Coup de théâtre le 22 août 1976, alors que les militants de l’Associu di i Patriotti Corsi (qui a pris la suite de l’ARC dissoute) sont réunis en congrès à Abbazìa, Max Simeoni monte une opération à Aghjone où il fait sauter à visage découvert la cave du colon Cohen-Skali, alors qu’Edmond attend d’être jugé. Son message aux militants de l’APC est publié dans Arritti pour expliquer la portée de son geste. Plus tard, il expliquera la seconde raison de cet acte, mettre la pression sur les réseaux barbouzes qui agissent sous les ordres du préfet Riolacci car en prenant le maquis il ne leur permet plus d’agir en toute impunité… De même il a la possibilité de faire un procès très politique s’il est arrêté. D’ailleurs il ne se constituera prisonnier qu’au départ du préfet plusieurs mois plus tard, et son procès n’aura jamais lieu car l’affaire était trop compromettante pour l’État. Dans son message aux militants il prend bien soin de demander de n’être pas suivi dans cet acte et de veiller à tout prix à éviter l’affrontement entre Corses.
A bomba
par Max Simeoni
Cari fratelli è care surelle, ce 22 août, anniversaire d’Aleria, j’ai pris l’initiative, sous ma seule responsabilité, d’occuper avec une quinzaine de compagnons, la cave de M. Cohen-Skali, sur la route d’Aghione qui rejoint la route de Vezzani.
Par cet acte illégal, je veux attirer l’attention des Pouvoirs Publics face au Peuple Corse sur les points suivants :
1) Les promesses faites à tous les échelons (M. Blaizot à la suite de M. Liber Bou, le Préfet Gilly, le Président de la République dans sa lettre à M. Chirac et bien d’autres…) n’ont pas été tenues.
En particulier, un an après Aleria, les terres des escrocs ne sont pas attribuées à de jeunes Corses et la SAFER n’existe pas.
2) M. Cohen-Skali n’est par un escroc – du moins rien ne permet de le dire à ce jour. N’empêche qu’il détient 400 hectares de terres corses avec plusieurs caves vinicoles, et qu’il a des intérêts importants (on le dit milliardaire) dans d’autres activités industrielles sur le continent. Il ne vit pas en Corse, mais il est l’exemple type du « cumulard » et de l’agent du colonialisme. Ce qui prouve que la colonisation et l’aliénation de la Corse peuvent se faire tranquillement dans le cadre du « statu quo » et ce malgré de petites lois françaises contre le cumul en matière vinicole.
Or, il est urgent que la colonisation qui ronge notre Peuple et le condamne à disparaître cesse. Il nous faut donc d’autres lois faites pour le Peuple Corse afin d’assurer d’abord sa survie, puis son épanouissement sur sa terre. Il faut un statut d’autonomie interne dans le cadre de la République Française.
3) La corsisation promise reste un mot vide de contenu et la décorsisation poursuit ses méfaits contre la substance même de notre communauté historique.
4) Les mesures promises en ce qui concerne le renouveau de notre langue et de notre culture sont dérisoires par rapport à l’ampleur de la tâche dans ce domaine.
Ce ne sont là que quelques exemples à titre indicatif. J’aurai l’occasion de m’expliquer à fond, si cela est encore nécessaire.
Mon acte individuel est un acte qui veut montrer ma détermination farouche, partagée par celle de mes compagnons, et d’arrêter la colonisation.
Je dis à tous les spéculateurs coloniaux que tant que j’aurai un souffle de vie, je le consacrerai à l’échec de l’entreprise coloniale en Corse. S’il ne tient qu’à moi, ils bâtissent sur du sable.
En aucun cas je ne demande que cette action, ou des actions plus ou moins similaires, soient perpétrées par d’autres militants ou sympathisants.
Je veux que cet acte personnel et illégal reste pour le moment un avertissement solennel, et qu’il serve surtout à mettre autant que possible chaque Corse devant ses responsabilités morales vis-à-vis de son Peuple colonisé et en danger.
Je demande aux « élus » de la Corse de cesser de faire le jeu du colonialisme et qu’ils se soucient avant tout de la situation alarmante de la démographie du Peuple Corse.
J’adjure les autonomistes de bien veiller à mener leur lutte pour le Peuple Corse en évitant à tout pris l’affrontement entre Corses où certains veulent les amener, ce qui serait un avantage énorme et peut-être décisif pour le Pouvoir Colonial.
Je demande à tous les militants et sympathisants de l’APC, non seulement de rester groupés dans leur mouvement légal qui est le seul pour le moment capable d’assumer valablement la cause du Peuple Corse, mais encore de tout faire pour en améliorer par l’organisation dans la responsabilité, l’efficacité.
La lutte sera dure. Il faudra payer le prix mais tout activisme est à proscrire car contraire à l’efficacité politique et faisant toujours en réalité le jeu de l’ennemi.
Le Peuple Corse ne s’en sortira que s’il le mérite, car les forces énormes du colonialisme qui l’étreignent ne permettent ni démagogie, ni solution de facilité légale ou clandestine. Le Peuple Corse est en train de prendre conscience ; vous vous devez de l’y aider de toute votre volonté et de toute la force tenace dont vous êtes capables. Sans lui, l’APC comme n’importe quelle organisation n’est rien puisque l’APC est à son service exclusif. Personne ne peut avoir la prétention d’aider le Peuple Corse sans sa permission et sans son désir d’être aidé, ce qui implique qu’il ait d’abord conscience de sa situation critique.
C’est une lutte au niveau de l’Histoire que nous devons mener tous ensemble. Elle est trop vraie et trop ardue pour laisser place à des menées politiques de pacotille. La foi et le courage sont nécessaires mais ne suffisent pas. Il faut aussi la réflexion, l’intelligence et l’esprit de sacrifice, mais en dehors de tout romantisme. Chacun a droit à l’erreur, mais l’inconséquence est criminelle.
Pour finir, je m’adresse à l’État français pour qu’il comprenne qu’il ne peut atermoyer et que s’il continue, il portera les plus lourdes responsabilités face à l’Histoire.
L’État doit comprendre que, ayant toujours été un responsable politique conscient, ayant toujours préconisé l’action légale, si aujourd’hui je franchis le pas de l’illégalité à visage découvert, ce que je suis et ce que j’ai fait dans le passé ne peuvent laisser aucun doute sur mon appel qui se veut avant tout un avertissement solennel autant que l’affirmation d’une volonté inébranlable, dût-elle me coûter la liberté ou même la vie.
Evviva a Corsica !
Evviva u nostru Populu ! •