Par François Alfonsi
Le voyage officiel de la ministre du Partenariat avec les Territoires et de la Décentralisation, officiellement en charge du dossier corse, s’est étiré sur plusieurs jours. Il laisse un sentiment mitigé. Le « dossier corse », celui de l’autonomie, semble renvoyé à plus tard, et les « dossiers corses », ceux du quotidien, celui de la vie chère, celui du budget de la Collectivité de Corse, celui de l’avenir des ports et des aéroports, celui des difficultés économiques, restent sans réponses.
À titre de comparaison, on peut se rappeler le voyage en Corse de Gérald Darmanin qui, par son discours prononcé lors de la commémoration Erignac en février 2023, avait relancé des discussions alors enlisées dans les embrouilles judiciaires à propos de la libération de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. « Un discours politique à vocation historique »avait alors titré Arritti : les propos beaucoup plus lénifiants de Catherine Vautrin durant les quatre jours passés à sillonner la Corse ne sont clairement pas du même acabit.
On connaît la suite des événements après le discours de Gérald Darmanin de février 2023 : Emmanuel Macron s’invitant à la réunion du Comité stratégique en avril place Beauvau, puis venant devant l’Assemblée de Corse prononcer le mois de septembre suivant son discours sur la possibilité d’une autonomie avec pouvoir législatif, jusqu’aux « écritures constitutionnelles » de l’accord de Beauvau signé en mars 2024, un an après.
Depuis juin, et la dissolution impromptue de l’Assemblée nationale, le dialogue entre la Corse et Paris est resté en panne en raison de la crise politique au sommet de l’État. Celle-ci n’est pas résolue, loin de là, et on savait à l’avance que cela limiterait les engagements de la ministre. De là à presque évacuer toute référence à l’autonomie dans ses discours, alors que le président de la République et son prédécesseur ministre en charge du dossier l’avaient mise en avant, il y a clairement le choix de freiner le processus engagé.
Les éléments de langage préparés avant sa venue ont privilégié la reprise d’une rengaine inventée en son temps par Valery Giscard d’Estaing, au lendemain des événements d’Aleria et bien avant le statut particulier décidé par François Mitterrand qui lui a succédé : « il n’y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse ».
Toute la galaxie des successeurs des barons du clanisme d’alors, héritiers de Jean Paul de Rocca Serra, Emile Zuccarelli et François Giacobbi, comme les nouveaux CFR du Rassemblement national, ont applaudi à ces propos de la ministre, au nom de la « Corse du quotidien », comme si la Corse d’aujourd’hui était détachée de son passé et n’était pas amenée de préparer son avenir.
Cependant, la déception quant au contenu de ce voyage ne doit pas nous faire ignorer ce qui en fait la première importance : il a eu lieu ! Dans le contexte politique difficile du moment, illustré par les débats budgétaires chaotiques en cours à l’Assemblée nationale, le premier des risques était que la Corse soit écartée de l’agenda politique national. Ce n’est donc pas le cas.
Un calendrier a même été précisément posé par Catherine Vautrin, avec la perspective d’un Congrès à l’automne l’an prochain. D’ici là, les Commissions des Lois du Sénat (c’est en cours), puis de l’Assemblée nationale, donneront leurs avis sur les « écritures constitutionnelles » adoptées par l’accord de Beauvau, avant que le président de la République ne rédige sa proposition de réforme constitutionnelle sur laquelle les deux Assemblées devront délibérer en termes identiques, avant l’été. Ce qui ouvrirait alors les portes du Congrès de Versailles à la réforme constitutionnelle qui permettra l’autonomie de la Corse.
Tamanta strada ! diront les plus pessimistes. Raison de plus pour ne pas s’en détourner nous-mêmes ! En restant concentrés sur le « problème corse », et sa solution par un statut d’autonomie, tout en apportant, sans démagogie, des réponses efficaces aux problèmes de la Corse du quotidien. •