Les images apocalyptiques qui nous viennent d’Espagne, et plus particulièrement de la Communauté autonome de Valencia ont choqué toute l’Europe. Plus de 220 morts pour un bilan qui reste hélas provisoire et des dégâts considérables. Il y en a pour des milliards d’euros et des années pour rebâtir. Des quartiers entiers sont ravagés, des milliers de personnes sont sans abri… et une colère qui monte avec l’incapacité des pouvoirs publics, à Madrid comme à la région présidée par le Partido Popular de Carlos Mazòn, à prévenir suffisamment en amont la population, et à faire face à toutes les urgences dans ce qui est pourtant la troisième ville d’Espagne !
La communauté de Valencia est une région connue pour subir des inondations régulières. Comme partout, elles s’aggravent d’année en année avec l’intensité des précipitations dues aux bouleversements climatiques, mais les politiques d’aménagement du territoire n’ont pas suivi et l’augmentation de l’artificialisation des sols est un facteur aggravant.
Le monde change, il faut impérativement s’adapter.
La région de Valencia est régulièrement touchée à l’automne par des épisodes pluvieux. Elle subit de plein fouet le climat méditerranéen, avec l’augmentation des masses d’air chaud qui rencontre le refroidissement de saison provoquant des pluies intenses. Jusqu’ici, la plus grande catastrophe s’était produite à Valence en 1957 suite à la crue du fleuve Turia, tuant 82 personnes. Pour tenter de protéger la ville, le fleuve a été détourné… mais la nature reprend toujours ses droits et les fleuves, et même des ruisseaux habituellement à sec, se sont transformés en quelques heures en torrents dévastateurs. Si certains quartiers ont pu être épargnés, le sud de Valencia, particulièrement peuplé avec plusieurs petites villes en pleine expansion, puis tout le pays valencien, ont été ravagés par le phénomène du 29 octobre. Les montagnes de véhicules enchevêtrés qu’elles ont laissées témoignent de la puissance des vagues de boue qui ont déferlé en certains endroits.
Des milliers de bénévoles affluent vers les régions sinistrées. Une belle solidarité, mais il faudra plus pour soigner le traumatisme.
La région est un cas d’école des désastres des politiques d’urbanisation et d’aménagement du territoire faisant fi des évolutions climatiques.
En Espagne, comme en Europe, en France, ou en Corse, l’artificialisation des sols rend les villes vulnérables aux phénomènes météorologiques extrêmes. La bétonisation, routes, parkings, constructions, empêchent l’eau de s’infiltrer dans les sols, les voies d’évacuation sont insuffisantes pour canaliser des pluies intenses.
Sur son post X (ancien Twitter), Serge Zaka, un agroclimatologue, a réalisé un montage vidéo de cette artificialisation dans la région de Valencia, et commente à raison : « L’urbanisation a clairement créé un toboggan géant entre la ville de Valence et son amont, là où l’orage a stationné. Valence sera un cas d’école. Augmentation de l’intensité des pluies liée au changement climatique. Vulnérabilité croissante due à l’imperméabilisation des sols. Ce timelapse révèle la construction massive en zone inondable, dont une gigantesque zone commerciale à l’ouest de la ville. Face à la nouvelle donne climatique, la question de la vulnérabilité de nos villes se pose clairement. »
Cette urbanisation s’est faite au détriment des espaces naturels, agricoles et forestiers de la région qui a perdu les deux tiers de ses vergers (plus de 9000 ha) en l’espace de 50 ans déplorait il y a déjà 10 ans, le géographe valencien Victor Soriano. Ainsi, plus de 6000 ha ont été perdu sous le franquisme, de la fin des années 50 à la fin des années 70 du fait du besoin en logement de populations nouvelles venues de la campagne désertée au profit de la ville… Même s’il a ralenti par la suite (-1600 ha de verger détruits) ce « boom immobilier » a été réalisée « au-dessus des besoins de la population » déplore Victor Soriano. Une « croissance folle » qui s’est faite dans la tradition de l’époque sans réflexion sur l’aménagement du territoire, « cela a donné naissance à des bâtiments entourés de vergers qui ont fini par disparaître ». Or, ces vergers faisaient jusqu’ici office de « zones tampons » en périphérie de la ville en récupérant les eaux de pluie. Parmi les causes de cette dérive, Soriano relevait que les municipalités ont hérité de pouvoirs en matière d’urbanisme qu’elles n’avaient pas auparavant et optent pour un développement basé sur la construction.
La région de Valencia est autonome depuis 1982, mais dirigée par le Partido Popular, héritier du franquisme, elle a fait de mauvais choix et n’a pas su contrecarrer cette dérive immobilière enclenchée depuis les années 50 dans toute l’Espagne. Le littoral est « deux fois plus urbanisé qu’il y a 30 ans » alerte Greenpeace. « C’est la deuxième destination touristique mondiale avec par endroits plus de 90 % du territoire bétonné ».
