On l’appelle la « tueuse d’oliviers »… la bactérie Xylella fastidiosa, est désormais en France. Elle a été découverte à Menton. Et elle est aussi aux Baléares, où un plant infecté a été découvert sur l’île de Majorque. Avec la région des Pouilles, en Italie du Sud où elle sévit depuis 2013 au moins, la Corse se retrouve donc cernée! Notre île a identifié la souche Multiplex qui, même si, différente de la souche Pauca, elle n’attaque pas l’oliveraie, est déjà en situation de généralisation sur le territoire. Et c’est tout notre couvert végétal qui vit donc sous la menace! En Italie, c’est la catastrophe, malgré les multiples décisions d’éradication violentes prises par les autorités, Pauca continue de progresser… Les oléiculteurs sont sinistrés. Les Pouilles, c’est la première région productrice d’huile d’olive au monde! C’est dire l’enjeu économique et environnemental pour nos voisins. Pour la Corse, il faudrait des mesures radicales, mais l’État français refuse de bloquer entièrement les frontières. Pire, il continue de faire rentrer les plants d’oliviers ou d’agrumes en délivrant des dérogations. Agnès Simonpietri, présidente de l’Office de l’Environnement de la Corse, répond aux questions d’Arritti.
La menace se rapproche partout en Europe? L’Allemagne a signalé deux cas de Xylella fastidiosa (souche fastidiosa) sur laurier-rose et romarin, dont l’origine est inconnue pour l’instant. Majorque vient de signaler un cas sur un polygala importé d’une pépinière de Barcelone (souche identique). Un cas de souche pauca a été rendu public par le Ministère de l’Agriculture il y a un mois : il s’agit d’un polygala du Jardin botanique de Menton ; ce cas avait été classé « multiplex » aux premières analyses effectuées par l’Anses/Inra d’Angers, ce qui pose le problème du diagnostic. Il y a beaucoup de difficultés à identifier les souches, voire à identifier les cas positifs : suivant la période, le type d’échantillon prélevé, le niveau d’atteinte, les résultats pourraient varier, les scientifiques s’interrogent même sur la possibilité de «faux négatifs ». Quant à l’Italie, l’épidémie progresse dans les Pouilles, un cas de Pauca a été découvert hors du « talon ». La situation semble désormais hors de contrôle… et la menace se rapproche en ce qui concerne la souche pauca, apparemment la plus dévastatrice, sans qu’on puisse évaluer le risque des autres souches et surtout des re-combinaisons de souches entre elles.
Et Corse, quelle est la situation? Les cas identifiés multiplex sont très nombreux, surtout en Corse du Sud. Nous sommes à la fois très inquiets, et très en colère de la façon dont l’État, qui a la compétence en matière de protection sanitaire végétale et animale, a réagi à l’aggravation de la menace. En effet, suite aux actions menées par les filières et les élus de l’Assemblée de Corse, un arrêté avait été pris pour tenter de protéger la Corse en septembre 2014, puis un arrêté général en avril 2015, pour interdire l’importation de végétaux sensibles à la Xylella dans l’île ; avec cependant une possibilité de dérogations sous conditions. Malheureusement les services de l’État ont augmenté de façon très importante le nombre de dérogations accordées : de 171 en 2015 à 687 en 2016,ce qui représente des dizaines de milliers de plants. Pire, malgré le risque « pauca » sur les oliviers on est passé de l’entrée de 1.403 plants d’oliviers en 2015 à 5.921 en 2016 ! Or on sait depuis long- temps que la notion de zone «non contaminée » d’où proviendraient ces plants est une illusion : comment expliquer par exemple que la Toscane est déclarée « indemne » alors que les plants de polygala détectés « multiplex » en Corse viennent de pépinières de Toscane et que le plant « pauca » de Menton vient de Ligurie ? L’Espagne déclarée « indemne » ne l’est plus aujourd’hui. Les contrôles aux ports et aéroports ne sont pratiquement plus visibles, il est vrai qu’ils coutent cher et que l’État estime avoir d’autres urgences à traiter. Mais manifestement des risques inacceptables ont été pris.
