L’histoire éternellement recommencée des rapports de force avec Paris… Cet article était rédigé en décembre 2012. Nous étions alors dans les discussions de la commission Chaubon, coofficialité, statut de résident, pouvoir législatif, ce qui nous permet de mesurer le chemin parcouru aujourd’hui quand hier le mot « autonomie » était encore tabou aux yeux de l’État. Une chose est sûre, comme le répétait sans relâche Max Simeoni, plus la Corse parle d’une seule voix, plus elle pèse face au pouvoir jacobin.
Consensus : accouchement à risques
par Max Simeoni
Les élus ont débattu des travaux des commissions Langue et Chaubon à huis clos sans vote est-il précisé. Bonne nouvelle si cela facilite un échange entre élus débarrassés des postures publiques habituelles mais aussi le signe d’une difficulté à conclure. Langue et réformes institutionnelles sont indissociables.
Après l’euphorie de nos élus découvrant qu’il leur était possible d’œuvrer de concert pour sortir la Corse de l’impasse séculaire, ils prennent la mesure des difficultés face à deux ministres expédiés tout de go par l’Exécutif de la République afin d’enrayer la vague des crimes et qui fait savoir sa réticence aux réformes sa priorité étant de rétablir l’ordre public. S’il attend les propositions des élus, c’est dans une position de retrait, voire d’hostilité à initier une réforme constitutionnelle cependant absolument nécessaire pour des éléments déjà « consensuels » comme par exemple la coofficialité. Certains exégètes expliquent que cela serait dû à ce que le gouvernement n’aurait pas de majorité qualifiée à un Congrès de Versailles réuni pour modifier la Constitution.
Hollande candidat avait squeezé le « problème corse ». Il s’était simplement engagé sur la Charte des langues minoritaires. Ce « problème corse » est irritant soit, mais sans plus. Il peut être traîné en longueur puisqu’il n’existe pas encore de poussée dans l’île capable d’imposer son traitement global sans tarder et que le « consensus » hésite. Or la solution est incompatible avec l’idéologie jacobine et il devient de plus en plus difficile d’ignorer le problème d’un peuple historique. Les gouvernants sont contraints de manœuvrer pour en atténuer la portée. Il a résisté tant bien que mal à toutes les dominations et il a même en pleine lutte de libération initié du temps de Pascal Paoli les chemins de la modernité. Écrasé par les armes royales, dénié par les jacobins, il a été affaibli, désorienté au point que le pouvoir a pu aller jusqu’à nier son existence : il n’existe pas, il n’a jamais existé.
Il a cependant protesté épisodiquement dans certaines conjonctures et avec une force plus affirmée quand la perception d’un danger mortel s’est précisée. Les protestations en cours ont commencé dans les années 1960 dans l’urgence et en prélude d’un « nationalisme » défensif qui a su mettre en relief la falsification historique du jacobinisme présentant le peuple comme une population attardée à cause d’un territoire ingrat et du comportement génétique de ses habitants ne trouvant son salut qu’en se jetant dans les bras grands ouverts d’une République généreuse et forte de sa grandeur universelle.
Un intérêt géopolitique en Méditerranée sans doute mais bien plus un poids à traîner et à supporter, digne d’une reconnaissance totale et définitive. Un réservoir d’hommes pour l’Empire et l’administration certes mais qui ont bien profité de servir la mission civilisatrice de la République. De quoi remercier sans fin tout en bombant le torse. Les élections locales régulièrement fraudée n’était-ce pas les Corses qui les faisaient ? Le pouvoir pouvait fustiger ces pratiques d’indigènes indigents, s’en laver les mains et en tirer parti, assuré qu’il était que ces élus folkloriques ainsi occupés et gratifiés oubliaient leur commune histoire, rien que des citoyens… « spéciaux ». L’égalité devant la loi républicaine devenait l’assurance tous risques des individus. Cette pseudo-égalité individuelle maintenant tout le territoire en situation d’infériorité et de dépendance. Les « natios » ont aidé à mettre en évidence cette duperie et peu à peu à la faire partager par d’autres quand cette terre « pauvre » a été bienvenue pour le problème des Pieds-noirs chassés par la décolonisation et qu’elle s’est révélée un filon d’or facile à exploiter avec l’essor d’un tourisme spéculatif considérable.
Le constat finit par persuader le nombre d’insulaires, l’Europe se faisant, que l’impasse perdure et que les promesses d’un développement harmonieux ne sont pas tenues ou mal tenues. La machine à désinformer fonctionne à plein régime mais son rendement est moindre.
« L’autonomie ?… pas les moyens ! » On oublie de dire qu’elle doit être précédée et accompagnée d’un « plan de rattrapage historique » avec l’appui de l’État, la bienveillance de l’Europe et l’effort en commun des Corses aspirant à la dignité.
« L’autonomie ? Ce serait le chaos des petits chefs de bande ! » Quel mépris global ! Raciste, non ? La « crise corse » des violences serait due à un terrain culturel et génétique, impossible pour « un républicain pur et dur » de concevoir qu’elle est surtout le résultat du système négationniste.
Tout le drame historique tourne autour de la notion de peuple. Les gouvernants le niant, ils traiteront les symptômes et jamais la cause. Ils refusent la coofficialité (« trop chère et discriminatoire pour les fonctionnaires non corsophones »…) car elle entame le dogme républicain.
Saluons au passage la claire volonté d’un Pierre Ghionga et aussi les propos du PCF qui donnent à espérer malgré tout.
Quant à la Charte des langues minoritaires, elle peut permettre d’en choisir quelques dispositions insuffisantes si on refuse d’aller jusqu’à celles qui équivalent à une coofficialité.
Il faut être clair. Pour sauver la langue, il faut tous les moyens démocratiques disponibles et une volonté politique de plusieurs générations. Si les moyens d’ampleur sont mégottés pour sauver la langue, préserver la terre, reconnaître le peuple corse, la chute continuera inéluctable. Ils ne seront arrachés qu’avec la prise de conscience d’une majorité de Corses. Les jeux convenus électoraux ou autres de la société républicaine sont amusements pour victimes inconséquentes, à pratiquer sans illusion, l’essentiel est de parler au peuple. •