Femu a Corsica au congrès de R&PS

Jean Félix Acquaviva s’adresse aux Régions

Le Secrétaire national de Femu a Corsica s’exprimait le 24 août dernier à Aiacciu, devant les délégués des différentes régions d’Alsace, Bretagne, Catalogne, Pays Basque, Moselle, Savoie, Occitanie, et des berbères du Congrès Mondial Amazigh qui forment la Fédération Régions & Peuples Solidaires. L’occasion de faire un parallèle avec les attentes et les nécessités qui se posent également à la Corse. La démocratie interne et le travail en commun sont la clé de nos prochaines réussites.

 

« Il est important de se mettre dans une mise en perspective, chacun le fait à sa manière, dans ce bouleversement des temps que l’on vit. Un bouleversement important, sur plusieurs niveaux, majeur, historique, du moins c’est notre sentiment.

Au niveau européen d’abord, il y a à la fois un problème de blocage de la façon de fonctionner de l’Europe. Je reprends toujours l’expression qui était très juste de François Alfonsi qui l’évoquait pour les Catalans, quand il disait que l’Europe se comportait comme un Syndic de copropriétés, ne s’occupant pas de ce qui se passait dans chaque appartement. C’est très vrai. On est à l’antithèse du projet européen de départ.

Au niveau évidemment de l’urgence de la prise de conscience effective autour de l’écologie – problème climatique, la question des déchets, du point de vue aussi géopolitique, de ce qui se passe tant aux États Unis et en Amazonie. Ça devient quelque chose de beaucoup plus prégnant, beaucoup plus fort, qui impacte nos territoires respectifs dans la façon de gérer, et encore plus lorsque nous sommes aux responsabilités ; c’est le cas en Corse, avec la question des déchets par exemple. Mais ça l’est aussi à l’échelle française, à l’échelle européenne, et à l’échelle mondiale.

Et puis au niveau des valeurs, l’humanisme, la démocratie, la question des migrants, la question de la répression policière qui devient très prégnante, qui était connue en France, notamment dans beaucoup de territoires comme ici en Corse qui ont combattu le jacobinisme.

Il ne faut pas oublier que nous avions sur le territoire français des organisations barbouzes – c’est le cas aussi au Pays Basque – et qui faisaient des attentats contre des militants autonomistes et nationalistes en Corse, dans des périodes très dures de la fin des années 70-80 avant l’avènement de François Mitterrand, puis encore entre 86 et 88 du temps de Pasqua-Pandraud, avec des polices spéciales sur le terrain qui abattaient des militants. Tout ça pour se rappeler que dans la vieille République Une et Indivisible, centraliste, du moins dans l’administration, la couleur brune ressort de temps en temps lorsqu’elle se sent en danger, à l’aulne de visions verticales qui se manifestent comme étant des visions un peu bonapartistes ou impériales, confer les comportements du Président de la République actuel qui a, d’un point de vue de la communication, et d’un point de vue politique, une vision très verticale de faire de la politique.

Donc, on vit ce bouleversement des temps et en même temps dans ces crises profondes, il est normal que par le biais des gilets jaunes, par le biais de nos trajectoires historiques qui ont été sédimentées avec des couches respectives, finalement, le bon sens naturel – comme on dit en Corse, « cent’anni centu mesi, l’acqua torna sempre ind’i so paesi » – et la question des territoires, des peuples, des langues des cultures, des racines, et puis plus loin de l’alimentation saine avec les circuits courts par rapport à la question écologique, s’impose. Et je suis tout à fait d’accord qu’on ne peut pas être écologiste sans être régionaliste, comme on peut désormais dire qu’on ne peut pas être régionaliste, autonomiste ou indépendantiste, sans être écologiste. C’est donc aujourd’hui ce que l’on vit, et c’est l’une des raisons historiques profondes des succès territoriaux plus importants que d’autres en Corse avec ce basculement historique de 2015, puis de 2017, qui continue et qui nous oblige aussi à la façon dont il faut tenir.

