Le syndicat AOP Mele di Corsica vient de publier une étude pour tirer la sonnette d’alarme : « en ce début juin 2020, l’effondrement total de la production de miel en Corse nous contraint à regarder froidement l’évolution de cette production depuis 1998, date de l’obtention de l’AOC Mele di Corsica-Miel de Corse ».
Que disent les chiffes de la production de miel sur vingt ans sur l’île ? Au début des années 2000, en moyenne car cette activité connaît des variations chaque année selon les conditions climatiques, une soixantaine d’apiculteurs produisaient environ 200 tonnes annuelles en exploitant de l’ordre de 7.500 ruches. Ces trois dernières années (2017, 2018, 2019), ils sont le double d’apiculteurs (environ 130) qui produisent à peine plus (230 tonnes annuelles) alors qu’ils exploitent 15.000 ruches désormais.
2019 a produit un des plus faibles rendements moyens (15,75 kg par ruche) depuis que l’AOC, devenue AOP Mele di Corsica, existe et permet de suivre la production des professionnels d’une filière qui se sent désormais en péril économique.
La désillusion est d’autant plus grande que la mise en place de l’AOP en 1998 avait lancé un « âge d’or » pour la filière qui a valorisé ses produits grâce à elle, et attiré de nombreux jeunes qui ont redynamisé une production qui était tombée en désuétude jusque-là.
Au tournant de la décennie 2010, la production d’une centaine d’apiculteurs dépassait 300 tonnes pour 12.000 ruches exploitées, soit 30 kg par ruche, deux fois plus qu’une décennie plus tard. L’augmentation du nombre des professionnels installés témoignait des bonnes perspectives économiques de la filière, forte de son produit d’exception, encadré par un syndicat vigilant et une commercialisation avisée distinguant les différents types de production : miel de printemps, miel de maquis de printemps, d’été et d’automne, miel de châtaigneraie, miel de miellats de maquis…
Si l’effondrement (-50%) de la production de miel de châtaigneraie, qui était jusqu’à 2013 et l’irruption du cynips qui a détruit une grande partie de la production de châtaigne insulaire, la « valeur sûre » des producteurs de miel, a une cause identifiée, il n’en est rien des autres variétés.
Le miel de printemps a chuté en rendement de 50%, et en ce printemps 2020, où le maquis était pourtant magnifique, l’année enregistre -95% par rapport à la plus belle année de production qui avait été 1999. Même chose pour le miel de maquis de printemps, dont la production a été inexistante cette année malgré la floraison exceptionnelle du maquis.
Le miel de maquis d’été, produit en altitude, a une production qui stagne malgré le doublement du nombre de ruches pour l’exploiter. Quant au miel de maquis d’automne, il dépend des températures estivales et est devenu très aléatoire.
Face à cette production en chute constante, avec un seuil d’alerte atteint cette année de façon critique, les apiculteurs doivent faire face à des charges de plus en plus lourdes. Faute de production suffisante au printemps, ils doivent nourrir artificiellement leurs ruches pour éviter que les essaims ne dépérissent. Le fléau du Varroa a touché aussi la Corse et il génère un surcoût important pour le renouvellement des essaims qui ne peut plus être opéré par simple division des ruches. Le traitement anti-varroa doit être réalisé à chaque fois, ce qui annule la première année de production, et la sélection des reines est beaucoup plus stricte et donc coûteuse.
Le bilan se résume à quelques chiffres : alors que 250 colonies produisaient un peu plus de 6 tonnes il y a dix ans, elles n’en produisent plus que le tiers (2,1 tonnes) désormais. Et pour l’apiculteur le bilan comptable est catastrophique. Jusqu’à 2012, avant le cynips dans les châtaigniers, une exploitation de 250 ruches produisant 30 kg par ruche dégageait 26.000 € de revenus nets. La même exploitation en 2019 ne produit plus que 15 kg par ruche, ce qui a divisé par huit son revenu (3.250 €). Et vu les premiers chiffres recueillis pour la saison 2020, il faut s’attendre cette fois à des pertes sévères, jusqu’à 30.000 €.
Dans de telles conditions l’avenir est écrit : la profession va péricliter, les productions de miel vont disparaître et avec elles la fonction essentielle de pollinisation qui assure la fertilité des arbres à fruits et tant d’autres bienfaits pour la nature et pour l’activité agricole.
Pour les producteurs de miel, le diagnostic est posé : outre l’impact du cynips sur les châtaigniers, ce sont les conséquences néfastes du changement climatique qui se font sentir déjà très durement pour la productivité des essaims. Les hivers très doux, suivis souvent de printemps froids et/ou secs, impactent le cycle de développement des ruches et en bloquent l’épanouissement.
À cela s’ajoute l’impact de pratiques nouvelles des autres agriculteurs dont l’impact est grand sur les colonies d’abeilles. L’utilisation abusive de produits phyto-sanitaires sur les clémentiniers et les autres filières arboricoles ainsi que sur les vignes, entraîne la mortalité et l’affaiblissement des colonies. Les filets para-grêles provoquent une importante mortalité pendant les miellées de clémentiniers. Et bien d’autres menaces de parasites qui pourraient gagner la Corse un jour et aggraver encore une situation devenue plus que précaire.
La crise du Covid-19 est venue ajouter encore aux difficultés de la filière, en gênant ses approvisionnements indispensables à son entrée en production, et en asséchant les débouchés touristiques qui en début de saison assurent la trésorerie des exploitations.
Face à cette accumulation de problèmes, la profession demande des mesures d’urgence pour la survie des exploitations existantes, et des aides pérennes pour garantir le maintien des exploitations apicoles à long terme en Corse.