Cette semaine était présenté par le président du Conseil exécutif de Corse le rapport de « Lutte contre les dérives mafieuses : Trente mesures pour une société corse libre, apaisée et démocratique » découlant des travaux et ateliers de l’Assemblée de Corse initiés en 2019 au lendemain de l’assassinat de Massimu Susini, et ayant associés élus, organes consultatifs, associations, collectifs et acteurs engagés dans la lutte contre la mafia. Le rapport a été adopté à l’unanimité. C’est une première en France. Aucune autre région n’avait jusqu’ici pris une telle initiative.
Après consultation du Cesec qui a émis un avis favorable c’est l’Assemblea di a Ghjuventù qui a été amené à se prononcer en émettant un avis exigeant allant de réservé à défavorable.
Concernant Chjama à l’unità, le groupe que j’ai l’honneur de présider à l’Assemblea di a Ghjuventù, notre position était claire et affirmée, nous nous sommes félicités de l’avènement de ce rapport et de la démarche de travaux et de consultation initiée par le Conseil exécutif de Corse, initiative inédite en France et en Europe à l’exception de l’Italie qui est confrontée à la mafia d’une façon singulière.
Nous nous sommes réjouis également de la volonté ressentie tout au long du rapport de créer une dynamique de concertation et de consultation des différents acteurs de façon pérenne (instance dédiée à la mafia, présentation annuelle de la politique pénale devant l’Assemblée de Corse, dialogue permanent avec les autorités administratives et judiciaires, etc.) et de rendre publics tous ces travaux et échanges.
Je pense à un certain nombre de mesures sociétales et culturelles visant à impliquer la société civile, les acteurs économiques, et les acteurs cultuels dont on sait le poids qu’ils peuvent avoir dans une société comme la nôtre empreinte de spiritualité.
Je pense également aux différentes clauses proposées dans l’exercice des contrats publics pouvant réveiller des appétits, afin de garantir un assainissement des procédures d’attributions et de créer des garde-fous pouvant éviter les dérives.
Souligner aussi la place prépondérante qu’occupe le volet éducatif dans ce rapport, qui est selon moi la réponse primordiale pour traiter le mal à la racine.
Si nous avons émis, pour notre part, un avis réservé dans les différentes commissions, c’était avec la volonté premièrement de ne pas avoir de position de posture sur un sujet comme celui-ci qui touche notre société, et chacun de nous individuellement, en profondeur. Ainsi que secondement la difficulté de nous prononcer sur un rapport qui, tel que présenté et souhaité par le Président, avait vocation à évoluer avec les contributions du Cesec, de l’Assemblea di a Ghjuventù, mais aussi et surtout avec les amendements des différents groupes de l’Assemblée de Corse.
C’est donc ce que nous avons fait en nous prononçant mesure par mesure, tentant de rentrer en profondeur dans le contenu du rapport.
La session de l’Assemblée de Corse du jeudi 27 février a vu sa matinée marquée par les interventions de Leoluca Orlando, député européen et ancien maire de Palerme, fer de lance de la lutte antimafia en Italie et en Europe, ainsi que celle de Gérald Darmanin, ministre de la justice du gouvernement français.
Après un discours d’introduction de la présidente de l’Assemblée de Corse et du président du Conseil exécutif, Leoluca Orlando a rappelé que la mafia a pour caractéristique d’arriver à se fondre dans la société et à banaliser sa prolifération en s’appropriant et en pervertissant les valeurs positives de la société dans laquelle elle évolue, l’honneur qui devient honte, l’amitié qui devient complicité, la famille qui devient allégeance criminelle et la foi qui est détournée de son but.
Gérald Darmanin a ensuite pris la parole pour annoncer un certain nombre de mesures, en réponse à la demande de l’Exécutif dans son rapport de renouer les liens de confiance entre l’État et la Corse par le règlement du conflit.
Le ministre a déclaré le retrait des condamnés politiques corses du Fijait (fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions terroristes), qui les plaçait jusqu’à présent au même rang que les terroristes islamistes et constituait un acharnement judiciaire injuste.
Ce retrait est le résultat d’une lutte politique, au-delà d’une victoire, il représente pour les nationalistes et les humanistes, mais au-delà pour tous les Corses, le rétablissement de la justice qui a trop longtemps été entachée par un esprit de revanche.
Le ministre a également annoncé de nouveaux moyens pour la justice avec la création de 50 postes de personnels de justice et une réflexion autour de la création d’un pôle de lutte contre la criminalité organisée à Bastia.
Si nous pouvons nous réjouir de ces annonces, et du renforcement des moyens alloués à la justice, que nous appelions d’ailleurs de nos vœux, nous pouvons néanmoins légitimement nous interroger quant à ce changement de direction soudain émanant de l’État et les raisons qui peuvent se dissimuler derrière, cela relève-t-il réellement d’une prise de conscience ?
La création d’un Parquet national anti criminalité organisée et la remise en cause du recours au jury populaire, profilant l’avènement d’une nouvelle juridiction d’exception ne participe pas à apaiser nos craintes. En effet nous ne connaissons que trop bien, en Corse, les juridictions d’exceptions et les dérives qu’elles peuvent engendrer notamment à des fins politiques.
Est-il nécessaire de rappeler également le rôle ambivalent que l’État a joué dans notre histoire, notamment dans les années 1990, lors de l’affrontement entre la mafia et les milieux natio-nalistes ?
L’heure est donc à la prudence, que la lutte légitime visant à mettre fin à la situation dans laquelle se trouve notre société et l’émotion collective engendrée par l’enchaînement de drames, ne nous pousse pas à cautionner des mesures liberticides mettant à mal les fondements de notre démocratie. Une réflexion collective s’impose.
La session s’est poursuivie l’après-midi jusqu’à tard dans la nuit, puis le lendemain, afin d’échanger, débattre et amender le rapport, visant à trouver un consensus unanime sur une question qui traverse la société dans son ensemble, au-delà des appartenances politiques.
C’est donc sous l’impulsion du président du Conseil exécutif que l’Assemblée de Corse, institution et représentante légitime du peuple corse et de ses intérêts, a adopté à l’unanimité et dans la diversité des tendances politiques, le rapport amendé et accompagné d’une délibération relative à la « Lutte contre les pratiques mafieuses : propositions pour une société corse libre, apaisée et démocratique ». •