Bomin et Paul Marc Seta et du CEDIC (2). La raison est, qu’alors, avec la fin de la décolonisation en Afrique du Nord, les deux mots sont perçus comme le prélude à l’indépendance à très court terme. La Tunisie de Bourguiba est la référence du moment. Et les Corses refusaient de se considérer comme des colonisés. Ils n’avaient pas compris ce qu’est le colonialisme par assimilation. Il n’existait pour eux qu’un seul colonialisme plus ou moins ségrégationniste dont l’apartheid en était la forme la plus extrême.
L’ARC du moment exalte le contenu historique du peuple corse. Elle n’en sera pas moins pour un « statut spécial », considéré comme une étape vers la véritable autonomie interne, comme un engrenage dans lequel il faut entraîner le pouvoir central. L’engrenage doit être alimenté par la force d’un réel combat à la hauteur d’une Histoire, celle du peuple corse. Le juridisme constitutionnel restant une illusion et devant céder le pas au rapport de force politique.
Cette démarche du CEDIC à l’ARC aboutit à Aleria, après quoi « plus rien ne sera comme avant ». Les tabous inhibants du passé sont brisés. L’ARC veut agir en profondeur dans la conscience des Corses. Elle veut qu’ils aient conscience qu’ils ont été et restent un peuple historique aux droits imprescriptibles, qu’ils doivent agir comme tel, ensemble, contre le « colonialisme » d’un Etat de nature jacobine qui, en leur ôtant par ses institutions et ses valeurs tout droit, les nie et les condamne à terme au néant. Il ne leur reste qu’à folkloriser leur patriotisme, leur attachement à la terre corse, à son histoire et à sa culture, avant de disparaître peu à peu, mais sûrement.
L’action de l’ARC est celle de la pédagogie, celle de l’exemple du citoyen responsable, du patriote déterminé, prêt au sacrifice pour convaincre et entraîner les Corses.
Ce nationalisme se veut rédempteur. Il doit pouvoir sauver le claniste, le filou, le sceptique, celui qui doute de sa culture, de sa langue, de l’avenir. Il n’exclut personne, ceux qui se renient et s’opposent durablement s’excluant d’eux-mêmes.
Il est admis que ce cheminement des consciences pour des valeurs nationalistes sera lent, laborieux, et nécessite des combats dont la force exemplaire doit balayer toute équivoque.
Il n’existe pas de voie rapide, royale, pour la décolonisation des esprits et pour leur homogénéisation « nationale » corse. •
- Front Régionaliste Corse (FRC) et Partitu Pupulare Corsu (PPC).
- Lire l’article ARRITTI de la semaine dernière, n° 2803