Max Simeoni, le sage, chargé d’expériences du combat. Voilà un éditorial, écrit le 10 mai 1991, en plein processus Joxe. Max Simeoni, comme responsable de l’Union du Peuple Corse (UPC), figurait comme l’un des négociateurs. Sa réflexion développe l’importance de la persistance du combat, calme, mesuré, patient. Car le combat d’un peuple est long, mais peut vivre des accélérations de l’Histoire. Qui aurait pensé il y a seulement trois ans, que nous parlerions d’inscrire la Corse et ses aspirations dans la Constitution, son identité particulière, en lien avec sa langue et sa culture, sa terre, son statut d’île de Méditerranée, ses difficultés économiques, son droit à décider de son avenir, et que pour cela l’autonomie ne serait plus un tabou ? Qui ?
À rombu di luttà…
Cù a calma
par Max Simeoni
Depuis trente ans les militants de l’UPC remettent sur le métier l’ouvrage. Le nationalisme autonomiste continue imperturbable sa mission, l’émancipation du Peuple Corse. L’histoire du peuple corse ne s’arrêtera pas l’émancipation acquise. Il restera à construire ce pays. Il faudra bâtir la société corse, l’économie de la Corse, recorsiser tout l’espace corse, faire rayonner la culture corse, échanger avec les autres, s’inscrire dans les grands chambardements du troisième millénaire si proche, parmi lesquels la construction européenne n’est pas le moindre défi, participer au nouvel ordre international, en un mot remplir toutes les conditions qui assurent la vie d’un peuple.
Aussi petit soit-il dans ses dimensions, il ne peut pas échapper à devoir exister de par lui-même d’abord, et avec les autres peuples ensuite.
La retraite des militants, et des anciens combattants n’est pas pour demain. Il y a du labeur pour plusieurs générations. Nous avons eu l’honneur de participer à un des renouveaux qui jalonnent l’histoire de notre peuple comme celle des autres. Nous l’avons vécu comme un drame.
Souvenez-vous : « Dans 10 ans (dans 5 ans pour certains), le Peuple Corse est mort ! » disions-nous.
Notre effort, notre lutte a fait reculer l’échéance. De combien ? Peu importe ! La relève est assurée. Le peuple est certes malade, à peine convalescent, mais il est dans la bonne voie.
Si on regarde le chemin parcouru, tout s’éclaire et la satisfaction peut commencer à remplacer la frustration et l’inquiétude qui étaient notre lot quotidien, qui hantaient même notre sommeil de militants stressés. Si nous regardons derrière, nous comprenons combien le tempo de l’histoire est désespérément long quand on le compare à celui fébrile de nos vies si courtes d’êtres humains.
Si nous regardons d’où nous sommes partis : il y a 30 ans, le drapeau à tête de maure n’existait plus. Grâce à nous, il a repris droit de cité. Il est même au fronton de la Région Corse. Qui l’eut cru ?
Il y a 20 ans, « Peuple Corse » sonnait comme une incongruité. Il n’existait qu’un seul Peuple fourre tout, le Peuple français !
Aujourd’hui le Parlement français en débat, délibère et vote sa reconnaissance. C’est un début ! Qui aurait pris le pari, il y a seulement deux ans ?
La montée en puissance de ces deux symboles caractérisent bien l’émergence, la résurrection du Peuple Corse. Les symboles peuvent être trompeurs. Oui, mais la mort peut aussi n’être qu’apparente. Le Peuple Corse, nous le savons maintenant, n’est pas mort, même si on ne peut pas assurer qu’il est hors de danger.
L’effort et la lutte sont à continuer sans faiblir, mais ils prennent de plus en plus les couleurs de l’espoir.
On a d’abord crié « Vince o more ! », puis on cria : « Vince per ùn more ! »
Aujourd’hui, le cri de ralliement est « Campà è campemu da Corsi ! » Ci vole à pensala, forse senza pusà !
La situation aujourd’hui nécessite autant d’énergie, mais pour développer une force tranquille, sûre d’elle-même ; le temps des barricades à la hâte dressées n’est plus. Le colonialisme est à découvert, il doute de lui-même, le clan ne lui sert plus de rien. Il va le jeter à la poubelle de l’Histoire comme un gadget usé.
Le vent de l’Histoire s’amplifie. Il souffle sur toute l’Europe dans les voiles des peuples.
Ci vole à pigliàssila cù a calma ! •