Le discours du 28 septembre 2023 d’Emmanuel Macron marquera l’Histoire moderne de la Corse. Il est le produit d’une évolution politique, qui est le résultat de plusieurs facteurs : une majorité nationaliste durable et renforcée scrutin après scrutin à l’Assemblée de Corse ; des événements échappant à toute maîtrise dans l’affaire Colonna, avec des risques importants de troubles graves ; une opinion française et européenne de plus en plus sévère à l’encontre du traitement jacobin du problème corse, ce qui en fait un foyer d’instabilité, alors que les solutions d’autonomie de la Sardaigne, des Baléares ou de la Sicile donnent de bien meilleurs résultats politiques. Ce discours marque incontestablement un virage, dont voici les principaux éléments.
Changement d’approche politique de la question corse
« Je suis convaincu que nous sommes à un moment historique. (…) Nous le sommes parce que vous appartenez, ici, à la tribune, comme au balcon, à des sensibilités et des formations politiques diverses, mais à des générations qui avaient connu le pire. Nous le sommes parce que, ces derniers mois, tous ensemble, vous avez su éviter le retour du pire, avec un esprit de responsabilité et un sens du devoir qui interdisent l’indifférence ou le statu quo. Nous sommes à un moment historique car je pense qu’il y a une prise de conscience collective précisément pour pouvoir avancer. (…)
La Corse a aujourd’hui besoin de davantage de liberté, de reconnaissance de son identité, de sa singularité insulaire et méditerranéenne. (…) pour sortir de cette situation d’incompréhension et de confrontation, de défiance et de ressentiment. Et il y a souvent eu de l’incompréhension, parfois de l’indifférence, qui ont nourri le ressentiment qui peut conduire jusqu’à la violence. C’est pourquoi le moment que nous vivons impose une véritable reconnaissance. Pour sortir du face-à-face, il faut épouser la complexité de cette histoire et ouvrir une page nouvelle. Je suis favorable à ce qu’une nouvelle étape soit franchie. (…) Le statu quo serait notre échec à tous. »
Reconnaissance de la Corse dans la Constitution
« Pour ancrer pleinement la Corse dans la République et reconnaître sa singularité, son insularité méditerranéenne, ce rapport au monde et son rôle dans l’espace qui est le sien, nous devons avancer. Et il faut pour cela l’entrée de la Corse dans notre Constitution, c’est votre souhait, je le partage et je le fais mien, car je respecte et je reconnais l’histoire, la culture, les spécificités corses dans la République. (…)
Je suis favorable à ce que les spécificités de la communauté insulaire Corse soient reconnues dans la Constitution au sein d’un article propre, celle d’une communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle. »
Les mots sont pesés !
Le pouvoir normatif, réglementaire et législatif
La capacité de définir des normes couvre à la fois le pouvoir réglementaire, dont le contrôle revient au Conseil d’État, et le pouvoir législatif, dont le contrôle revient au Conseil Constitutionnel. Voilà ce qu’en dit Emmanuel Macron :
« Je souhaite que la Corse bénéficie d’un cadre lui permettant de définir certaines normes et de mieux en adapter d’autres. Il s’agit d’abord de rendre plus simple et plus effectif le droit d’adaptation et le droit d’habilitation. Ils existent déjà dans le statut actuel, pourtant ils n’ont jamais été mis en œuvre. (…) (Ces blocages sont) liés au fait que, parce qu’il n’y a pas d’accroche constitutionnelle reconnaissant cette singularité, il n’y a pas une adaptation suffisante. Il nous faut là-dessus bouger.
Il faut aller plus loin et je suis favorable à ce que soit étudiée la possibilité pour la Collectivité de Corse de définir des normes sur des matières ou des compétences transférées. Cette capacité normative devra évidemment s’exercer sous le contrôle du Conseil d’État et du Conseil Constitutionnel. (…) Il s’agit d’ouvrir la possibilité d’une gouvernance responsable et libre d’un territoire. (…) La progressivité et l’évaluation régulière devront accompagner ce nouveau fonctionnement. »
L’autonomie
« Il nous faut, en la matière, je le crois profondément, sortir de l’importation de tel ou tel référentiel, en miroir d’autres îles et régions de Méditerranée et d’Europe, pour bâtir un référentiel qui soit pleinement Corse, celui de la Corse dans la République. Pour répondre au besoin de reconnaissance et éviter de nouvelles confrontations, allons au-delà des totems pour les uns, des tabous pour les autres. Au fond, ayons l’audace de bâtir une autonomie à la Corse, dans la République.
Cette autonomie doit être le moyen pour construire, ensemble, l’avenir, sans désengagement de l’État. Ce ne sera pas une autonomie contre l’État, ni une autonomie sans l’État, mais une autonomie pour la Corse dans la République. »
La langue corse
C’est le passage le plus étriqué de son discours, dans la tradition du ministère de l’Éducation nationale :
« Un service public de l’enseignement, en faveur du bilinguisme, sera mis en œuvre. Il nous faut donner plus de place à la langue corse dans l’enseignement comme dans l’espace public. »
La suite du processus : main tendue, pas de ligne rouge, mais « dans les bornes » de la République
« L’enjeu est celui-là : tracer un cap d’espoir et bâtir un équilibre stable pour les prochaines générations. (…) Je suis prêt à mener cette étape à son terme. (…) Aussi, pour cheminer dans de bonnes conditions et obtenir l’accord du Parlement pour modifier la Constitution, il est nécessaire que les différents sujets institutionnels que je viens d’indiquer fassent l’objet d’un accord des groupes politiques de l’Assemblée de Corse, cœur battant de la vie démocratique de l’île.
Je souhaite donc que le travail avec le Gouvernement puisse mener à un texte constitutionnel et organique, ainsi soumis à votre accord, d’ici six mois. (…) Pour construire cet accord entre le Gouvernement et vous, il n’y a pas de ligne rouge (…) Je vous le dis avec franchise, c’est seulement si un tel accord est conclu que, par sa force et sa légitimité, nous serons en mesure d’engager avec une chance de succès la réforme constitutionnelle auprès du Congrès.
La nouvelle étape institutionnelle que je vous propose est un changement profond de la relation entre l’État et la Corse. (…) C’est une étape historique à laquelle nous devons collectivement œuvrer. Ce discours est une main tendue…
La nouvelle étape institutionnelle que nous voulons lancer doit permettre à la Corse de conserver son âme et son identité tout en restant dans les bornes de la République et de continuer ainsi à bénéficier de la solidarité nationale. » •