Ainsi, de tout son vécu et de son expérience, parlait avec sagesse et bon sens Max Simeoni… Ses analyses restent tellement pertinentes, tellement nécessaires… Ici, l’éditorial du 14 juin 2001, en plein processus de Matignon…
Théoriciens ou praticiens ?
par Max Simeoni
La société insulaire répète les mêmes démarches sans jamais aller au bout et sans tirer les leçons. Elle bégaie.
L’ARC initie le nationalisme dans les années 60 avec un moteur puissant : la défense de la terre corse, agricole et littorale, menacée d’accaparement par des « allogènes ». Cette entame de la décolonisation trouve un grand écho et un soutien populaire, et commence à démysthifier le clanisme. Le syndicat agricole est né de cette lutte, des terres ont été récupérées par les militants politiques comme les 800 hectares du domaine de Migliacciaru de l’Exfortef.
De grands groupes financiers qui avaient acheté une grande partie du littoral sont tenus en échec dès l’affaire de l’Hudson Institute dont le rapport commandité par la Datar avait privilégié à leur profit une des trois options possibles, cette d’une baléarisation massive du littoral corse.
À la veille d’Aleria, tout était déjà bien défini (peuple corse, autonomie interne, voie démocratique), et des actions de terrain énergiques bien lancées. Qu’est-ce qu’il est advenu dans les 25 années qui ont suivi ?
Une radicalisation indépendantiste d’abord tiers-mondiste devant être arrachée par la violence clandestine dans le concept de Lutte de Libération Nationale révolutionnaire, dont le modèle était le FLN algérien.
Cette radicalisation persiste dans le mot « indépendance » mais elle est devenue européenne et dans un processus de paix et de négociation type Matignon. Elle est en fait renvoyée à plus tard d’autant plus qu’il est affirmé que rien ne sera imposé aux Corses. On devrait donc avancer par étapes, par petites poussées, et finie la rupture révolutionnaire.
Le mot indépendance ne serait-il plus qu’une enseigne de boutique pour la concurrence ?
Les « concurrents » sont emplis d’une obsession : ils ne veulent en rien être confondus avec ceux qui continuent à cautionner les dérives passées de la violence clandestine : l’impôt révolutionnaire et les règlements de compte.
Les deux sont acharnés à se démarquer entre eux. Mais trop de points communs du nationalisme ressortent tels que cela exige de leur part une attention de tous les instants.
Le syndicalisme agricole a fait faillite dans la gestion des institutions, chambres d’agriculture, Odarc et dans celle des subventions, du traitement de la dette ou de l’organisation des filières. Mais on recommence les guerres de religion là où elles ne devraient pas exister.
Pourquoi s’entêter à opposer priorité au développement contre la préservation du littoral ou l’énergie éolienne et les sites ? Il s’agit aujourd’hui plus de construire que de dénoncer les dangers : la spoliation, la spéculation immobilière. Construire en tenant compte de toutes les données souvent contradictoires. Il ne peut en être qu’ainsi car il n’est pas possible de commencer en faisant table rase de tout ce qui existe sur le terrain. Progressivement et avec le temps, on peut surmonter les contradictions et les blocages irritants. On peut préserver l’avenir, le potentiel naturel, mais en avançant quand même de telle manière qu’on ne compromette rien définitivement.
Le rêve mythique d’un paradis perdu ou se perdant ne tiendra pas lieu d’exécutoire face aux données concrètes d’un développement « durable » nécessaire mais difficile à réaliser.
L’article 7 du projet est notoirement insuffisant pour sauver la langue corse. Il faudra une coofficialité sans restriction. Mais tout en luttant pour l’obtenir au plus vite, qu’est-ce qui nous empêche d’améliorer la position de la langue corse en jouant à fond avec les outils dont on dispose déjà et avec l’action des associations culturelles, ne serait-ce que pour faire la pédagogie des risques des enjeux de la diglossie ?
La démocratie, nous sommes tous pour ! Mais celle du peuple corse ne sera complète que lorsqu’il sera reconnu (dans la Constitution ou à l’ONU !) et qu’il aura ses citoyens inscrits sur les listes électorales. Mais ne devons-nous pas renforcer l’esprit et les pratiques démocratiques au jour le jour, à commencer dans nos propres organisations pour qu’elles en deviennent des modèles convaincants ?
La solidarité est un mot qui revient çà et là sous toutes ses plumes. Faute d’avoir les moyens institutionnels de l’organiser par nos propres lois, ne pouvons-nous pas la pratiquer a minima mais d’une façon telle que tout Corse sera convaincu qu’elle existera quand nous serons au pouvoir.
Inutile d’allonger : les idées sont passées. Des espaces sont ouverts où les pratiques nouvelles que nous préconisons peuvent commencer à s’exercer. Pourquoi faire comme si à chaque semestre nous redécouvrions le début du monde et pour nous poser en novateur ?
Nous dissertons, nous déclamons, nous compilons. Agissons ! Accouchons de cet outil démocratique nationaliste qui peut déjà agir et doit surtout être capable d’arracher enfin les moyens de l’ère nouvelle de reconstruction de notre peuple. •