Cela fait déjà trois mois que Max Simeoni nous a quitté. Il n’y a meilleure façon de lui rendre hommage que de faire perdurer sa parole dans l’hebdomadaire qu’il a fondé il y a 57 ans. Et cette semaine est aussi l’anniversaire d’Arritti, dont le premier numéro paraissait le 8 décembre 1966 ! Dans cet éditorial, Max nous raconte à l’occasion de l’anniversaire des 40 ans du titre en 2006, comment il a préparé et vécu cet évènement décisif de l’histoire du nationalisme corse.
40 ans déjà…
par Max Simeoni
Cet anniversaire me ramène 40 ans en arrière, à la naissance et aux premiers pas d’Arritti. Me revoilà sur le Continent bouclant ma thèse de médecine, au milieu de mes camarades corses dressant l’oreille aux cris qui montaient de l’île comme un appel venu du fond des âges. La Corse Cendrillon, princesse aux bois dormant, se réveillait ; sa diaspora frémissait. J’avais hâte d’y retourner pour vivre ces heures exaltantes…
Quand enfin je pus visser ma plaque de médecin en 1961-62, plus rien, juste quelques éructations avant le néant. Ma perplexité m’était insupportable. Pourquoi ? Les témoins interrogés étaient désabusés, furieux de s’être laissés prendre à y croire, ils ne voulaient plus en parler et vous envoyaient paître. Les acteurs, eux, se renvoyaient la balle de l’échec. Vous rencontriez aussi quelques sourires de commisération qu’on réserve aux troupeaux des éternels crédules.
Cependant l’impression se confirmait qu’il y avait eu un besoin refoulé et puissant dans l’inconscient collectif qui a explosé, dans l’émotion seulement. Laborieusement, je reconstituais le puzzle.
La Dieco (Défense des intérêts économiques de la Corse) avait mis le doigt sur l’absurdité des mécanismes économiques et fait naître le sentiment d’une injustice criarde. Le prix de la bouteille en verre (il n’y avait pas de plastique) doublait par la traversée des bateaux. Sans péréquation, il fallait payer le transport, la casse, les vols et l’épicier du coin (il n’y avait pas de grande surface) n’y était pour rien. Quel choc ! La Dieco pensait pallier la carence des élus incompétents et irresponsables et informer les autorités qui ne tarderaient pas à rectifier le tir. Elle se méfiait de l’agitation populiste du Mouvement du 29 novembre, plus hostile au gaullisme. Lequel se méfiait en retour d’une Dieco technicienne, trop proche du pouvoir. Ils préféraient l’appel au peuple. Mais ils se disaient – la Muvra était une plaie non cicatrisée – « ni autonomistes », « ni irrédentistes », et réclamaient à tue-tête d’être traités « comme un département français à part entière ».
En 1962-63, plus rien, des lambeaux de rêves. Le jus attiédi du mécontentement sera récupéré avant de geler par la CAPCO (Comité d’action et de promotion de la Corse) en relation avec des « Corses de l’extérieur » dans le jeu des partis de gauche et des syndicats classiques.
Dans cette ambiance crépusculaire, je guettais le moindre son qui ferait écho à une espérance en suspens.
L’Informateur de Louis Rioni avait ouvert ses colonnes à Paul Marc Seta qui était à Paris (il vient de disparaître prématurément) et qui fulminait contre la Somivac. Nous fîmes chorus pour très vite créer le Cedic (Comité d’études et de défense des intérêts de la Corse). Nous avons tiré les leçons.
Le Cedic se veut technique et pédagogique comme la Dieco, il cherche comme le 29 novembre un assentiment populaire solide autre qu’un feu de paille. Partant du creux de la vague prudemment, il préfère avancer des idées plus que des têtes nouvelles. Il cible l’administration centraliste et les clans et dénonce une politique délibérée et constante qui veut la disparition de « l’ethnie corse ». Mais vite il mesure la difficulté à faire connaître ses analyses. Les deux quotidiens locaux sont les porte-voix de la Droite et de la Gauche, les clans ainsi dénommés. Les dirigeants du Cedic ne parviennent pas à faire passer un simple communiqué. Il leur reste les colonnes de L’Informateur. La radio corse est réduite à diffuser les communiqués le matin de la préfecture et du président du conseil général, alors unique, François Giacobbi. Un organe de presse est une nécessité pour aller plus loin. Un quotidien pour jouer à armes égales. Vite, on me démontre que c’est hors de portée : il faut des centaines de millions d’anciens francs. On me conseille un mensuel. Non, ce sera au moins un hebdomadaire pour lutter contre la désinformation quotidienne et pour coller suffisamment à l’actualité !
On y est d’autant plus poussé qu’il faut répondre aux premières réactions favorables et que de ci delà d’autres commencent à émerger. À Paris de 1960 à 1963, l’Union Corse l’Avenir portée par des étudiants et des jeunes diplômés, a un journal du même nom.
Avec le soutien d’Yves Le Bomin et d’Antoine Confortini qui ferraillent dans le créneau fiscal (« chiffre d’affaires », « vignette » et droits indirects, arrêtés Miot), je recueille par souscription les tous premiers abonnements et je puise surtout dans mes propres derniers. L’aventure d’Arritti peut commencer.
Quelques jours avant la Noël de 1966, l’équipe de militants bénévoles est groupée et attend autour de la « lino » typographique aux caractères de plomb, du Gutemberg à peine amélioré.
Vous dire l’émotion qui a été la nôtre au moment où nous avons vu tomber entre nos mains le premier numéro d’Arritti est impossible. Le miracle de la vie, comme la naissance d’un enfant. Un moment sidéré par la joie intense, qui va vite exploser, les bouchons de Champagne sautaient allègrement.
Nous avions senti en réalisant cette simple concrétisation que nous avions trouvé notre carburant pour fusée, que plus rien ne pouvait nous arrêter. Un acte fondateur à l’état pur, et notre enthousiasme galvanisé.
Dans le même temps, le Cedic œuvrait à constituer avec l’Union Corse l’Avenir le FRC (Front régionaliste corse) pour aussitôt s’en séparer et lancer l’ARC présente sur le terrain, avec l’ambition d’entraîner tout le peuple dans le combat pour sa propre survie en ne comptant avant tout que sur ses propres forces.
Le rôle d’Arritti dans la fournaise, dans les tremblements de terre et les raz-de-marées a tenu le cap. Il a été et est la vie même d’hommes nombreux et dévoués partageant l’amour de leur terre et fiers d’en être. Que lui souhaiter d’autre ? •