Il faut donc tirer les enseignements de pourquoi on est arrivé aux responsabilités, pourquoi les Corses nous ont fait confiance et comment faire en sorte de ne pas les décevoir pour « transformer le pays ». Et transformer le pays, ça ne se fait pas en six mois, ça se fait en 15 ou 20 ans. Si je prends la Catalogne d’après Franco, elle s’est construite entre 1981 et 2000-2001. Il a fallu 20 ans et plusieurs statuts d’autonomie pour avoir une « grande Catalogne », même s’il y avait une conscience politique, une société civile, des courants – comme il y a des courants qui ont poussé aux responsabilités en Corse –, mais l’affirmation d’une Catalogne politique, économique, sociale et culturelle aussi forgée, s’est faite en 20 ans. Et ce sera le cas pour nous, comme pour d’autres.

«Nous avons évidemment une ardente obligation : c’est la démocratie interne »

Donc on doit tirer les conclusions.

Aujourd’hui, il faut aller au-delà des constats de « cailloux dans la chaussure » ou de quelques petits états d’âme.

Je crois que lorsqu’il y a des divergences, lorsqu’il y a des différences, lorsqu’il y a des concurrences, il n’y a

qu’un seul acte possible, c’est le factuel démocratique.

Chacune des organisations présentes – puisque nous sommes une Fédération, nous ne sommes pas un parti unifié avec un pilotage centralisé –, nous avons évidemment une ardente obligation : c’est la démocratie interne. Parce que la démocratie interne c’est la capacité de parler à l’interne, mais aussi à l’externe, à ceux qui veulent nous rejoindre, qui auraient dû être avec nous depuis longtemps et qui ne le sont pas. Par exemple en Corse, les Corses qui partagent l’idée de l’autonomie, de la langue et de la culture, et qui n’ont pas encore franchi le Rubicon. Il y en a encore, malgré les 56% de majorité nationaliste. Même chose pour les Alsaciens, qui ont progressé, vont progresser. Nous avons donc une ardente obligation de démontrer que nous ne sommes pas comme les autres, du point de vue de la scrupuleuse action démocratique interne et du point de vue d’être ouverts sur nos sociétés.

Et puis nous avons le devoir d’être démocratique et démocrate à l’échelle même de la Fédération. Si déjà ces deux questions de base sont remplies, et que nous arrivons à produire du compromis politique, par contractualisation, nous allons surmonter les écueils et les petits cailloux dans la chaussure, il n’y a pas de raison. Si on les dramatise au point de les rendre comme épidermiques, de l’ordre c’est blanc, c’est noir, il y a les bons, il y a les mauvais, il y a la trahison, là on fait fausse route. C’est ça qui fait tomber dans les excès passés. Ça n’est pas le fait d’être clairs, francs et d’avoir des divergences. C’est de les trancher dé-mo-cra-tiquement. C’est une question de maturité politique lorsque l’on est dans une crise de croissance. Que ce soit à l’échelle d’un territoire, ou à l’échelle d’une Fédération. Et R&PS, comme la Corse, à différents niveaux, pour différentes raisons, est confrontée à cette réalité-là de la maturité politique où plus rien n’est comme avant. Nous ne sommes plus dans la Corse des années 80- 90. Nous nous en réclamons, nous en avons été, nos pères l’ont été, mais nous sommes en 2019, avec un basculement historique en Corse, avec une croissance de R&PS, et il faut que l’on arrive à tranquillement voyager.

Ensuite, il y a la perspective.

Européennes 2019. Résultats de la liste Europe Écologie par circonscription.

« Être accélérateurs de particules de la maîtrise de la destinée des territoires »

 

Je crois qu’aujourd’hui notre perspective, c’est évidemment de créer des coordinations, des coopérations, des solidarités encore plus fortes que ce que nous avons pu faire, d’abord entre territoires. Il nous semble à nous que peut-être le temps est venu d’aller beaucoup plus loin en coopération économique, sociale, culturelle – surtout lorsque l’on est dans des institutions, qu’elles soient communales, intercommunales, ou de collectivités – pour être accélérateurs de particules de la maîtrise de la destinée des territoires.

Il faut que l’on soit laboratoires de pensées – au niveau de la Fédération – audelà de la solidarité politique. Il faut que l’on aille plus loin dans la construction culturelle, économique et sociale entre nous. Ça c’est le premier niveau.

