Au lendemain des Législatives de 2022 et à la veille des Territoriales, Max Simeoni rappelait, comme à chaque fois, les véritables enjeux d’une élection : les Corses « veulent-ils rester un Peuple sur sa terre » ? Comprennent-ils « qu’il faut l’autonomie et la reconnaissance du Peuple Corse » ?
Le souffle de l’Histoire
par Max Simeoni
Dans l’article de la semaine passée, « Il y a 45 ans… », je reproduisais la déclaration de José Stromboni à la Conférence méditerranéenne contre la pollution tenue à Beyrouth les 4 et 6 juin 1973. Elle avait provoqué un incident diplomatique. Déclaration lumineuse et frappante d’actualité avec les pollutions diverses : pétroliers, vidanges, plastiques, fleuves pollués qui s’y déversent… Ce texte pourrait être repris mot pour mot malgré le Parc marin des Bouches de Bonifaziu et celui promis du Cap Corse. Mare Nostrum est toujours une poubelle.
Je comptais évoquer cette semaine le Manifeste pour la Défense de l’Ethnie Corse publié en avril 1964 par le Cédic. Les deux documents me paraissant intéressants en regard de la situation actuelle, comme un regard dans le rétroviseur pour bien conduire.
Le Manifeste du Cédic avait déjà répertorié tous les aspects du problème corse abordés par la suite par les mouvements régionalistes puis autonomistes et indépendantistes. Ils n’ont pas encore trouvé de solution dans les statuts octroyés (Defferre, Joxe, Jospin).
La question du jour est de savoir dans quelle mesure les succès électoraux (mairie de Bastia, CTC, Législatives) qui se sont accélérés, conjugués à l’effondrement de tout le système politicien à deux poulies, le clan local et le centralisme jacobin, préfigurent le succès de la cause du Peuple Corse sur sa terre.
Où doivent porter les efforts des natios ? Qu’attendre du chambardement parisien ?
J’ai tendance à penser que rien n’est acquis, que des petits pas aussi spectaculaires soient-ils ne sont pas ceux décisifs pour une victoire finale. J’entends dire : « avà ci simu ! » Iè, simu in marchja, mà… mais la route à faire est encore longue.
La coofficialité est indispensable pour pouvoir mener une politique de sauvetage de notre langue que l’Unesco couche sur la liste des langues en voie de disparition. Politique sur le long terme, le bilinguisme ne suffit pas, il est un leurre ou un mensonge cynique. Et on veut nous culpabiliser en disant que ce serait de la discrimination, qu’il faut que son enseignement reste facultatif. Le déclin de notre langue est le fruit d’une politique économique et idéologique coloniale dont nous avons été victimes comme Peuple. Tenter d’effacer les conséquences d’un crime serait donc discriminatoire. Nous ne voulons léser personne ni dans sa liberté, ni dans ses intérêts légitimes ou de carrières, nous saurons faire des étapes de transitions nécessaires mais il faudra bien un jour que la langue corse soit transmise d’une génération à l’autre car si nos enfants ne l’utilisent pas, quand ils seront parents ils ne la transmettront pas même s’ils la comprennent.
Même longue route pour garder le lien avec la terre. Sous prétexte de développement par le bâtiment et le tourisme, elle deviendrait une simple marchandise, elle supporterait l’enrichissement rapide financier, la spéculation, l’enlaidissement, l’anarchie des égoïsmes et des comportements mafieux. Or ce lien avec la terre est ce qui fait l’âme des Corses. Impossible de le laisser se distendre, se dissoudre sous peine d’être des vaincus sans appel voués aux oubliettes de l’Histoire.
Avons-nous avancé pour ce minimal du Padduc et le reste ? Non ! Mais tous les processus qui creusent la tombe continuent. L’intérieur expire malgré les beaux discours, la langue n’est plus transmise naturellement dès le sein, elle est condamnée à terme. Le temps perdu si on en reste là aide les fossoyeurs.
Lundi 3 juillet, au congrès de Versailles le président Macron a décrit les perspectives, s’est adressé à tous les élus et à tous les Français pour dire la nécessité de remettre en cause les fonctionnements pervers. Il s’est voulu persuasif, pédagogue, lyrique, déterminé. On ne doute pas de sa sincérité mais il sera jugé à ses actes. On l’a entendu prononcer des mots agréables à nos oreilles, contre le centralisme jacobin, pour l’esprit girondin, pour plus de pouvoir aux régions… des mots enregistrés non pour attendre mais continuer à agir sur tous les fronts.
Il faut faire des élections et les gagner, discuter, expliquer mais l’essentiel est à faire avec les Corses. Les armes pour le combat à gagner ils les ont en eux collectivement. Personne ne peut les suppléer. C’est une question d’âme. Veulent-ils rester un Peuple sur sa terre, productif, dans son temps dans le réel comme dit le Président, ouvert, accueillant mais restant maître de son destin. Engranger des petits pas qui sont faits mais en disant toujours que le compte n’y est pas, qu’il faut l’autonomie et la reconnaissance du Peuple Corse. Les querelles électives sont dérisoires et coupables pour des nationalistes. À eux de les dépasser, c’est un de leurs devoirs historiques. Le front est de partout pour servir la cause. Les élections de fin d’année seront honorables, les circonstances paraissant favorables mais il faut plus qu’un changement honorable, il faut qu’elles aient le souffle de l’Histoire, de notre Histoire. È cusì sìa. •