On a posé le problème et commencé la marche d’émancipation. Mais les nuisances extérieures ont augmenté. Le temps continue à travailler contre nous. Pour tenir et remonter la pente, il nous faut une très forte capacité politique démocratique.
Il a été l’occasion de se remémorer des dates d’événements vécus pour beaucoup comme acteurs actifs, comme aussi par ceux qui, alors, n’étaient pas encore nés. Tamanta strada! À l’échelle de la vie d’un homme, la route est longue et elle se voit sur le visage et dans l’allure. Le tempo de la vie d’un peuple est plus lent, il est celui de l’Histoire. Le récapitulatif des principales dates publiées dans le numéro spécial d’Arritti permet de comprendre la différence de perception.
Le nationalisme «moderne» a un démarrage assez rapide. Il débute après l’échec des mouvements revendicatifs lorsqu’en 1964, le CEDIC est créé et publie son manifeste, deux ans après, Arritti naît en 1966. 9 ans plus tard, c’est le choc d’Aleria et, on l’a dit avec raison, «plus rien ne sera comme avant», du moins dans les esprits. En 81/82, 6 ans pour que l’alternance de la gauche avec Mitterrand et Defferre, ponde le «1er statut particulier ». En 79, le FLNC a pris son élan. 85 et 86 voient l’échec de deux politiques d’unione. En 88, l’Assemblée de Corse pond la motion «Peuple corse». En 91, c’est le «statut Joxe», 10 ans après celui de Defferre. En 95, débutent les règlement de comptes dans la LLN et a lieu l’assassinat du Préfet Erignac. 2001, « Processus de Matignon », Jospin renforce le statut, 10 ans après Joxe. Échec en 2003 du référendum pour une Assemblée Unique sous Sarkozy, ministre de l’Intérieur. En 2014, arrêt de la lutte armée, 14 ans après «Matignon». L’Unione est possible en 2015 et accède aux commandes de la CTC. Donc, 9 ans (64-75) pour définir les concepts et mener la lutte sur le terrain qui débouche sur Aleria. 6 ans (75-82) pour un premier statut particulier. 9 ans (82-91) pour le second statut Joxe. 10 ans (91-2001) pour l’améliorer avec Jospin. 14 ans (2001-2015) pour prendre la direction de la CTC. Ces dates disent que le tempo historique tend à se ralentir et que depuis 91 avec Joxe, le statut n’a pas beaucoup évolué, malgré quelques retouches en 24 ans.
Les causes sont diverses, les «sensibilités» aussi et en fonction d’elles, on oubliera celles qui gênent, on mettra en évidence celles qui avantagent. Il est incontestable que l’existence de deux courants «natios» a compliqué le jeu et facilité celui du pouvoir central jacobin dans ses manoeuvres de refus, d’atermoiements ou de concessions mineures. Si on peut, en se retournant, voir le chemin parcouru, il est impossible de mesurer le manque à gagner par le temps perdu car on ne peut pas refaire l’Histoire. On peut cependant tirer les leçons des erreurs, avouées ou non, qui ont été faites, pour l’avenir. L’expérience est précieuse, mais restera insuffisante car les situations à venir auront quelques données forcément nouvelles qu’il faudra déceler et comprendre pour les utiliser ou se prémunir contre les conséquences. Pas facile. Une seule méthode offre des garanties : démarche hautement démocratique. À plusieurs, «on est plus intelligents » et si on se trompe, ensemble, on peut rebondir mieux. Transparence sans laquelle la «démocratie» est un leurre ou un mensonge. On peut tout dire sur les idées (même si on ne peut pas faire de même sur les personnes) si le débat est sincère et démocratique. La structure politique doit comporter un équilibre par des contre-pouvoirs et des règlements intérieurs visant à organiser le débat, assurer l’information interne de tous les membres et donner la possibilité à chacun de se responsabiliser dans l’action. Le charisme des «chefs» peut être utile à ces conditions. Il existe de tels chefs qui sont aussi démocratiques à l’opposé de ceux qui dirigent un troupeau de moutons surveillés par leurs lieutenants. Ils favorisent alors l’élévation du niveau de conscience politique, comme aussi la formation sur le tas, sur les terrains institutionnels ou sociétaux. Alors l’ensemble devient plus efficace sur le temps historique nécessaire pour atteindre le but qui reste pour nous, «natios», d’inverser la courbe du déclin de la disparition du peuple corse.
Rappel : le bilinguisme octroyé est insuffisant pour sauver la langue. La coofficialité est un préalable (lire le rapport Unesco sur les langues minoritaires 2002/ 2003). Nous n’avons pas le temps que donne un potentiel démographique important pour mieux résister à l’usure et nous avons perdu la transmission intergénérationnelle. La langue corse n’est plus une langue naturellement maternelle. La coofficialité permettra de mieux l’enseigner et surtout de la réinsérer dans la vie sociale, sans porter atteinte à quiconque, sans discrimination, par étapes progressives. Elle permettra d’agir et d’inciter dans tous les domaines de la vie d’un peuple. Il faut quelques décennies pour qu’une langue disparaisse. Il en faut autant pour que son niveau de vitalité remonte avant sa mort. La coofficialité peut donner les moyens légaux d’une politique de sauvetage, si elle est accompagnée d’une volonté politique lucide, ferme et juste. Deuxième rappel, la terre et la montagne qui a façonné, notre culture. Malgré les dominations diverses politico-économiques extérieures, ses habitants n’ont pas perdu l’essentiel du lien qui les unit à elle. Le risque de nos jours de la perdre grandit. De l’agropastoral, on a basculé d’un coup dans le tout tourisme, la spéculation immobilière, les flux migratoires. Nos racines n’ont plus de terreau. Elles se dessèchent. Sans une véritable autonomie, nous sommes impuissants, sans armes pour les maintenir.
Lors de ces 50 années écoulées, on a posé le problème et commencé la marche d’émancipation. Mais les nuisances extérieures ont augmenté. Le temps continue à travailler contre nous. Pour tenir et puis remonter la pente, il nous faut une très forte capacité politique démocratique, l’émancipation de notre peuple se conjugue avec les avancées démocratiques en son sein. Le contexte d’un statut quo stagnant, sans autonomie véritable est mortifère. Ce contexte peut être, si on s’en donne les moyens, l’occasion avec l’autonomie de saisir, à notre profit de peuple, les créneaux de la «modernité». L’énergie par exemple, qui est à la source de l’économie, devient avec les énergies nouvelles renouvelables (EnR) de plus en plus décentralisée. La Corse a toutes les cartes d’une autosuffisance en énergie à bon marché. Les nouvelles technologies numériques permettent d’installer des plateformes de créativité et d’échanges proches et lointains. Ou on les anticipe, ces technologies, ou on les subit. Après 50 ans, la deuxième étape, la concrétisation de ce qui est admis (un peuple, une terre), commencera avec une démocratie libératrice qui donnera les moyens de l’émancipation.