Assemblea naziunale

Trois semaines de totale incertitude

Par François Alfonsi
La dissolution décidée par le président de la République au soir de l’élection européenne ce dimanche ouvre une période de totale incertitude pour l’avenir. Le résultat électoral de l’extrême droite, près de 40 % des voix en France, a précipité une décision aux conséquences imprévisibles.

 

 

L’élection législative consécutive à cette dissolution aura lieu les 30 juin et 7 juillet prochains. En Corse, trois députés nationalistes sont sortants : Jean Félix Acquaviva et Michel Castellani de Femu a Corsica, et Paul André Colombani du PNC. Le quatrième, Laurent Marcangeli, est du parti présidentiel, mais il est lui aussi partie prenante de l’accord politique élargi autour du projet d’autonomie de la Corse. En remettant leurs mandats en jeu, la dissolution de l’Assemblée nationale expose le processus de Beauvau à un risque de déstabilisation en Corse même. Maintenir la représentation nationaliste de la Corse à Paris est le premier enjeu désormais.

Leurs adversaires potentiels seront en effet issus des rangs des pires opposants à l’autonomie de la Corse. Le Front national a fait du rejet de l’autonomie le cœur de sa campagne en Corse, et la dynamique électorale qui est la sienne désormais est une menace réelle. Le vote de dimanche dernier a une composante évidente de vote protestataire facilité par l’éloignement des enjeux lors d’une élection européenne, et par une moindre participation que celle qui s’annonce pour le 30 juin prochain. Mais son haut niveau (40 % des voix) fait de ses candidats des prétendants sérieux.

 

L’autre opposition au processus, celle de la droite « officielle » n’est pas moins dangereuse. Durant tous ces mois de négociations, le sénateur Jean Jacques Panunzi n’a eu de cesse de fragiliser la position de Gilles Simeoni, et son principal leader politique, François-Xavier Ciccoli, qui avait menacé la réélection de Jean Félix Acquaviva en 2022, a cornaqué la tête de liste européenne Les Républicains, François Xavier Bellamy, dans ses prises de positions anti-autonomistes durant la campagne.

Pour eux, la dissolution est une nouvelle chance. Il faut surtout ne pas la leur laisser. La priorité désormais est donc la campagne pour remporter, et si possible renforcer, notre représentation à Paris. Sans ce prérequis, le projet de réforme constitutionnelle pour la Corse serait évidemment menacé.

Mais il devra aussi trouver un terrain favorable pour pouvoir progresser au sein du Parlement jusqu’à la décision de modification constitutionnelle. La composition de l’Assemblée nationale sortante était grosso modo favorable, la majorité relative présidentielle étant épaulée par des soutiens qui se sont exprimés dans plusieurs autres groupes, LIOT, Écologistes, au sein de LFI et des Socialistes. Dans la future Assemblée, on s’attend à une forte progression du Front national au détriment principalement des soutiens d’Emmanuel Macron, dans la logique du vote protestataire survenu dimanche. Cela pourrait alors bloquer le processus de révision constitutionnelle, préalable indispensable pour décider d’une autonomie pour la Corse.

 

La décision prise par Emmanuel Macron aura donc, sauf retournement spectaculaire de l’opinion française, pour effet principal de l’affaiblir lui-même en l’obligeant à recourir à une cohabitation dès cet été. Est-ce une décision d’anticipation face au risque d’une motion de censure qui l’aurait obligé à dissoudre cet automne ? Probablement pour partie, l’effet de surprise pouvant jouer en sa faveur en dramatisant les enjeux. Et, en étant à l’initiative, sa position est meilleure que celle qui aurait été la sienne s’il avait dû dissoudre après un revers à l’Assemblée nationale comme cela avait risqué d’être le cas lors du débat sur la réforme des retraites.

Mais, au-delà des jeux tactiques, il y a un problème de fond qui est posé à la démocratie française par la montée d’une extrême-droite désormais très puissante. Sur la scène européenne, c’en est même devenu le bastion principal alors qu’elle recule dans plusieurs pays (Suède, Finlande, Pays-Bas), qu’elle a obtenu des résultats inférieurs aux pronostics des sondages dans plusieurs autres (Belgique, Allemagne, Espagne, Portugal). De ce fait, malgré les 31 sièges obtenus en France, les forces d’extrême droite à Strasbourg, par ailleurs fractionnées en trois chapelles désormais, ne changeront pas fondamentalement la gouvernance du Parlement européen fondée sur un consensus entre les groupes de « l’arc démocratique ». À Bruxelles, l’extrême-droite est plus forte, mais il est encore possible de les cantonner aux seconds rôles.

Par contre, en France, l’ampleur de leur score de dimanche dernier est à l’origine d’une crise majeure qui ébranle la démocratie française, et qui menace les projets de la Corse. •