Le deuxième niveau c’est aussi la question de la coopération entre le député européen, le groupe ALE, le groupe Verts et le groupe Libertés et Territoires, ou du moins les députés rattachés à R&PS. Mais je pense aujourd’hui pouvoir dire que quand nous sommes partis sur la notion de « contrat » dans le groupe Libertés et Territoires – d’ailleurs je rappelle que lorsqu’on évoquait cette question au Congrès de Bayonne, il y avait quand même quelques petits doutes dans la salle, il faut se rappeler que c’est une réalité qui a dû s’affirmer. Il y avait des doutes au sein de la Fédération, il y avait des doutes même internes à la Corse, et aujourd’hui, vous me direz si je me trompe, c’est devenu un acquis politique !

 

« Les lignes ont bougé »

 

On est bien d’accord pour dire que le groupe Libertés et Territoires est à ce jour un acquis pour notre politique, c’est-à- dire la défense de l’autonomie, de la différenciation, des territoires, des valeurs que l’on porte. Et c’est même un acquis politique sur la défense des valeurs démocratiques. Je vous rappelle la séquence de Charles De Courson qui monte au créneau à l’Assemblée Nationale lorsqu’il y avait le projet de loi anti-casseurs du Sénat, qui, dans son article 2 permettait de donner un pouvoir, non pas aux juges, mais aux préfets pour interdire de manifester « lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que », c’est la fameuse phrase. Je vous rappelle le propos de Charles De Courson devant ses collègues : «Mais réveillez-vous, c’est Vichy ! C’est Vichy mes chers collègues, réveillez-vous ! » Donc ça veut dire qu’au-delà de la convergence sur les territoires, nous avons une convergence de valeurs. Sur les migrants, sur l’humanisme, sur la démocratie, sur la liberté d’expression.

Et lorsque l’on a rempli ces deux piliers – au fur et à mesure des débats je crois que ça s’est vu, notamment sur de nombreux votes, au-delà de la question de l’Alsace et d’autres sujets, on a bien vu que ce groupe était très convergent. On a voté ensemble contre le projet de loi de finances, contre le projet de loi de sécurité sociale, contre l’agence de cohésion territoriale, qui est du pouvoir donné au préfet, nous avons soutenu ensemble beaucoup d’amendements et convergé sur la notion d’autonomie législative et réglementaire. Sur la Corse, mais aussi pour tous les territoires qui démocratiquement en font la demande.

C’est le contrat du groupe Libertés et Territoires.

Ça veut dire que lorsqu’on arrive à ce niveau-là, on voit bien que les lignes ont tellement bougées dans ce pays soumis à beaucoup de turbulences, et qui a peur pour ses fondamentaux sur l’unicité qu’il réagit mal par la répression policière, que beaucoup d’évolutions à venir sont possibles. Mais elles ne sont possibles que si nous-mêmes – chaque organisation, et la Fédération – sommes à la hauteur de cette évolution. C’est-à-dire la capacité que nous aurons à grossir, à construire des coopérations, et à élargir à ceux qui aujourd’hui quittent les wagons parce que à trop être déracinés des territoires, on en devient à détruire le sens naturel des choses pour des hommes politiques qui ont été élus par leurs territoires eux-mêmes. Et donc là, il y a vraiment une place politique à occuper et à construire qui nous invite à la réflexion, parce que ça veut dire que si nous arrivons à répondre de manière efficace à ces questions, ça ne sera pas un seul député européen que nous aurons la prochaine fois, ça ne sera pas 18 députés au groupe Libertés et Territoires, mais beaucoup plus et peut-être même la capacité de faire en sorte que le rapport de forces démocratique et politique vis-à-vis de l’administration centrale, et vis-à-vis des gouvernements verticaux et centralistes, soit beaucoup plus fort et arrive à un point que nous n’aurions jamais pu imaginer même dans nos rêves les plus secrets. Je n’aurais jamais pu imaginer être un jour député, comme d’autres n’imaginaient pas que la victoire des nationalistes arrive en 2015 aussi rapidement finalement, même si ça a été une tamanta strada. Je vous remercie. »