Diana Riba est la nouvelle élue d’Esquerra Republicana di Catalunya au Parlement Européen. Élu avec elle, Oriol Junqueras est empêché de siéger car il est maintenu en détention par l’État espagnol. Devant Ursula von der Leyden quand elle a été élue nouvelle Présidente de la Commission Européenne, Alyn Smith, en sa qualité de représentant des députés du groupe ALE, a interpellé celle qui dirigera l’Europe pour les cinq prochaines années. Il a dénoncé « l’absence de trois de nos collègues élus en Catalogne, dont Oriol Junqueras » et il lui a demandé d’oeuvrer à « l’instauration d’un véritable dialogue pour trouver une solution politique en Catalogne ». Arritti a rencontré Diana Riba au Parlement Européen.
Compagne de Raul Romeva, emprisonné avec Oriol Junqueras, elle vit au quotidien, avec ses enfants, la répression politique qui s’est abattue sur le peuple catalan.
La situation d’Oriol Junqueras fait l’objet d’une action devant la Cour de Justice Européenne. Qu’en est-il exactement ?
L’Espagne est le seul État d’Europe qui impose une procédure de « validation » pour un député qui vient d’être élu au Parlement Européen. Cela consiste à obliger le nouvel élu, pour être proclamé, à venir en personne prêter serment sur la Constitution Espagnole.
C’est tout à fait inédit et nous contestons que cela soit considéré obligatoire pour un député européen élu en Espagne alors que cela n’est le cas dans aucun autre pays d’Europe.
D’autre part, dans le cas particulier d’Oriol Junqueras, l’État espagnol est piégé par ses propres contradictions. Deux mois avant les élections européennes, ont eu lieu les élections législatives espagnoles pour lesquelles Oriol Junqueras, prisonnier politique, Carlès Puigdemont et d’autres exilés, ont été élu députés, ainsi que Jordi Sanchez, Jordi Turull, Josep Rull, tandis que Raul Romeva, lui aussi emprisonné, a été élu sénateur. Cette obligation de se rendre à Madrid pour prêter serment ne pouvait être satisfaite pour ceux qui se sont exilés, car ils auraient été aussitôt incarcérés.
Par contre Oriol, Raul et leurs codétenus ont demandé à pouvoir le faire en quittant leurs cellules. Ce qui leur a été accordé, puis, ils ont été à nouveau incarcérés, la Présidence du Congrès votant aussitôt la levée de leur immunité parlementaire.
Cela n’a pas été possible après l’élection européenne ?
Quand il a été élu député européen, bien sûr, Oriol a demandé aussitôt de prêter serment comme il l’avait fait deux mois auparavant. Mais cette fois, et c’est inscrit dans les traités, c’est le Parlement Européen qui seul a le pouvoir de voter la levée de l’immunité parlementaire qui découle de cette élection. Ce qui bien sûr n’est pas aussi expéditif et aussi arbitraire qu’au Parlement espagnol ! Aussi la « Justice » espagnole, en toute indépendance bien sûr, a décidé de faire l’exact contraire de ce qui avait été jugé quelques semaines auparavant en interdisant à Oriol de pouvoir prêter serment.
Nous défendons devant la Cour de Justice de l’Union Européenne que l’élection d’Oriol étant acquise dans les urnes, son immunité parlementaire de député européen est effective et que l’État espagnol est dans l’illégalité en lui refusant la possibilité de prêter serment, alors que quelques semaines auparavant il avait pu le faire lors des élections nationales.
Je pense que ces recours sont bien étayés, et qu’ils pourront être victorieux car la justice européenne est indépendante, contrairement à la justice de Madrid qui est intégralement contrôlée par le jeu politique espagnol.
L’État espagnol peut-il mettre en échec cette démarche ?
Si l’immunité parlementaire est accordée à Oriol, le procès devra être suspendu le temps de son mandat, du moins tant que le Parlement Européen ne statue pas pour sa levée. Or ce débat serait pour nous une tribune exceptionnelle, même si nous nous attendons à ce que la majorité dominée par les groupes où siègent le Partido Popular (PPE), le PSOE (PSD) et Ciutadanos (Renew Europe) acceptent de voter finalement pour sa levée.
Pour l’État espagnol, il faut retarder autant que possible la procédure en cours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), de façon à ce que les condamnations du procès de Madrid, qui rendront probablement Oriol inéligible, tombent avant la décision de la justice européenne. Des procédures dilatoires ont ainsi été lancées pour retarder le cours de la Justice européenne, tandis que Madrid va chercher à précipiter le jugement pour les prisonniers politiques catalans. Mais son masque de « justice indépendante » sera alors définitivement tombé !
La lutte sur le terrain juridique ne sera pas terminée pour autant car nous épuiserons les procédures d’appel, devant la CJUE pour la question des procédures d’investiture et pour dénoncer l’exception espagnole, et devant l’autre Cour Européenne, celle qui traite des Droits de l’Homme, pour dénoncer les atteintes à la démocratie en général et défendre les droits politiques d’Oriol qui sont bafoués par l’État espagnol.
La situation politique apparaît bloquée sur le dossier catalan ?
Le procès qui vient de s’achever a montré durant quatre mois à quel point la situation est bloquée. Le gouvernement légitime de la Catalogne est en prison ou en exil, le procès de Madrid a été une caricature de procès politique, mais son impact sur l’opinion sera sensible au regard de la sentence qui sera finalement prononcée.
Politiquement, le mouvement indépendantiste garde un soutien majoritaire en Catalogne, qui a même encore progressé malgré la répression. Cependant force est de constater que l’État espagnol a réussi à le « décapiter » en écartant tous ses principaux dirigeants.
Le processus politique catalan garde son unité stratégique à la tête de la Generalitat, mais les procédures électorales ont mis en difficulté le consensus politique. Il y a une véritable urgence à refonder notre stratégie. Au plan international, nous bénéficions d’un soutien réel de l’opinion, même si chacun attend de savoir quelle sera la sentence du Tribunal pour pouvoir mieux se mobiliser. Des gouvernements régionaux nous soutiennent, Amnesty International a pris position, et le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU a dénoncé officiellement l’État espagnol. Mais nous n’avons aucun soutien institutionnel du côté des Etats membres.
Comment les choses pourraient évoluer désormais ?
Plusieurs données sont encore à connaître. Quelle sera la condamnation, sera-t-elle forte ou modérée ? Que fera le gouvernement espagnol ? Il peut choisir le dialogue en prononçant une amnistie. Ou faire l’exact contraire ! Le nouvel homme fort de la vie politique en Espagne, Pedro Sanchez, a deux visages, celui du dialogue et celui de la répression. Face à la répression, ils l’ont montré, les Catalans sont solidaires, et nous envisageons une mobilisation très forte en réponse au jugement. Cela pourrait aller jusqu’à arrêter économiquement le pays.
Et, au delà de ce rapport de forces qu’il faut maintenir et amplifier, il y a une vision stratégique à reconstruire pour forcer l’État au dialogue et obtenir une amnistie totale.
Nous entrons désormais dans une nouvelle phase, celle de l’après-procès.