Sur le plan scientifique, il n’y a rien à faire? La bactérie est extrêmement difficile à détecter, extrêmement difficile à comprendre. On sait maintenant que les analyses ne sont pas fiables. Seule certitude, il y a bien des insectes vecteurs en plus de la transmission par contact, sans qu’on connaisse vraiment les «modes de fonctionnement». On sait également que les espèces en milieu naturel peuvent être atteintes, que l’altitude n’empêche pas le développement (nous avons un cas à plus de 800 mètres), que des espèces qui n’étaient pas connues comme sensibles à la Xylella le sont. Bref, il ne s’agit pas seulement d’une problématique agricole, mais d’une problématique générale, tout le couvert végétal insulaire est menacé. La situation est donc très difficile. Il est absolument indispensable de développer la recherche sur la détection, les modes de transmission, sur les possibilités de prévention ou traitement s’ils existent: tout reste à faire. Et bien sûr de nous protéger au maximum des importations.
Que dit l’État? Les services de l’État proposent une stratégie d’enrayement pour la Corse du Sud, et une stratégie d’éradication pour la Haute-Corse, avec une zone tampon entre les deux et la partition de la Corse en trois types de règlementation. C’est irréaliste et inefficace, l’État ne donne pas le mode d’emploi « concret » ni les moyens affectés pour gérer ces «frontières» internes artificielles qui n’arrêteront pas les insectes; c’est un leurre destiné à essayer d’être en conformité avec les dispositions européennes. Les services de l’État semblent se borner à comptabiliser les cas, à empêcher la circulation des plants produits locale- ment, les plantations en zone contaminée, ce qui posera des problèmes internes à certaines filières et engendrera des difficultés pour les producteurs et les jeunes agriculteurs. Il ne nous éclaire pas non plus sur les mesures envisagées sur le continent. Et ne fait mention d’aucune restriction sur les dérogations.
Que faudrait-il faire? En tous les cas, chose sûre, il faut une suspension immédiate de toute attribution de dérogation. Notre salut est dans la fabrication de nos propres plants et pas dans l’importation qui expose non seulement toutes nos filières agricoles (et particulièrement les oliviers et les agrumes) mais aussi le maquis et tout notre couvert végétal. Les pépiniéristes l’ont bien compris, beaucoup d’entre eux participent très activement au développement de la production locale, qui bénéficie de la marque « Corsica grana ». C’est un travail engagé par l’Office de l’environne- ment (Conservatoire botanique) qui avance rapidement. Les filières, notamment les oléiculteurs, travaillent dans le même sens à produire les plants dont ils ont besoin pour installer des jeunes ; d’autres filières (amandiers, pommiers, figuiers) vont dans le même sens en partenariat avec la Pépinière territoriale de Castelluciu, outil de la CTC qu’il faut développer. Nous voulons aussi connaître la traçabilité des plantations qui ont bénéficié de dérogations et des tests de dépistage systématique sur les oliviers importés, avec une mise en place d’un suivi. L’État doit comprendre que le problème n’est pas de s’adapter aux mesures européennes, mais d’adapter ces mesures pour aller vers un statut «d’Île protégée» adapté à notre besoin ; c’est à négocier et nous nous y emploierons. Enfin, il faut miser d’urgence sur la recherche.
Comment? L’Europe avait lancé en mars un appel à projet spécifique Xylella auquel la Collectivité Territoriale de Corse avait répondu en s’associant à un consortium de régions, groupements de producteurs, chercheurs de tous les pays d’Europe, Lubixyl. Cet appel a projet européen est en panne, il faut faire pression pour l’activer, en partenariat avec d’autres régions concernées. Nous avons besoin de financements pour l’amélioration des connaissances, l’expérimentation et la mise en place de pratiques de culture adaptées (serres insectproof), la création de laboratoires supplémentaires de type C4. Dans l’immédiat, nous avons pris acte en Cropsav du retrait du projet proposé par le Préfet et de l’ouverture de discussions sur les mesures sanitaires à mettre en œuvre. Le Président du Conseil exécutif, l’Odarc et l’OEC vont faire rapidement des propositions. Il est indispensable d’agir vite.