Une fois qu’il a été lâché, puis écrit dans le document du PV fondateur, le mot « autonomie » s’est imposé au cœur du processus de Beauvau. Cette demande est désormais matérialisée par un vote à près de 75 % de l’Assemblée de Corse. La réponse qu’apportera l’État est la clef pour l’avenir du processus de dialogue.
Le gouvernement peut-il renâcler sur l’objectif d’autonomie, dont il a admis qu’il soit inclus dans les options d’avenir, alors qu’il rallie désormais une large majorité en Corse, et dont il est clair que l’opinion française est prête à l’admettre sans grande opposition ? Ça lui sera difficile.
S’il va de l’avant, jusqu’où prendra-t-il en compte les attentes de l’Assemblée de Corse ? Et à partir de quel niveau les Corses jugeront ils que les avancées consenties sont suffisantes au regard des attentes exprimées par la délibération du 5 juillet 2023 ?
Car à un moment ou un autre du processus, le peuple corse sera appelé à se prononcer. Ce choix démocratique s’imposera, à ceux qui trouvent que le compromis ne va pas assez loin comme à ceux qui trouveraient qu’il va trop loin. L’Assemblée de Corse a proposé que ce soit à travers un referendum. On peut prévoir que ce sera la forme finalement retenue, ne serait-ce que par analogie avec ce qui a été fait en 2003, quand Nicolas Sarkozy avait décidé d’une consultation des Corses sur le projet de fusion des départements et de l’ancienne Collectivité Territoriale de Corse au sein d’une seule Collectivité Unique.
Cette consultation avait eu un résultat négatif par un très faible écart de voix : il serait catastrophique de reproduire le même scénario.
Le « referendum de Beauvau » ne peut être perdu ! Aussi l’État devra admettre de réelles avancées pour cette première autonomie.
Pour apprécier les réponses de l’État, il y a trois grilles de lecture :
– Celle des principes qui fondent le concept même de l’autonomie.
– Celle des transferts de compétences qui en situent l’ambition : plus ces transferts sont nombreux, plus l’autonomie sera consistante ; étant entendu que l’on peut distinguer compétences immédiates et compétences différées.
– Celles des transferts de moyens financiers dont l’ampleur, et la garantie dans le temps, sont essentiels à une collectivité autonome réellement maître de son destin.
Sur le plan des principes, l’autonomie doit nécessairement disposer, sur les compétences qui lui sont dévolues, d’un pouvoir législatif et réglementaire. C’est le point commun de tous les statuts d’autonomie que l’État a lui-même passé au crible d’une analyse comparée. Or la dévolution d’un pouvoir réglementaire, et a fortiori législatif, à une collectivité locale est contraire à la structure même de la Constitution française, notamment de ses articles 72, 73 (Départements d’Outre-Mer) et même 74 (Territoires d’Outre-Mer). La seule situation d’autonomie existant dans le cadre constitutionnel français est celui de la Nouvelle-Calédonie qui est traitée dans un Titre à part de la Constitution afin d’avoir un pouvoir de légiférer. C’est le cœur de la demande faite par la Collectivité de Corse dans sa délibération du 5 juillet dernier.
La délibération de l’Assemblée de Corse liste ensuite 46 compétences à attribuer à la Corse autonome qui vont de la langue corse à l’éducation, en passant par le pouvoir fiscal (« réglementer la totalité des impôts et taxes en vigueur ; en créer et en supprimer ») ou la politique énergétique, entre autres. Elle définit aussi une liste de dix compétences régaliennes « expressément réservées à l’État » (politique étrangère, entrée et séjour des étrangers, justice, etc.) qui sont consubstantielles de l’appartenance de la Corse à la République.
Au fil des discussions à venir, le curseur des répartitions des compétences pourra évoluer, jusqu’à un point d’équilibre dont on ne peut être certain à l’avance qu’il conviendra aux deux parties.
Et, au-delà des marchandages politiques, viendra celui des marchandages budgétaires, et aussi ceux liés aux transferts de moyens humains. Une compétence transférée sans moyens serait évidemment un piège mortel pour la future autonomie de la Corse.
À cet égard, les expériences des autonomies qui nous ont précédé en Italie par exemple (Sud Tirol-Alte Adige, Vallée d’Aoste) sont à étudier attentivement.
Dès la rentrée politique de septembre, les échanges devraient s’accélérer dans le cadre du processus de Beauvau. Le chemin à parcourir sera encore long. •