On a construit « tous azimuts », souvent « dans des zones inondables, très près des rivières » déplore Antonio Aretxabala, professeur en géologie à l’Université de Saragosse, expert en catastrophes naturelles.
Et le pays valencien n’est pas seul à subir ces évolutions du climat. Dans la même semaine, en France, à Rive-de-Gier dans la Loire le 17 octobre, à Kinshasa au Congo les 18 et 19 octobre, en Italie en Emilie-Romagne (Bologne) ou en Ligurie le 20 octobre, à Roswell au Nouveau Mexique le 20 octobre, à Shiraz en Iran le 24 octobre, à la Mecque en Arabie Saoudite le 27 octobre, aux Philippines le 27 octobre (avec au moins 110 morts sur l’île de Luçon), et ça continue cette semaine à Barcelone le 4 novembre, partout on a vu d’énormes précipitations entraînant le débordement de fleuves et rivières, la montée du niveau de la mer et des dégâts considérables. Le monde change du fait de l’activité humaine, et ces bouleversements sont désormais irréversibles. Ils vont s’intensifier et leur fréquence doubler d’ici 2050 selon Météo France.
En Corse, dans les années 80, les associations de défense de l’environnement comme U Levante prévenaient du danger à bâtir sur le littoral ou près des fleuves. Elles ont été souvent raillées. Elles le sont encore. C’était pourtant du simple bon sens, dont on n’a pas tenu compte. En 2015, le Padduc se conforme à toutes les grandes lois de l’environnement et notamment de prévention des risques inondation et submersion, sa cartographie et ses livrets règlementaires ont été décriés par bon nombre d’élus. Ils le sont encore. C’est pourtant des recommandations nourries de constats que nul ne peut plus nier.
Aujourd’hui, ces constats continuent de nous alerter. Les bouleversements climatiques dus au réchauffement de la température terrestre provoqueront de plus en plus de sècheresses en certains points de la planète, tandis que des tempêtes et inondations dévastatrices se produiront en d’autres points. Il faut impérativement s’adapter.
Dans les textes, juridiques et règlementaires, les leçons ont été tirées, des mesures sont édictées, comme dans le plan de gestion des risques d’inondation de la Corse (PGRI 2022-2027). Mais combien de PLU en tiennent réellement compte dans leur cartographie ?
Dans les faits, au niveau de la volonté politique d’application rigoureuse des textes adoptés, la société reste laxiste, les élus et les administrations complices pour satisfaire des velléités de construction. L’urbanisation avance là où elle ne devrait pas, dans les zones inondables, sur le littoral ou près des fleuves et rivières. Elle avance aussi au détriment des espaces agricoles et naturels qui, outre permettre le bâtir l’autonomie alimentaire de l’île, sont des espaces indispensables pour absorber les précipitations. De même, les coupures vertes dans les zones urbaines sont rarement prévues dans les documents d’urbanisme alors qu’elles sont là encore un moyen d’absorber les pluies, en sus d’offrir un meilleur cadre de vie aux populations.
Il faut respecter le Padduc. Rejeter les projets qui ne se conforment pas aux textes, qu’ils soient privés ou projetés dans des plans locaux d’urbanisme.
Et pour l’existant, il faut « aménager les sols, les surfaces, les bâtiments », explique l’urbaniste, spécialiste en conception bioclimatique, Clément Gaillard. « Il faut que les nouvelles opérations d’aménagement prennent en compte ces sujets. Et nous avons la possibilité de faire évoluer l’existant. Certaines zones commerciales se désertifient aujourd’hui. Nous pouvons les transformer pour faire en sorte qu’elles soient plus poreuses et mieux adaptées. Depuis les années 1970, un contre-modèle s’est développé, avec la “gestion intégrée des eaux pluviales”. Contrairement à la volonté de canaliser l’eau, cette méthode essaye de faire en sorte que les espaces publics que nous imaginons puissent
servir de réservoir ou d’espace tampon pour retenir les eaux pluviales en cas d’inondation. »
Il faut également développer « une culture du risque » dit encore Clément Gaillard. « Il s’agit d’apprendre à vivre avec le risque. Face au risque d’inondation, cela doit nous conduire à revoir notre occupation des rez-de-chaussée, en faisant en sorte qu’ils ne soient plus habités dans les zones inondables… Avec le changement climatique, nous allons de toute façon rencontrer des volumes de précipitations qui n’auront jamais été prévus. »
C’est un impératif, pour préserver des vies humaines et éviter les coûts pharamineux des catastrophes à venir. •